Possibilité de recourir aux témoignages anonymisés en matière prud’homale.

Par Kevin Bouleau, Avocat.

1879 lectures 1re Parution: 3.22  /5

Explorer : # témoignages anonymisés # preuve en matière prud’homale # droit à un procès équitable # représailles au travail

Par un arrêt en date du 19 Avril 2023 (Cass., Soc., 19 Avril 2023, n°21-20.308), la Cour de cassation affirme que le juge ne peut fonder sa décision uniquement sur des témoignages anonymes mais qu’il peut prendre en considération ces derniers lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.

-

En l’espèce, un salarié engagé en qualité d’agent de fabrication était mis à pied pour des faits d’insultes, dénigrements, humiliations et divers agissements dégradants à l’encontre de plusieurs collègues.

Il saisissait la juridiction prud’homale aux fins d’annulation de cette sanction.

Le témoignage anonyme d’un salarié de la Société, qui craignait les représailles de ses collègues dont il dénonçait le comportement était produit par l’employeur, mais son identité était connue de celui-ci.

La Cour d’appel de Toulouse considérait qu’il était impossible au salarié incriminé de se défendre d’accusations anonymes, déclaraient sans valeur probante le témoignage et, partant, annulaient la sanction infligée au salarié.

La Société formait un pourvoi en cassation.

Elle soutenait que :

« Si le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes de salariés, rien ne lui interdit de prendre de tels témoignages en considération lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments et notamment par d’autres témoignages, non anonymes, dont le rapprochement permet d’établir la matérialité des faits qui y sont énoncés ».

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel au visa de l’article 6 §1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du principe de liberté de la preuve en matière prud’homale.

Selon la Haute Cour :

« Il résulte de ce texte garantissant le droit à un procès équitable, que si le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence ».

Ainsi, les juges du fond ont méconnu l’article 6 §1 et 3 de la CEDH en retenant que l’attestation anonyme du salarié ainsi que le compte-rendu de son entretien avec un représentant de la Société étaient sans valeur probante car il était impossible pour le salarié sanctionné de se défendre d’accusations anonymes.

En effet, les juges d’appel avaient constaté que ce témoignage n’était pas le seul élément produit par l’employeur pour caractériser la faute du salarié : il leur appartenait donc d’en apprécier la valeur et la portée.

Une distinction est faite ici entre témoignage anonymisé et témoignage anonyme.

Dans le second cas, l’identité du témoin n’est pas connue et puisque « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » [1], l’employeur devra apporter d’autres éléments de preuve permettant de corroborer ce témoignage.

Ainsi par exemple, la Chambre sociale avait pu juger que le seul témoignage anonyme ne suffit pas pour prouver une faute invoquée à l’appui d’un licenciement [2].

A contrario, dans le cas d’un témoignage anonymisé, l’identité de l’auteur est connue et simplement masquée afin d’empêcher son identification, comme en l’espèce pour le protéger de représailles.

La Cour de cassation affirme dans cet arrêt que les témoignages anonymisés doivent être pris en compte par le juge s’ils sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en apprécier la crédibilité et la pertinence, comme en l’espèce le compte-rendu d’entretien entre le salarié témoin et le représentant de la Société.

Les témoignages anonymisés semblent donc bénéficier d’une plus grande force probante que les témoignages anonymes, et le juge sera tenu de les prendre en compte s’ils sont soutenus par d’autres éléments corroborant.

Kevin Bouleau
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Ekipe Avocats
http://ekipe-avocats.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

9 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cass. Soc., 4 juillet 2018, n°17-18.241.

[2Cass. Soc., 23 septembre 2003, 01-43.595.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs