Changement de nom de famille et précipitation, attention aux conséquences.

Par Edouard Adelus, Avocat.

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Explorer : # changement de nom # procédure simplifiée # conséquences juridiques # réforme législative

En colère, un jeune homme a décidé de faire usage de la nouvelle procédure de changement de l’article 61-3-1 du Code civil pour ne plus porter le nom de son père. Il ne s’était pas rendu compte des conséquences de ce geste et il se retrouve aujourd’hui coincé avec ce changement de nom.
Que faire ?

-

La Loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation a introduire une nouvelle procédure pour demander et obtenir le changement d’un nom de famille. Auparavant il fallait accomplir la procédure complexe et relativement aléatoire de demander au Garde des Sceaux la modification de son nom, avec la possibilité de saisir les juridictions administratives en cas de refus [1]. Aujourd’hui, le nouvel article 61-3-1 du Code civil introduit en parallèle une nouvelle procédure :

« Toute personne majeure peut demander à l’officier d’état civil de son lieu de résidence ou dépositaire de son acte de naissance son changement de nom en vue de porter l’un des noms prévus aux premiers et derniers alinéas de l’article 311-21. Sans préjudice de l’article 61, ce choix ne peut être fait qu’une seule fois.
[…]
Le changement de nom est consigné par l’officier d’état civil dans le registre de l’état civil en cours. Dans le cas prévu au premier alinéa du présent article, le changement de nom n’est consigné qu’après confirmation par l’intéressé devant l’officier d’état civil, au plus tôt un mois après la réception de la demande.
En cas de difficultés, l’officier d’état civil saisit le procureur de la République, qui peut s’opposer à la demande. En ce cas, l’intéressé est avisé.
Saisi dans les mêmes conditions, le procureur de la République du lieu de naissance peut ordonner lui-même le changement de nom.
Le changement de nom acquis dans les conditions fixées au présent article s’étend de plein droit aux enfants du bénéficiaire lorsqu’ils ont moins de treize ans. Au-delà de cet âge, leur consentement est requis
 ».

Cette procédure simplifiée qui va à l’encontre des principes traditionnels d’immutabilité et d’indisponibilité du nom, a été adoptée suite à plusieurs constats [2].

Premièrement, le législateur a constaté le nombre important de personnes souhaitant changer de nom pour un motif affectif. Cela ressort de l’exposé des motifs de la loi du 2 mars 2022 :

« en 2020, le ministère de la Justice a été saisi de 4.293 demandes de changement de nom. Près d’une demande sur deux tend à une modification consistant soit dans une substitution du nom du parent qui n’a pas été transmis, soit en une adjonction de ce nom. 44% des décisions faisant droit à la demande de changement de nom sont fondées sur ce motif. Dans la grande majorité des cas (38%), il s’agit d’une substitution au profit du nom maternel ».

Deuxièmement, le législateur était pleinement conscient les limites de la procédure administrative : lenteurs [3] et coûts causés par les publications préalables obligatoires.

Troisièmement, l’aboutissement de la procédure dépendait du bon vouloir du Garde des Sceaux, ou plus précisément du fonctionnaire chargé de ces courriers au sein de la Direction des affaires civiles et du Sceau. C’était une procédure opaque et aléatoire où il pouvait être difficile pour un requérant de démontrer son intérêt légitime à changer de nom. Il était bien entendu possible de saisir les juridictions administratives en cas de refus mais historiquement le Conseil d’État a toujours été plutôt restrictif dans l’admission des causes légitimes justifiant un changement de nom.

Autrement dit, la procédure antérieure donnait un poids trop important à l’immutabilité du nom alors que les évolutions sociales allaient dans le sens d’une plus grande prise en considération de la volonté et de la liberté individuelles, y compris dans le choix du nom de famille.

En conséquence, le législateur a introduit une procédure de changement de nom déclarative et décentralisée qui permet à chacun de changer de nom à l’état civil, et non seulement de nom d’usage, une fois dans sa vie, simplement en le déclarant à l’officier d’état civil compétent. Il est nécessaire que ce changement consiste en une adjonction ou une substitution du nom de l’un des parents, ou encore en une interversion d’un nom double.

Contrairement à la procédure de changement de prénom [4], l’officier d’état civil n’a pas à contrôler l’intérêt légitime au changement du requérant. Il doit en principe se contenter d’accepter le changement ; quoiqu’il conserve la possibilité de référer la demande au procureur de la République.

Dans les faits, cela signifie que tout majeur, une fois dans sa vie, peut effectuer le choix qui était celui de ses parents à sa naissance [5]. En revanche, en dehors de cette hypothèse, toute autre demande de changement de nom relève de la procédure classique de changement de nom par décret de l’article 61 du Code civil.

Aucune représentation ou assistance n’est prévue, même pour les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection. Ils sont libres de changer de nom !

Le législateur a introduit trois limites pour assurer une relative stabilité de l’état civil et éviter des changements au gré des humeurs et des attachements familiaux. Une personne ne peut recourir à cette procédure devant l’officier d’état civil qu’une seule fois dans sa vie et tout changement est irrévocable, sous réserve de la possibilité de solliciter un nouveau changement par décret en démontrant alors un intérêt légitime.

La dernière limite est intrinsèque à cette procédure qui inclut nécessairement un délai de réflexion d’au moins un mois ; l’officier d’état civil ne peut consigner le changement demandé dans l’état civil que si la demande est réitérée au moins un mois après la première. Ce délai a aussi pour but de permettre à l’officier d’état civil d’effectuer les vérifications nécessaires et de saisir le procureur de la République en cas de difficultés.

« Emporté par le caractère émotionnel de la réforme - quitter le nom d’un parent avec lequel les liens socio-affectifs ont été rompus, prendre le nom d’un parent qui au contraire a été très méritant -, le législateur n’a pas mesuré toutes les conséquences que les modifications à visée symbolique peuvent avoir d’un point de vue de la technique juridique » [6].

Les garde-fous installés par le législateur ne sont malheureusement pas assez hauts pour protéger certains de nos clients contre eux-mêmes.

Dernièrement, j’ai reçu l’appel d’un jeune homme. Il était certes majeur mais il conservait une impulsivité et une immaturité caractéristique des enfants. Il avait traversé des épisodes de conflits exacerbés avec son père ; dont il portait le nom, à l’instar de la majorité des enfants nés en France [7]. En colère contre son « paternel » il se présenta à l’officier d’état civil de la mairie de son lieu de résidence et demanda le changement de son nom à celui de sa mère. Il revint même un mois plus tard confirmer cette volonté.

Ce n’est que six mois plus tard qu’il appela mon cabinet pour me demander conseil.

Sa vie quotidienne était depuis largement compliquée par ce changement de nom. Il n’en avait absolument pas prévu les conséquences :

  • Papiers d’identité qui ne correspondent plus à la réalité de l’état civil ;
  • Enregistrements administratifs à refaire ;
  • Situation à expliquer à l’employeur ; etc.

Qui plus est, le conflit avec son père s’était calmé, la famille s’était rabibochée. Sa décision précipitée constitue alors un point de fixation qui risque de retendre les relations familiales.

En conclusion, il voulait revenir en arrière et m’appelait pour me demander comment faire.

Ma première réaction fut de constater avec satisfaction que l’adage Nul n’est censé ignorer la loi portait davantage de vérité que ce que je pensais. Un jeune lambda était informé d’une réforme récente et avait pu s’en servir sans aide extérieure.

Ma deuxième réaction fut de m’interroger sur la dangerosité de laisser les outils juridiques entre les mains de n’importe qui. Et encore, nous étions dans une situation où il n’y avait, fort heureusement, pas le moindre élément d’extranéité [8].

Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur les conséquences au long terme de cette réforme, à l’échelle individuelle, familiale ou sociétale [9] mais seulement d’identifier les voies d’action qui sont ouvertes à cet individu pour rattraper ce qu’il qualifie lui-même d’erreur.

Force est de constater que le législateur a assez strictement circonscrit la liberté ouverte par cette réforme en imposant qu’une personne ne puisse l’utiliser qu’une fois au cours de sa vie. Quelle que soit la raison pour demander un retour en arrière, l’officier d’état civil ne pourra jamais accepter de procéder à un deuxième changement sur le fondement de l’article 61-3-1 du Code civil. Ce dernier ne pourra non plus prétendre ignorer le premier changement de nom car le recours à cette disposition sera inscrit en marge de l’acte de naissance de l’intéressé.

En conséquence, il ne reste plus que la voie administrative prévue par l’article 61 du Code civil. Le requérant devra démontrer qu’il a intérêt légitime. Il ne va pas de soi que cet intérêt légitime sera accepté par l’administration, dans un premier temps, puis par le Conseil d’État, dans un deuxième temps en cas de recours contre la décision de refus du Garde des Sceaux. Ce n’est que récemment que le Conseil d’État a accepté les demandes de changement de nom fondées sur des motifs affectifs car insuffisants pour caractériser l’intérêt légitime à déroger aux principes d’immutabilité et d’indisponibilité du nom.

La CEDH a eu l’opportunité de critiquer cette position de l’administration française dans une décision où elle rappelait que le nom, en tant qu’élément de l’individualisation d’une personne relève de son droit au respect de la vie privée et familiale, elle reprochait aux autorités françaises de ne pas avoir mieux examiné l’argument affectif tiré de l’abandon du requérant par sa mère [10].

Aujourd’hui, les motifs de changement d’ordre affectif sont plus largement admis [11] mais l’administration et ses juridictions continuent à exercer un contrôle assez strict - et somme toute assez casuistique - de l’intérêt légitime. Cette voie administrative demeure relativement opaque.

La réforme qui nous intéresse est encore trop récente pour qu’il y ait eu des contentieux suite à son application.

Si l’officier d’état civil ne peut refuser un changement de nom sur le fondement de l’article 60-3-1 du Code civil, il peut s’en référer au procureur de la République qui pourra lui refuser. Les litiges découlant de ce refus seront portés devant les juridictions civiles. Ce sera donc un nouvel ordre juridique qui sera saisi de déterminer si le procureur était justifié à refuser le changement. Son interprétation pourra être différente de celle de l’ordre administratif.

L’ordre administratif ne perd pas toutes prérogatives car mon jeune client n’a en pratique plus d’autre option que de recourir à la procédure de l’article 61 du Code civil devant le ministère de la Justice et, en cas de refus, de saisir les juridictions administratives. Là encore, il est trop tôt pour savoir si sa situation sera constitutive d’un intérêt légitime au sens de l’article 61 du Code civil ; aucun contentieux n’a encore eu le temps de se développer.

Affaire à suivre...

Edouard Adelus
Avocat à la Cour
Barreau de Paris

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Notes de l'article:

[1Art. 61 Code civil.

[2C. Marie, « Nom - Fasc. 30 : Changement de nom », JurisClasseur Notarial Répertoire, §60.

[3Ce qui valut même une condamnation de la France : CEDH 17 juin 2003, n° 63056/00, RTD Civ 2004.61, obs. J. Hauser ; AJ Fam. 2012.336.

[4Cf art. 60 Code civil.

[5Cf art. 311-21 Code civil.

[6M. Lamarche et J.-J. Lemouland, « Choisis ton nom ! Le nom d’usage et le changement de nom de famille », JCP G 2022.466.

[7INSEE, Résultats Les naissances 2019, 22 sept. 2020 : plus de 80% des enfants portent le nom du père.

[8D. Eskenazi et M. Farge, « La nouvelle procédure de changement de nom confrontée aux familles internationales… », AJ Fam., 2022.410.

[9Pour une critique sévère : J.-M. Ben Kemoun, « Changer de nom ? Peut-être pas une si bonne idée que cela… », AJ Fam. 2022.367. Pour une lecture beaucoup plus positive de la loi : F. Laroche-Gisserot, « Les apports de la loi du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation », AJ Fam. 2022.360.

[10CEDH, 5 déc. 2013, n° 32265/10, Henry Kismoun c/ France ; AJ Fam. 2014.194, C. Doublein.

[11CE, 4 déc. 2009, n° 309004 ; AJ Fam. 2010.36, I. Gallmeister ; RTD. Civ. 2010.297, J. Hauser.

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Discussions en cours :

  • par Lili , Le 29 décembre 2024 à 08:18

    Suite à la procédure simplifiée engagée pour mon changement de nom, je me retrouve en difficulté. Étant binationale j’ai saisi la justice de l’autre pays pour faire valoir ce changement, mais ma demande a été refusée en raison de l’incompatibilité avec leur législation. Je souhaite désormais annuler cette procédure simplifiée. Pouvez-vous m’indiquer les démarches à suivre pour faire une demande d’annulation ?

    Lors de cette démarche, je trouve regrettable que l’on ne m’ait pas conseillé de vérifier si ce changement de nom serait compatible avec les lois de mon autre pays d’origine. Si j’avais été informée. je n’aurais pas engagé cette procédure, car elle me place aujourd’hui dans une situation complexe : en France, je porte un nom, et dans mon autre pays d’origine, un autre nom.

  • Dernière réponse : 20 mai 2024 à 15:14
    par Fl Chalon , Le 19 mai 2024 à 06:35

    Bonjour,
    Une question voyageant beaucoup et souhaitant prendre le nom de ma mère par procédure simplifiée :
    que se passe t il, nouveau passeport parfaitement en règle, au passage des frontières et à l’entrée sur le territoire notamment des États Unis et de l’Inde quand vous êtes déjà enregistré (photo et empreintes prises) lors de précédents voyages, sous le nom de votre père et, donc sous une « identité » complètement différente ?
    D’avance, merci

    • par Edouard Adelus , Le 20 mai 2024 à 15:14

      Bonjour,

      C’est une question qui dépend exclusivement des droits étrangers, USA et Inde en fonction de sur quel territoire vous souhaitez entrer. En tant que juriste français je ne peux immédiatement vous apporter une réponse d’un point de vue étranger.

      En revanche, votre situation n’est pas nouvelle, les changements de nom existent aussi dans les autres droits et existent depuis toujours. Cela créera surement des difficultés administratives, notamment l’obligation de créer un nouveau profil au regard des administrations américaines et leur faire comprendre que vous êtes la même personne mais avec un autre nom. Sinon, je ne vois pas sur quel fondement ils pourraient vous reprocher un changement de nom.
      Bien à vous,
      Edouard ADELUS

  • Dernière réponse : 28 juillet 2023 à 13:56
    par Jean Jacques Bidan , Le 13 juin 2023 à 18:35

    Bonjour,
    dans le cas ou un enfant à rejeter le nom de son père pour prendre celui de son beau père, peut il à la mort de son père prétendre à l’héritage ? MERCI

    • par Edouard Adelus , Le 14 juin 2023 à 12:20

      Cher Monsieur,

      Le changement de nom ne change rien à la filiation de l’enfant. Il demeure donc héritier réservataire de son père sauf à démontrer qu’il entre dans l’hypothèse de l’indignité successorale de l’article 726 et suivants du Code civil.
      Vous pouvez me contacter directement si vous souhaitez plus d’information : https://adelusavocat.com/.

    • par z , Le 28 juillet 2023 à 13:56

      le changement de patronyme et prénom peut il permettre que un document médical fut effacer.

  • par vincent , Le 24 mai 2023 à 12:35

    Maitre,
    Si votre jeune client qui a fait modifier son nom sur formulaire Cerfa à l’Etat civil suivant la loi Vignal sur la filiation (entrée en application le 01/07/2022) a changé d’avis depuis la modification et veut à nouveau changer son nom => il doit en effet passer par l’autre voie du ministère justice : le changement de nom par DECRET suivant l’article 61 du code civil pour les requérants qui veulent adopter un nouveau nom, extérieur à leur généalogie. Bonne chance, c’est 5 ans d’attente minimum en cas de rejet de la DACS (qui rejette 75% des dossiers) car il faut faire des recours hiérarchiques à Matignon (qui seront rejetés) et épuiser ensuite toutes les juridictions avant de saisir in fine le Conseil d’Etat (donc TA paris puis CAA paris) c’est très long.
    Il faut au minimum deux intérêts légitimes pour constituer le dossier + produire deux résultats d’expertises psychiatriques par deux médecins agréés différents, et le résultat n’est pas garanti, les juges sont inflexibles sur l’immutabilité du nom de famille. Inutile de saisir le Défenseur des droits, il renverra votre client devant les juridictions.
    Après 6 rejets de l’administration, j’en suis à 3 ans de procédure (Cour d’Appel) et je n’en vois pas le bout...

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