Rappel : depuis l’entrée en vigueur de la 2e loi de finances rectificative pour 2012, les personnes qui ont leur domicile fiscal hors de France sont assujetties en France aux prélèvements sociaux à raison de leurs revenus immobiliers (revenus locatifs et plus-values).
Ces prélèvements sont les suivants :
CSG : ..................................................................................................................8.2%
CRDS : ...............................................................................................................0.5%
Prélèvement social : .....................................................................................4.5%
Contribution additionnelle au prélèvement social : ........................0.3%
Prélèvement de solidarité : ........................................................................2%
Total : ............................................................................................................15.5%
Ces impositions nouvelles ont fait l’objet de plusieurs contestations que nous résumons dans ce qui suit
1°/ La situation déjà réglée des résidents de l’Union européenne : la jurisprudence De Ruyter
Dans sa désormais célèbre décision « de Ruyter » rendue le 26 février 2015 (aff C-623/13), la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») a conclu que ces prélèvements sociaux, du fait de leurs caractéristiques et de leur objet, devaient être assimilés à des cotisations sociales au sens du règlement communautaire n° 1408/71.
Par conséquent, ces prélèvements sont soumis au principe d’« unicité de cotisation » consacré par ce règlement, selon lequel une personne qui exerce une activité professionnelle dans un pays de l’UE ne doit être assujettie qu’au seul système de sécurité sociale de ce pays.
Sur cette base, la Cour a confirmé que la France ne pouvait pas soumettre à prélèvements sociaux sur des revenus patrimoniaux les personnes en mesure de justifier leur assujettissement à un régime de sécurité sociale professionnel dans un autre Etat de l’UE [1].
Tirant les conséquences de cette jurisprudence, l’administration fiscale a admis que les personnes placées dans cette situation seraient en droit de déposer une réclamation contentieuse.
Cette réclamation doit être déposée au plus tard le 31 décembre de la 2e année qui suit le paiement des prélèvements litigieux. Ainsi, toute réclamation introduite avant le 31/12/2017 pourrait porter sur les sommes acquittées depuis le 1er janvier 2015, les années antérieures étant en revanche prescrites.
2°) Qu’en est-il des personnes assujetties en dehors de l’UE ? l’affaire Jahin
Précisons d’ores-et-déjà que, du fait d’accords particuliers avec l’UE, les possibilités de restitution évoquées ci-avant sont aussi ouvertes aux personnes qui seraient assujetties à un régime de cotisation sociale d’un pays de l’EEE ou bien de la Suisse.
En revanche, l’administration fiscale française refuse de donner suite à tout recours déposé par une personne assujettie dans un autre État tiers.
Cette différence de traitement selon le pays d’assujettissement a été critiquée par certains contribuables.
Une première tentative a été introduite, visant à faire juger une telle différence comme contraire aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et les charges publiques. Mais elle n’a pas été couronnée de succès [2].
Un autre angle d’attaque a été trouvé, toujours au regard des règles communautaires. Il ne s’agit plus ici de se prévaloir du règlement cité ci-avant, mais de s’en remettre au principe plus fondamental de liberté de circulation des capitaux, protégé par le Traité sur le fonctionnement de l’UE.
Une première décision favorable a été rendue par la cour administrative d’appel de Marseille en 2016 [3]. Les juges avaient estimé en effet que la différence de traitement selon qu’une personne soit assujettie à un régime de cotisation étranger mais au sein de l’UE (bénéficiant alors d’une exonération de prélèvements français) ou bien en dehors de l’UE (pas d’exonération en France) introduit une discrimination incompatible avec la liberté de circulation des capitaux.
La portée de cette conclusion était cependant limitée puisque, selon les juges de Marseille, la CSG qui couvre la partie la plus importante des prélèvements sociaux litigieux (cf infra), peut continuer d’être appliquée compte-tenu de son ancienneté : la législation communautaire prévoit en effet que, sous certaines conditions, une réglementation d’un État de l’UE qui introduit une discrimination peut cependant être maintenue si elle existait déjà au 31/12/1993 [4]. Seules les autres contributions seraient donc susceptibles d’être restituées.
Dans le cadre d’un autre contentieux, sans lien avec celui décrit ci-avant, le Conseil d’État a été saisi d’une problématique similaire. Toutefois, plutôt que de trancher lui-même le débat, il a saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle [5].
Il faudra encore attendre plusieurs mois avant de connaître la position de la Cour sur cette question [6], dont la réponse nous semble loin d’être évidente. La CJUE a déjà pu juger que, pour examiner l’existence d’une discrimination contraire au droit communautaire, il faut en principe comparer la situation d’un résident (ici français) et celle d’un non résident, et non pas la situation de deux non résidents [7], ce qui est le cas dans l’affaire qui lui est soumise (non résident UE vs non résident hors UE).
Une autre approche aurait pu, à notre sens, consister à se demander si, prenant appui sur la définition posée par la CJUE de la notion de discrimination condamnable [8], il est bien conforme au droit communautaire de traiter de la même façon (assujettissement aux mêmes cotisation) des résidents français et des résidents hors UE, dans la mesure où ces derniers sont placés dans une situation différente puisque ne bénéficiant pas des prestations sociales françaises.
Dans tous les cas, il va de soi que la décision de la CJUE fixera les principes applicables en la matière : si à cette occasion les juges de Luxembourg livraient une analyse différente de celle faite par la CAA de Marseille dans l’affaire précitée, la décision rendue par cette dernière en 2016 ne pourrait pas être utilisée dans le cadre de contentieux futurs.
Sur un plan procédural, notons que dans l’attente de la décision de la Cour de Justice, il peut être opportun d’introduire un recours à titre préventif afin d’éviter de se retrouver empêché par la prescription : on a vu en effet ci-avant, notamment, que les contributions acquittées en 2015 ne peuvent être restituées qu’à la condition d’introduire une réclamation avant le 31 décembre 2017.
3°) La réforme législative intervenue en 2016 ferme-t-elle la porte à toute contestation pour l’avenir ?
Comme on l’a vu, tout le raisonnement tient au fait que, selon l’analyse qu’en a livrée la CJUE, les prélèvements sociaux sur le patrimoine tels qu’institués par la législation française doivent être considérés non pas comme une taxe, mais comme des cotisations sociales et, en tant que telles, soumises au principe d’unicité de cotisation.
Pour ce faire, la Cour de Justice a procédé à une analyse détaillée de ces prélèvements, et a relevé qu’ils étaient affectés au financement de certaines branches de sécurité sociale.
Afin de contrer cette jurisprudence, le législateur français a réformé ce point à compter du 1er janvier 2016, en prévoyant que ces prélèvements seraient désormais affectés différemment, à savoir « au financement exclusif de prestations sociales non contributives, principalement à une partie des dépenses du FSV ». [9].
Il n’est pas évident que ce simple « aiguillage » suffise à épuiser le débat.
En effet, on s’aperçoit que ces prélèvements servent toujours à alimenter d’une façon ou d’une autre le financement de prestations de nature sociale (notamment de protection vieillesse). Il semble que le législateur français ait en fait retenu comme critère pertinent le caractère contributif ou non des caisses de sécurité sociale qu’il s’agit de financer [10].
Or, il semble que le législateur ait fait sur ce point une lecture erronée de la décision de la CJUE.
Ainsi, la Cour avait commencé par rappeler que le règlement communautaire n° 1408/71 s’applique aussi bien aux régimes contributifs et non contributifs [11]. Il apparait donc que les deux soient placés sur un même plan.
Par ailleurs, la Cour a clairement relevé que le point déterminant est le lien direct entre une contribution et un régime de sécurité sociale, précisant en revanche que « l’existence ou l’absence de contrepartie en termes de prestations est dépourvue de pertinence ». [12] Ainsi, la circonstance que désormais, un résident français cotiserait, tout comme un résident étranger, à un régime dont il est vraisemblable qu’il ne bénéficierait jamais n’est pas un élément déterminant.
Ainsi, en définitive, en maintenant un lien d’affectation entre les prélèvements sociaux incriminés et le financement d’un régime de sécurité sociale (principalement les prestations vieillesses), alors même que ce dernier ne serait pas « distributif », pourrait être regardé comme insuffisant pour conclure que les prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine ne sont plus des « cotisations sociales » au sens de la règlementation communautaire.
Sur ces bases, la contestation portant sur des prélèvements sociaux acquittées après le 1er janvier 2016 pourrait demeurer envisageable.
Discussions en cours :
Merci pour cet article très clair.
Cher Maître,
Merci beaucoup pour cette analyse.
Il convient de noter les éléments suivants, au regard de la réforme législative intervenue en 2016,
Art. 24 LFSS 2016,
portant réaffectation du produit des prélèvements sociaux.
Sur le FSV,
La loi n° 2015-1702 de financement de la sécurité sociale pour 2016, article 41 et annexe C (III),
ensemble la loi n° 2016-1827 de financement de la sécurité sociale pour 2017, article 38 et annexe C (III),
prévoient les recettes du Fonds de solidarité vieillesse FSV concourant au financement des régimes obligatoires de base de sécurité sociale.
Au surplus, en vertu des paragraphes 2 et 3 de l’article 3 du règlement n° 883/2004,
la circonstance des allocations du FSV non contributives est inopérante.
Sur la CADES,
En application du décret n° 2016-110 du 4 février 2016 et de l’arrêté du 14 septembre 2016,
ont été repris depuis 2016 par la CADES :
les déficits du FSV et du régime général (CNAM, CNAF, CNAV)
Sur la CNSA,
La Cour de justice de l’Union européenne, dans son arrêt, de Ruyter, du 26 février 2015, a dit pour droit que les prélèvements sur les revenus du patrimoine,
tels que ceux en cause au principal (notamment au point 8 de ce même arrêt C-623/13 une contribution additionnelle de 0,3 %
« conformément à l’article L. 14-10-4 du code de l’action sociale et des familles »), relèvent du champ d’application du règlement n° 1408/71.
Dès lors, les prélèvements sociaux sur le capital,
dont le produit est affecté vers le FSV, la CADES et la CNSA,
au titre de l’article 24 de la loi n° 2015-1702 de financement de la sécurité sociale 2016,
participent au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale en France,
présentent un lien direct et pertinent avec certaines branches de sécurité sociale énumérées à l’article 3 du règlement n° 883/2004,
et relèvent alors du champ d’application de ce règlement n° 883/2004.
Au vu de tout ce qui précède,
l’article 29 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative 2012
est contraire au droit de l’Union,
et incompatible aux dispositions de l’article 11 du règlement n° 883/2004.
Cher Monsieur,
Merci pour ces précisions fort intéressantes.
Bien cordialement,
Eric Chartier