La pression migratoire en Pologne : une représentation des relations européano-russes ? Par Candice Manchon, Etudiante.

La pression migratoire en Pologne : une représentation des relations européano-russes ?

Par Candice Manchon, Etudiante.

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Explorer : # instrumentalisation des migrants # relations union européenne-biélorussie # sanctions internationales # droits de l'homme

L’objet de cet article est de recontextualiser les sanctions émises par l’Union européenne contre la Biélorussie afin de mieux en comprendre les tenants et aboutissants tout en ayant conscience que ces dernières soulèvent de nombreuses questions d’une part sur les relations entre l’Union et ses Etats membres, et, d’autre part, sur les relations extérieures de l’Union.

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Introduction.

Depuis des années, les relations entre l’Union européenne et la Biélorussie se dégradent. Aujourd’hui la pression entre les deux entités se renforce à cause, notamment, d’une instrumentalisation des migrants par la Biélorussie à des fins politiques. Cette instrumentalisation engendre de nombreux problèmes concernant les droits de l’Homme et la démocratie que l’Union européenne tente de rétablir. Ces tentatives de rétablissement se font par le biais de deux armes : diplomatiques et juridiques.

Concernant les premières, d’aucuns considère que l’Union n’en use pas suffisamment en menaçant la Biélorussie sans engager de discussions diplomatiques, en tant que telles, assez intenses.

Concernant les deuxièmes, elles soulèvent des questions de droit international, notamment de légitimité, car la Biélorussie n’est pas un Etat membre de l’Union. Etant donné que les sanctions sont émises par l’Union européenne contre la Biélorussie les relations mises en jeu sont extérieures à l’Union et se voient donc appliquer des règles du droit international, l’Union restant une organisation fondée par des traités qui sont l’expression même de la mise en œuvre du droit international par les Etats. Il faut ainsi se poser la question de savoir si les mesures prises par l’Union européenne à l’encontre de la Biélorussie sont réellement des sanctions, comme les qualifie le Conseil européen. En effet, les sanctions, aussi appelées contre-mesures sont des réactions pacifiques à des faits internationalement illicites commis par un Etat, mais elles sont elles-mêmes prises en violation du droit international. Il faut différencier les sanctions des mesures de rétorsion qui sont elles aussi prises en réaction à un fait internationalement illicite, mais ne sont, en tout état de cause, pas contraire au droit international. A ce stade, se pose la question de la réelle qualification des mesures prises par l’Union et de leur licéité sur la scène internationale, car si l’Union prend réellement des sanctions à l’encontre de la Biélorussie, ces sanctions, par essence pacifiques et contraires au droit international, ne peuvent être légitimées que par le fait internationalement illicite initial de la Biélorussie. En l’espèce, ce fait international initial est l’instrumentalisation migratoire de la Biélorussie et il ne fait que peu de doute concernant son illégalité qui est internationale du fait qu’il concerne un franchissement de frontière. Mais il faut aussi se demander si toutes les personnes privées et morales sanctionnées par l’Union européenne peuvent réellement engager la responsabilité de la Biélorussie sur la scène internationale. Si tel n’est pas le cas, il sera difficilement admissible que l’Union européenne, porteuse des valeurs de la démocratie, sanctionne et condamne des personnes pour des faits privés en violant leur présomption d’innocence et sans passer par l’établissement d’un procès devant un tribunal digne de ce nom [1].

Aussi, le but de ces sanctions est double : tant la cessation de l’illicite de la part de la Biélorussie, que la punition, car l’Union européenne s’érige en défenseur des droits de l’Homme.

Enfin, les questions de la proportionnalité et de la légitimité de l’Union européenne pour prendre ces sanctions peuvent faire l’objet d’analyses complexes. En effet, si la proportionnalité des mesures ne semble pouvoir que peu être débattue, il faut remarquer qu’en droit international, ce sont les Etats lésés qui peuvent répondre d’un fait internationalement illicite. En l’espèce, l’Union européenne est une organisation internationale sui generis qui ne peut être considérée comme un Etat. Ainsi, bien que ce ne soit pas la première fois que le Conseil européen inflige des sanctions à un Etat tiers [2], la question de sa légitimité peut toujours se débattre. Mais si on admet que l’Union peut agir comme un Etat sur la scène internationale, sa légitimité ne semble pas poser de question étant donné que la pression migratoire est exercée aux frontières polonaises or la Pologne est un Etat membre de l’Union.

Après cette courte introduction concernant la problématique de la légitimité et de la qualification des sanctions émises par l’Union, l’article en lui-même ne portera que sur le contexte juridico-politique des sanctions afin de comprendre pourquoi l’Union sanctionne depuis des années la Biélorussie.
En écartant la problématique de la qualification des sanctions, on peut se demander comment l’Union européenne en est venue à sanctionner la Biélorussie par cinq séries différentes .

Ainsi, pour comprendre les tensions internationales entourant les relations entre l’Union européenne et la Biélorussie ainsi que les sanctions européennes, il faut tout d’abord comprendre l’histoire qui unit ces deux protagonistes (I). Cependant, les relations entourant l’Union et la Biélorussie sont, en réalité, sous-tendues par les relations historiques entretenues entre la Russie et la Biélorussie (II) ainsi que la Russie et l’Union (III). Ce court exposé historique permet de mieux comprendre le contexte actuel qui a mené l’Union européenne à prendre ces séries de sanctions (IV) qui sont juridiques, politiques, sociales et financières. Cependant, ces relations permettent de se poser de nombreuses questions (V) qui ne peuvent pas toutes être abordées dans cet article.

I) Les relations entre la Biélorussie et l’Union européenne.

Tout d’abord, on peut considérer que les relations entre la Biélorussie et les Communautés européennes débutent réellement en 2004 lorsque des anciens pays soviétiques, partageant des frontières avec la Biélorussie, ont intégrés l’Union européenne : il s’agit de la Lettonie (ancien pays de l’URSS), la Lituanie (ancien pays de l’URSS) et la Pologne (pays satellite de l’URSS par le pacte de Varsovie 1955). A ce titre, les tensions politiques entre les Communautés européennes et la Biélorussie, alliée de la Russie, ex-pays de l’URSS, trouvent une première approche. Il est indéniable que les valeurs insufflées par l’URSS puis par la Russie à ses alliés sont aux antipodes de celles prônées par l’Union, concernant la Démocratie et l’Etat de droit. C’est pourquoi, dès le départ, il faut comprendre les tensions entre les Communautés et la Biélorussie par l’influence de la culture russe.

A ce titre, l’arrivée au pouvoir biélorusse d’Alexandre Loukachenko a été à l’origine des réactions de rejet de la part des Communautés dès 1994 en ce qu’il a mis en place un régime autoritaire. Ce rejet a été un barrage au développement des relations entre les Communautés et la Biélorussie. Cependant, lors de sa réélection en 2010, bien que les relations se fussent apaisées depuis 2008 (et avaient commencé en 2004), les tensions se sont ravivées car l’Union a contesté la légitimité de la réélection de Monsieur Loukachenko et ne le reconnaît pas comme représentant légitime de la Biélorussie. Cette dernière va donc être exclue de la politique européenne de voisinage de l’Union alors même qu’en 2009 l’institut biélorusse NISEPI considère que 44,1 % de la population est favorable à l’entrée de la Biélorussie dans l’Union européenne. Inutile de rappeler que, même si le critère géographique est rempli (selon les critères de Copenhague formulés par le Conseil européen, Sommet de Copenhague, 1993 et l’article 49 Traité sur l’Union européenne), celui de l’Etat de droit (pour ne citer que cette valeur) n’est pas respecté et s’oppose à l’acceptation de la candidature même de la Biélorussie pour devenir membre de l’Union européenne. Toutefois, il n’est pas à exclure que cette situation change à l’avenir.

Aujourd’hui, la coopération entre la Biélorussie et l’Union européenne n’est toujours pas simple. Quand bien même l’Union a intégré la Biélorussie dans son partenariat oriental, cette coopération est freinée par le fait que le Parlement de l’Union qui ne reconnaît pas le Parlement biélorusse comme son homologue légitime. Cependant, la Biélorussie a suspendu sa propre participation à ce partenariat le 28 juin 2021, en gage d’opposition aux sanctions de l’Union européenne. Depuis, les tensions ont atteint leur paroxysme par l’escalade de sanctions et de représailles découlant de la réélection présidentielle d’Alexandre Loukachenko en 2020. Élections réputées comme tronquées, elles emportent un mouvement massif de manifestation démocratique en Biélorussie qui a été violemment réprimé par ledit président, ce qui est fermement condamné par l’Union européenne.

Néanmoins, il convient de rappeler les liens étroits entretenus entre la Biélorussie et la Russie, car ce sont eux qui sous-tendent les liens entretenus entre la Biélorussie et l’U.E. En effet, la Biélorussie étant dépendante économiquement de la Russie, la politique de cette dernière se répercute sur les choix faits par Alexandre Loukachenko. Il serait donc lacunaire de comprendre les relations entre l’Union et la Biélorussie en omettant l’influence de la Russie sur celles-ci.

II) Les relations entre la Biélorussie et la Russie.

La Biélorussie est le dernier pays européen à être sous un régime autoritaire, mené par Alexandre Loukachenko et son histoire est plus liée à celle de la Russie qu’à celle des Communautés européennes. Effectivement, la Biélorussie a été dominée par la Russie dès le XVIIIe siècle, puis a tenté de proclamer son indépendance en 1918, se heurtant à l’opposition de la Russie soviétique qui a réussi à garder le contrôle sur le pays. De 1922 à 1991, la Biélorussie appartient à l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), et ne devient indépendante qu’en 1991 à la dissolution de cette Union.

Cependant, son indépendance vis-à-vis de la Russie est nuancée. En effet, la Biélorussie dépend économiquement (notamment en termes énergétique, d’importation et d’exportation) de la Russie et en a gardé un fort bagage culturel (pour exemple, depuis 1995, 42 % de la population biélorusse a comme langue maternelle le russe). C’est pourquoi les deux pays ont tenté de s’unir en 1997 par une union fédérale qui ne s’est guère développée en raison des divergences trop importantes entre les deux chefs d’Etat Alexandre Loukachenko et Vladimir Poutine qui entretiennent des relations étroites mais tendues.

Néanmoins, il faut noter que depuis le 1er janvier 2010, la Russie et la Biélorussie, ainsi que le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizistan forment une zone de libre-échange, l’Union douanière de l’Union eurasiatique, supprimant les frontières internes entre les États. Cette union ayant pour objectif de créer une alliance économique, elle est à ce titre similaire dans sa logique primaire à celle de l’union douanière dans le marché intérieur de l’Union européenne. Il est possible de relier ces deux marchés en pensant que l’union eurasiatique avait, notamment, pour objectif de tenter de concurrencer le marché intérieur européen qui est la première source du rayonnement et de l’importance internationales de l’Union européenne.

Il faut rappeler que la Biélorussie est un territoire enclavé entre des États membres de l’Union européenne, mais influencé par la Russie qui ne partage pas les mêmes politiques que l’U.E (et notamment les valeurs inscrites dans l’article 2 du traité sur l’Union Européenne). Sa position géographique accentue les tensions politiques et démocratiques entretenues avec l’Union européenne. La Biélorussie peut être considérée comme un « maillon », un « intermédiaire » entre les relations l’Union européenne avec la Russie. Ce maillon pouvant avoir des démonstrations matérielles, il est représenté actuellement par le fait que les importations de la Russie vers l’Union européenne transitent régulièrement par la Biélorussie. Mais ce maillon peut également être observé dans la crise migratoire actuelle, car l’Union négocie avec la Biélorussie, mais, en parallèle, elle tente également des approches diplomatiques avec le président V. Poutine qui rejette néanmoins toute responsabilité, encourageant le dialogue uniquement entre l’Union et la Biélorussie, tout en soutenant la Biélorussie en armant ses frontières partagées avec la Pologne.

Ainsi, comme la Russie et la Biélorussie sont alliées et que l’on peut qualifier la Biélorussie comme « satellite » de la Russie de par son indépendance à celle-ci, il est important de comprendre également les relations historiques et complexes reliant la Russie à l’Union européenne afin de mieux saisir celles concernant la Biélorussie et l’U.E.

III) La Russie et l’Union européenne.

Il faut tout d’abord savoir que les relations entre l’U.E et la Russie ont réellement débuté le 18 décembre 1989, lorsque l’Union s’appelait les Communautés Economiques Européennes et la Russie l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). Ces relations s’engagent alors par un premier accord sur la coopération commerciale et économique. En effet, durant la Seconde Guerre mondiale, l’URSS ne considérait les Communautés que comme membre du camp capitaliste, filiale économique de l’OTAN [3]. La reconnaissance mutuelle de ces deux entités ainsi que leur coopération était donc difficile. C’est ainsi, à la fin de la guerre froide et de l’URSS, que les relations entre les Communautés et la Russie peuvent se développer, grâce à cet accord de 1989 plus symbolique qu’utile, admettant la coopération entre les systèmes socialiste et capitaliste. Il faut noter qu’à cette période, les Communautés essayaient de s’affirmer sur la scène internationale notamment par le développement d’une politique étrangère et de sécurité commune. La Russie, quant à elle, connaît une crise institutionnelle, identitaire et économique qui la pousse à s’ouvrir à un nouvel air pour tenter une politique diplomatique extérieure favorable à l’établissement de nouvelles relations avec les communautés européennes.
C’est dans ce contexte qu’elle signe l’Accord de Partenariat et de Coopération (APC) le 24 juin 1994 avec les Communautés Européennes, ayant pour objectif la création d’une zone de libre-échange tout en encadrant les échanges politiques pour entretenir leur relation dans le temps.

Cependant, cet accord ne va entrer en vigueur que le 1er décembre 1997, dû, officiellement, à l’expansion des Communautés européennes dont la Suède, la Finlande et l’Autriche sont de nouveaux Etats membres en 1995. Officieusement, le ralentissement de cette entrée en vigueur était dû aux divergences politiques des deux protagonistes concernant la Tchétchénie. En effet, à la fin de l’URSS, la Tchétchénie a proclamé son indépendance, ce que la Russie n’a pas accepté. Elle a donc entrepris des interventions armées dès 1994. Le dialogue européano-russe est très peu développé et, comme l’accord était fondé sur un échange de soutien économique de la part des Communautés européennes (TACIS) contre l’adoption par la Russie des normes européennes de démocratie, il est suspendu. Le rapport de force est déséquilibré, les préoccupations des deux protagonistes ne sont pas les mêmes : les Communautés prônent la démocratie et l’Etat de droit (selon l’article 2 de l’actuel traité sur l’Union européenne) à travers l’Europe alors que la Fédération de Russie tente de se reconstruire après la chute du mur de Berlin [4] et la fin de l’URSS [5].
Même si le président russe de l’époque, Boris Eltsine, tirait une satisfaction de la relation entretenue par la Russie avec les Communautés européennes, il va imposer des limites en réaffirmant des principes de droit international relatif à l’autonomie de la Russie par rapport aux Communautés et son opposition à ce qu’elles s’ingèrent dans ses affaires intérieures. Cette réaction est due à ce que les Communautés menaient, envers la Russie, une politique de propagande de leurs valeurs qui a pu être qualifiée « d’hégémonie normative » [6]. Mais comme la Russie ne voulait pas s’isoler des pays européens pour bénéficier de leur soutien économique, elle va se montrer docile, ce qui est accentué par le fait que les relations diplomatiques et politiques de la Fédération russe étaient moins tournées vers les communautés européennes que les Etats-Unis en ce que ces derniers semblaient être plus menaçants.

Par la suite, en 2004, les Communautés s’agrandissent pour la cinquième fois. Chypre, l’Estonie (ancien membre de l’URSS), la Hongrie (pays satellite de l’URSS par le pacte de Varsovie 1955), la Lettonie (ancien pays de l’URSS), la Lituanie (ancien pays de l’URSS), Malte, la Pologne (ancien pays de l’URSS dans sa partie orientale), la République Tchèque, la Slovaquie (la Tchécoslovaquie était un ancien pays de l’URSS) la Slovénie ainsi que la Bulgarie (pays satellite de l’URSS par le pacte de Varsovie 1955) et la Roumanie (ancien pays de l’URSS) sont désormais des Etats membres, ce qui rapproche géographiquement les Communautés de la Russie et de la Biélorussie. De plus, ces adhésions montrent la volonté pour les Communautés d’avoir une emprise politique sur les anciens territoires de l’URSS, affaiblissant le rayonnement de la doctrine russe au niveau international. En parallèle, les Communautés se sont également dotées d’une politique de stratégie commune à l’égard de la Russie de 1999 à 2004 (« Stratégie commune de l’Union européenne à l’égard de la Russie », journal officiel des communautés européennes, L 157/71, 4 juin 1999, Russie 1999/414/CFSP), ayant pour objectif d’intégrer la Russie aux Communautés tout en prônant l’Etat de droit et la démocratie. On comprend bien ici l’expression « d’hégémonie normative » et les tensions politico-sociales entretenues entre les deux protagonistes.

Cependant, il faut noter que, depuis 1993, se développe en Russie un mouvement conservateur en défaveur de son ouverture à l’Occident et, a fortiori, aux Communautés européennes, car les deux protagonistes ne prônent jamais les mêmes valeurs et s’opposent sur la gestion des conflits internationaux (comme pour la Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1995). Comme la Russie ne se satisfait plus de ses relations européennes et de leur politique extérieure notamment sur les tensions kosovares, elle commence à se tourner vers les pays asiatiques dès 1996. Aussi, les interventions de l’OTAN en Yougoslavie en 1999 ne sont pas acceptées par la Russie qui les considère comme une violation aux réglementations internationales édictées par l’Organisation des Nations Unis (ONU) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Dans le même temps, lors de la seconde guerre en Tchétchénie de 1999 à 2000, les Communautés européennes réimposèrent leurs valeurs à la Russie en suspendant l’APC, mais la Russie continuait l’offensive.
Les tensions politiques et idéologiques issues de la guerre froide n’ont ainsi jamais disparu, d’autant plus que les Communautés européennes sont considérées comme une antenne de la super puissance américaine. La Russie redoutait donc l’alliance américano-européenne, ce qui est exacerbé par le fait que chaque proposition russe à l’OSCE était déboutée par les Etats-Unis au sommet d’Istanbul en 1999. C’est pourquoi, soutenue par la Biélorussie, elle condamne l’OSCE lors du sommet de Vienne en 2000 pour son manque d’utilité et son rôle de simple « coordinateur des arrangements de coopérations régionales » (OSCE, Déclaration du sommet d’Istanbul, 1999, paragraphe 3).

Néanmoins, le Conseil européen des Communautés européennes souhaitait encore développer ses relations avec la Fédération en 2000 en proposant un « partenariat fort » afin de concilier les valeurs européennes à la poursuite de l’APC (Conseil européen de Santa Maria d’à Feira, 20 juin 2000, conclusion de la présidente paragraphes §§55, 57). Ce partenariat devait notamment porter sur l’énergie et permettre la naissance d’une réflexion sur un espace économique commun. Mais cette approche n’aboutit pas, bien qu’il faille remarquer la croissance des importations d’énergie de la Russie vers les Communautés qui a notamment pour but de stabiliser son économie. Par la suite, le traité d’Amsterdam fut signé en juin 1999 dans le cadre de la PESC pour « établir une démocratie stable, ouverte et pluraliste en Russie » en prônant l’Etat de droit et un développement économique (Conseil européen, Stratégie commune 1999/414/PESC, 4 juin 1999, p.1). Les communautés européennes adoptèrent donc unilatéralement une politique favorable à la Russie, semblable à celle pour les pays candidats à l’Union. Cependant, la Russie refusa cette approche (Stratégie à moyen terme pour le développement des relations entre la Fédération de Russie et l’Union, 2000-2010) en rappelant son autonomie et sa volonté de renforcer sa souveraineté.

Puis, dans les années 2001, la Russie nationalise ses ressources énergétiques, les revalorise et les exploite afin de les transformer en ressources économiques et politiques. En effet, cet accroissement des importations énergétiques vers les communautés permet de renforcer leur relation notamment par la conclusion d’accords comme celui du sommet de Paris le 30 octobre 2000, aboutissant à un partenariat énergétique, le Plan Prodi. Les deux protagonistes trouvaient des bénéfices dans cette stratégie énergétique. La Russie pouvait stabiliser son économie et les Communautés pouvaient stabiliser leurs ressources énergétiques, car elles étaient auparavant fournies par le Moyen-Orient qui connaissait une période instable. Ainsi, jusqu’à quarante pourcents de la consommation européenne a pu être fournis par la Russie en 2013 (2017 by Nord Stream. J. Thuret, C. Valendru, A. Carlier with Wix.com).

Les relations entre les Communautés et la Russie se sont à nouveau renforcées en 2002 par un statut privilégié de la Russie dans les structures de sécurité de l’Union européenne. L’OTAN et la Russie ont également adopté une déclaration pour créer le Conseil OTAN-Russie, mais les différences culturelles et politiques perdurent. La volonté de créer quatre espaces communs surgit en 2003, lors du sommet de Saint-Pétersbourg. Mais ce sommet s’est heurté aux différences entre les Communautés et la Russie, car cette dernière voulait être intégrée au processus de décision de gestion des crises, mais les Communautés souhaitaient préserver leur autonomie de décision dans ce domaine. Un préambule et des « feuilles de route » ont ainsi été adoptés lors du sommet de Moscou le 10 mai 2005 sans réelle satisfaction de la part des deux protagonistes. A ce titre, il faut remarquer que la Russie voit l’OTAN comme une menace militaire. Pour exemple, le mercredi 24 novembre 2021, la Russie a annoncé vouloir renforcer son armée pour répondre à l’activité croissante de l’OTAN à la frontière entre l’Ukraine et la Russie.
Par la suite, les relations entre l’Union européenne et la Russie sont restées imprégnées par la même logique. La Russie garde sa volonté d’autonomie et l’Union a toujours le désir d’exporter ses valeurs vers la Russie et ses alliés. Les discussions et les relations entre ces deux États sont donc peu développées.

Enfin, pour recentrer l’analyse sur les sanctions émises par l’Union contre la Biélorussie, la Russie soutient militairement la Biélorussie, ce qu’on peut observer dans les conflits actuels par la présence de l’armée russe à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne (côté biélorusse). De plus, la Biélorussie et son président sont influencés par les choix politiques et stratégiques de la Russie tant elle en est dépendante dans plusieurs domaines (financièrement par exemple). Les tensions entre la Biélorussie et l’Union européenne sont donc, en quelques sortes, des ramifications des tensions entre l’Union et la Russie. Il va sans dire que la Biélorussie est soutenue par la Russie qui, par le contexte actuel, participe indirectement à la pression faite aux frontières européennes. Comme les deux entités, russe et européenne, n’ont jamais réussi à réellement se concilier, partageant des principes différents et cherchant à les faire rayonner à travers l’Europe, il est aisé de conclure que la frontière entre les territoires biélorusse et polonais est un territoire de bataille entre les idéologies européennes et russes. C’est d’autant plus vrai lorsque la Biélorussie menace l’Union de ne plus permettre son approvisionnement en énergie qui a pour principale source, comme précédemment explicité, la Russie. La Biélorussie étant un territoire de transit de cette énergie, sa réponse aux sanctions de l’Union européenne nécessite donc une implication russe.

IV) Sanctions.

1) Aspect juridico-politique.

Enfin, concernant les sanctions émises par l’Union européenne contre la Biélorussie, il faut rappeler que, bien que son rayonnement international passe indéniablement par la puissance et l’aboutissement de son marché intérieur (article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), elle développe également un rôle moral et sanctionnateur auprès de la communauté internationale. Ainsi, il est arrivé au Conseil européen de prendre des mesures de sanctions à l’égard d’Etats tiers de l’Union européenne sur le fondement de l’article 215 TFUE par des décisions entrant dans le champ de la politique étrangère et de sécurité commune. Il faut rappeler que dans ce domaine, ancien deuxième pilier des Communautés européennes (article J du traité de Maastricht 1993), l’Union a une compétence particulière en raison de la spécificité de cette politique qui est mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil, en limitant la participation du Parlement européen ainsi que de la Commission européenne. Cette politique est développée au sein de l’Union par le biais de services comme celui pour l’action extérieure (SEAE depuis 2011), agissant sous l’autorité de Josep Borell (haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité). Depuis la consécration de la personnalité juridique de l’Union européenne (article 47 du traité sur l’Union européenne), la mise en œuvre de cette politique est d’autant plus développée. Il faut aussi remarquer l’importance du marché intérieur permettant un réel pouvoir de négociation et de sanction à l’Union européenne qui peut, dès lors, fermer ses frontières à certains États, entreprises, personnes privées qui perdent ainsi une part considérable de leurs échanges et mouvements internationaux.

Concernant les mesures prises à l’encontre de la Biélorussie, celles-ci trouvent leur genèse dès 2004, et ont été prolongées le 17 février 2020 par le Conseil européen, jusqu’au 28 février 2021. À ce titre, l’Union a mis une place une interdiction d’export de biens utilisés dans le but d’une répression interne. Des sanctions pécuniaires ont également été prises, par le gel d’avoir, pour enfin prendre des sanctions économico-socio-politiques par l’interdiction de pénétration du territoire de l’Union européenne. Néanmoins, ces sanctions ne concernaient seulement quatre individus impliqués dans la disparition de deux hommes politiques de l’opposition russe et un journaliste. Mais les mesures restrictives vont par la suite se développer et se multiplier dans le temps pour concerner de plus en plus de Biélorusses personnes privées et morales. Ainsi, en 2011, l’Union européenne va également mettre en place un embargo contre la Biélorussie sur les armes.
En 2016, le Conseil va prendre la décision définitive de ne pas prolonger ces mesures, concernant alors cent soixante-dix personnes et trois sociétés, tout en maintenant, pour un an minimum, l’embargo et les sanctions initiales concernant les quatre individus ayant vraisemblablement participé à la disparition des personnalités précitées. Cette levée des sanctions, précédée par leur suspension en 2015, était due à la libération, par la Biélorussie des prisonniers politiques dans le but d’améliorer ses relations avec l’Union européenne.
L’apaisement de ces relations n’a duré que quatre années, car, dès le 14 août 2020, les ministres des affaires étrangères demandent aux autorités biélorusses de faire cesser les violences sur leurs territoires, violences en réponses aux manifestations dues à la réélection présidentielle tronquée d’Alexandre Loukachenko. L’Union apporte son soutien au peuple biélorusse s’opposant à l’autoritarisme du président qui s’adonne à la violente répression de démocratiques manifestations contestant sa réélection. Dès lors, l’Union n’a de cesse de renforcer ses mesures en réponse à la « non coopération » de la Biélorussie et en contestations à l’élection non démocratique, tronquée de la réélection du président Loukachenko. A ce titre, le 19 août 2020, l’Union déclarera sa « non reconnaissance » de la légitimité d’Alexandre Loukachenko en tant que président biélorusse. C’est donc dès le 1er octobre que le Conseil et le Conseil européen déclare officiellement leur volonté de prendre des sanctions contre les autorités biélorusses, pour ces événements, tout en invitant la Commission à organiser un plan de soutien économique pour aider les citoyens biélorusses se battant pour la démocratie. Cette annonce peut être vue comme une menace répondant à l’échec de l’emploi des voies diplomatiques de négociation avec le président A. Loukachenko. Cinq séries de sanctions vont alors être mises en place.

La première est le 2 octobre 2020 concernant la falsification des élections. Le Conseil sanctionne quarante individus que l’Union estime comme responsable de la répression des manifestants et journalistes après l’élection d’Alexandre Loukachenko. Ils sont interdits de pénétrer le territoire de l’Union et voient leurs avoirs gelés : les citoyens européens ainsi que les entreprises n’ont donc pas le droit de mettre des fonds à dispositions pour ces individus.

La deuxième série de sanction est mise en place le 16 novembre 2020. Celle-ci concerne directement Alexandre Loukachenko et quatorze autres individus en raison de la répression en cours à cette période.

La troisième série de sanction, le 17 décembre 2020, concerne trente-six individus tirant des avantages du régime autoritaire en place.

La quatrième série de sanction est prise le 21 juin 2021, bien que le 4 juin le Conseil avait déjà décidé d’interdire le survol de l’espace aérien de l’Union aux transporteurs biélorusses tout en leur interdisant l’accès aux aéroports européens. Ceci entraînant l’obligation pour les États membre d’interdire l’exploitation de leurs aéronefs à tout transporteur aérien biélorusse. Le Conseil sanctionne donc soixante-dix-huit Biélorusses ainsi que huit entités biélorusses en raison de l’escalade de violence engendrée par la politique d’Alexandre Loukachenko permettant de graves violations des droits de l’Homme sur son territoire. De plus, l’atterrissage forcé par la Russie d’un avion européen Ryanair (Boeing 737-800) à Minsk le 23 mai 2021, a été considéré comme une atteinte au droit international de l’aviation et une menace de la sécurité aérienne. Il a été fermement condamné par le Conseil européen les 24 et 25 mai 2021 de par sa dangerosité et la détention de Raman Pratassevitch ainsi que Sofia Sapega. En effet, Alexandre Loukachenko a obligé l’atterrissage à Minsk d’un avion en provenance de l’aéroport d’Athènes (Grèce) et en direction de l’aéroport de Vilnius (Lituanie), en prétextant une alerte à la bombe. Ce prétexte lui permettant en réalité d’arrêter et de détenir son opposant politique Roman Protassevitch ainsi que cinq autres passagers.
Par la suite, le 24 juin 2021, le Conseil va interdire la vente, fourniture, le transfert ou l’exportation, directe ou indirecte, d’équipements et technologie permettant la surveillance ou l’interception de données informatiques de l’Union européenne vers la Biélorussie. Les produits pétroliers, le chlorure de potassium, les produits du tabac vont également se voir restreindre à destination de la Biélorussie. Le marché des capitaux européen va également être restreint et il devient interdit de fournir aux organismes publics biélorusses des produits d’assurance et de réassurance. De plus, la Banque européenne d’investissement ne décaissera et paiera plus les contrats existants concernant les secteurs publics biélorusses.
Cependant, les Etats membres ont également leur rôle à jouer en ce que l’Union leur demande de prendre des mesures dans le but de limiter l’intervention en Biélorussie de banques multilatérales de développement dont ils sont membres. Les Etats membres doivent donc participer à la mise en œuvre des sanctions prises contre la Biélorussie afin de permettre leur effet utile ainsi que leur application concrète. Il est possible de voir par là une application du principe de coopération entre l’Union et ses Etats membres (article 4 paragraphe 3 du Traité sur l’Union européenne).
Enfin, une cinquième série de sanction a été prise contre la Biélorussie concernant les violations des droits de l’homme ainsi que l’instrumentalisation des migrants.
C’est le 02 décembre que le Conseil a de nouveau imposé des mesures restrictives contre dix-sept personnes physiques supplémentaires ainsi que onze entités personnes morales. Cette nouvelle répression concerne des personnalités jouant un rôle dans le pouvoir judiciaire biélorusse, dans la propagande facilitant la répression civile ainsi que des personnalités politiques notables et des organismes permettant le franchissement illégal des frontières.
Mais il faut comprendre que cette cinquième série a été préparée depuis le mois d’octobre 2021. Effectivement, dès les 21 et 22 octobre, le Conseil européen adoptait des conclusions condamnant fermement l’instrumentalisation des migrants à des fins politiques. Cette instrumentalisation consistant donc à créer une pression migratoire aux frontières européennes afin d’en déstabiliser le pays victime afin de le faire céder, avec l’Union, dans un contexte de divergence politique. L’Union, par le Conseil européen n’a donc eut de cesse de rappeler sa volonté de se battre, politiquement, contre les atteintes aux droits de l’homme qu’engendrent ces instrumentalisations. C’est pourquoi le 15 novembre le Conseil européen a modifié les critères permettant la désignation des destinataires de ses sanctions pour cibler des personnes privées ou morales qui permettent l’organisation et la mise en œuvre du régime de Monsieur Loukachenko notamment concernant le franchissement illégale des frontières extérieures à l’Union.

Aujourd’hui, les mesures prises par l’Union concernent, en tout, cent quatre-vingt-trois individus personnes privées ainsi que vingt-six entités personnes morales. Tous voient leurs avoirs gelés sur le territoire de l’Union, territoire sur lequel ils ne sont plus autorisés à s’établir et pénétrer. Il faut également noter que les mesures prises par la quatrième série de sanction de l’Union se voient soutenir par la Macédoine du Nord, le Monténégro, la Servie, l’Albanie, les pays candidats à l’Union ainsi les membres de l’EEE, notamment par réaction à l’incident du 23 mai 2021. Ces pays interdisent le survol de leur territoire aérien ainsi que l’accès à leurs aéroports aux transporteurs aériens biélorusse.

2) Aspect juridico-socio-financier.

Il faut également noter que les conflits entre l’Union européenne et la Biélorussie ont un autre aspect. Le 24 juin 2021, l’Union européenne va condamner les tentatives des pays tiers d’instrumentaliser les migrants à des fins politiques, comme l’avait déjà fait le président turc Erdogan en 2020. En effet, cette instrumentalisation est la réponse d’Alexandre Loukachenko aux mesures de sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Biélorussie.
Le 18 août 2021 une réunion extraordinaire des ministres de l’intérieur est organisée pour permettre au Conseil de réagir face à cette grise géopolitique. La question d’une assistance renforcée aux frontières entre l’Union et la Biélorussie notamment par l’appui de Frontex (Agence européenne de garde-frontière et de garde-côte), EASO (Bureau européen s’appuie en matière d’asile) et Europol qui met à disposition de l’Union des officiers et experts afin de mobiliser des équipements techniques à la frontière européenne pour soutenir la Pologne et les migrants. Ceci, car Alexandre Loukachenko a décidé de faire pression sur la frontière polonaise pour déstabiliser l’Union en adoptant une politique favorable à l’immigration, faisant miroiter aux migrants un passage aux frontières européennes.

Il faut cependant relever que la Pologne n’est pas le seul État membre cible en ce qu’Alexandre Loukachenko a également essayé de faire passer des migrants dans l’Union par le biais de Lituanie et la Lettonie. Ces manipulations augmentant considérablement la pression migratoire aux portes de l’Union, car on peut chiffrer jusqu’à cinquante fois plus d’arrivées irrégulière, en Lituanie, qu’en 2020, pour exemple.
L’Union européenne a donc, dans un premier temps, choisi la voix de la diplomatie en ouvrant des discussions avec Alexandre Loukachenko ainsi que les pays de provenance des migrants, ce à quoi l’Iraq a répondu positivement en acceptant le rapatriement de ses migrants et suspendant temporairement ses vols à destination de Minsk.
Par la suite, le 9 novembre 2021, le Conseil a suspendu partiellement l’accord établi entre l’Union et la Biélorussie pour faciliter la délivrance de visa aux Biélorusses, concernant les fonctionnaires travaillant pour le régime d’Alexandre Loukachenko.
Ainsi le 10 novembre 2021, Joseph Borell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, se prononce sur la situation à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Il condamne l’instrumentalisation de personnes humaines par Alexandre Loukachenko par la voie de la migration qu’il met en œuvre pour faire pression sur l’Union mais également pour détourner l’attention des populations sur les violations des droits de l’Homme exercée sur son territoire.
L’Union se place comme défenseur des droits de l’Homme en aidant les migrants et appelant les États tiers à collaborer pour rapatrier les migrants bloqués à la frontière. En effet, en Novembre 2021, la Commission européenne a également alloué un budget de 700 000 euros d’aide humanitaire en aide aux migrants bloqué à la frontière entre l’Union et la Biélorussie, dont 200 000 euros sont reversés à la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Le 15 novembre 2021, le Conseil va encore réagir aux attaques hybrides d’Alexandre Loukachenko en modifiant son régime de sanction pour l’adapter au flux migratoire engendré par la politique d’Alexandre Loukachenko. Les critères d’inscriptions de désignations spécifiques sur la liste des sanctions sont modifiés : l’Union peut dès lors cibler des personnes organisatrices des activités litigieuses, en lien avec le régime d’Alexandre Loukachenko.
De plus, le 23 novembre 2021, la Commission et Joseph Borell ont proposé d’établir une « liste noire » permettant de prévenir et de restreindre les activités des transporteurs trafiquant de migrants. Un nouveau cadre juridique devrait être mis en place, pour lutter contre ce trafic par les voies aérienne, terrestre, fluviale et maritime, à l’encontre de tout opérateur pratiquant ou facilitant ce trafic ou, de manière plus générale, la traite des êtres humains à destination de l’Union européenne. Cette liste pourrait permettre d’élargir les sanctions, à ces opérateurs, concernant la suspension d’autorisation, licence ou même droit de ravitaillement en carburant, par exemple, ou bien l’interdiction de transiter par le territoire de l’Union.
A ce jour la liste n’a pas été établie cependant des conclusions du Conseil européen du 16 décembre 2021 rappellent l’importance de lutter contre le régime biélorusse en rappelant l’importance du respect des droits de l’Homme et la demande de l’Union à la Biélorussie de libérer les prisonniers politiques (point V. Conclusions du Conseil européenne, 16 décembre 2021, fait à Bruxelles). Le but premier étant donc la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants tout en protégeant la démocratie.

V) Conclusion - Réflexions.

Pour finir, il faut nuancer la portée des sanctions prises par l’Union européenne.

Effectivement, pour que les sanctions soient efficaces, leur application est conditionnée. D’une part, l’Union européenne ne peut pas intervenir directement sur le territoire biélorusse en raison des règles de droit international réprimant les ingérences d’autres Etat dans le territoire des membres souverains de la communauté internationale.
D’autre part, l’Union européenne n’a saisi aucun tribunal compétent pour cette affaire, tribunal devant avoir une compétence rationae personae (sur l’Union et la Biélorussie) et rationae materiae (sur la question migratoire, de la démocratie et des droits de l’Homme) notamment. En ce sens, il faut remarquer la faible flexibilité d’action de l’Union européenne qui ne prend des mesures unilatérales ne concernant, stricto sensu, que son territoire. La portée extra-territoriale des sanctions de l’Union est strictement conditionnée à l’acceptation du récepteur de ces dernières. En l’espèce, la Biélorussie les réfute, ce qui conduit à cette escalade de violence.

A cela s’ajoute la participation des Etats membres. Effectivement, si ces derniers n’adaptent pas leurs politiques et leurs réglementations aux impulsions du Conseil européen alors les sanctions émises n’auront pas d’effet concret et resteront du domaine de la diplomatie sans effet matériel. Pour exemple, concernant le gel des avoirs, l’Union appelle à la coopération loyale (article 4§3 TUE) des Etats membres pour que, matériellement, ils permettent ce dernier.

La Pologne, au cœur du conflit, connaît un questionnement sur la légitimité de l’Union européenne au sein de son organisation structurelle. En effet, elle remet en cause la primauté du droit de l’Union européenne et donc de l’Etat de droit au sein de son ordre juridique.
Ce problème peut être lié à celui de la Biélorussie en deux points principaux.
Le premier est celui par lequel il faut remarquer que le conflit biélorusse a pu donner du répit au problème constitutionnel de la Pologne. Cette dernière ayant son intention détournée de la question de la primauté du droit de l’Union, la Pologne profite aujourd’hui des bienfaits de l’Union européenne dans ce conflit international en ce que l’Union lui vient en aide sur le plan pécuniaire, migratoire mais aussi diplomatique. Ce qui est tout de même à nuancer par le refus officiel de la Pologne concernant les aides de l’Union.
Le second point, quant à lui, peut être celui de la stratégie biélorusse. Il est aisé de se poser la question de savoir si Alexandre Loukachenko n’aurait pas décemment préféré émettre une pression migratoire aux frontières polonaises, car la Pologne connaissait déjà une crise constitutionnelle remettant en question la place du droit de l’Union dans son ordre juridique ? Car la remise en question de la place du droit de l’Union peut mener, par extension, à la remise en question de l’Union européenne de manière générale et donc à une politique symétrique à celle du Brexit, mais menée en Pologne.

Enfin, la problématique migratoire en elle-même ne connaît, depuis toujours, aucune réponse satisfaisante au sein du droit de l’Union. C’est d’ailleurs un point relevé par les "euro-sceptiques" pour clamer la prétendue incompétence de l’Union qui ne peut, en réalité, trouver de réponse satisfaisante que si les Etats membres trouvaient un accord et lui transmettaient plus de compétence en la matière, ce qui n’est pas le cas.

Le problème migratoire peut ainsi refléter un pan du droit de l’Union européenne liée à sa légitimité : sa difficulté à prendre en considération les réticences et les différences de ses Etats membres.
Pour développer l’Union européenne, ses Etats membres doivent tous partager une mentalité et une politique similaire afin de ne pas remettre en question l’Union qu’ils développent jour après jour. Cependant, l’Union européenne doit elle aussi mettre en place un espace d’échange permettant aux Etats membres de s’entendre lorsque leurs politiques sont trop éloignées. L’Union doit être vue comme un atout positif aux politiques nationales et non comme une ennemie. Elle devrait permettre de renforcer les politiques nationales, mais également permettre leur évolution et les compromis des politiques nationales de tous les Etats membres afin de renforcer l’influence de l’Union européenne sur la scène internationale. Ce qui ne peut être qu’en prenant en compte les résistances des Etats membres dans leur application du droit de l’Union. Si l’influence de l’Union est renforcée, le poids de chaque Etat membre l’est également.

L’Union européenne s’efforce tout de même d’agir dans des matières aussi sensibles que celle migratoire. A cet égard, la Pologne reste officiellement sceptique quant à son aide. Pour exemple, elle refuse l’aide des gardes-frontières européens de l’agence Frontex alors même que la pression migratoire se veut de plus en plus forte. Ce refus s’explique en partie par le climat "euro-sceptique" de la Pologne qui, néanmoins, accepte les aides financières européennes, bien qu’elles ne soient pas entièrement mises en œuvre par la Pologne dans le but de venir en aide à sa population, comme elles en ont normalement l’objectif. C’est pourquoi la Commission européenne se questionne sur une possible solution juridico-politique permettant à la population polonaise ainsi qu’aux migrants de bénéficier directement des aides pécuniaires européennes sans passer par le truchement de l’Etat polonais. On peut donc se questionner si, officieusement, la Pologne ne resterait pas encrée dans l’Union européenne.

Que la volonté de la Pologne soit, ou ne soit pas, de s’éloigner de la culture européenne, l’Union européenne se doit de permettre à la Pologne de s’exprimer, car la question de la primauté de l’Union européenne a toujours fait débat au sein des Etats membre de l’Union européenne et l’Union en étouffe régulièrement le problème sous couvert des arrêts Costa contre Enel [7] et Van Gend en Loos [8]. Mais cette stratégie ne permettra pas à l’Union d’asseoir sa légitimité envers ses Etats membres et leur population. Le prisme de la population de ses derniers, qui sont également citoyens de l’Union, n’est pas à négliger dans les problématiques européennes, car le rejet des populations peut être un argument de taille pour un Etat pour quitter l’Union européenne, à l’exemple du référendum ayant conduit au Brexit [9]. Ainsi, la pression migratoire actuelle peut être une opportunité pour l’Union de prouver son efficacité et son utilité auprès de ses Etats membres et de leurs populations, ce qui pourrait, à terme, calmer les débats euro-sceptiques en Pologne. Il ne reste que l’Union européenne devrait tout de même mener une politique plus générale lui permettant d’asseoir sa légitimité afin que les Etats lui transmettent plus de compétence afin qu’elle puisse, à son tour, avoir une flexibilité d’action plus grande pour régler au mieux les conflits internationaux tels que celui de la Pologne actuellement.

Manchon Candice
Master II - Droit et Contentieux de l’Union européenne à l’Université Paris II - Panthéon Assas

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[1Selon l’article 47 de la Charte européenne des droits de l’Homme concernant le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial.

[2Pour exemple : Conseil, 2014/145/PESC, 17 mars 2014, mesures restrictives eu égard aux actions compromettant l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

[3Shemiatenkov Vladimir, L’intégration européenne, 2003, p. 361.

[4Chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989.

[5Fin de l’URSS le 25 décembre 1991.

[6Selon Ni ski Haukkala, The EU-Russia Strategic Partnership : the Limits of Post-Sovereignty in International Relations, 2010, p. 176.

[7CJCE, 15 juillet 1964, Costa contre Enel, C-6/64, ECLI :EU :C :1964 :66 : sur la primauté du droit de l’Union européenne dans les ordres juridiques nationaux.

[8CJCE, Van Gend en Loos, 5 février 1963, C-26/62, EUCLI :EU :C :1963 :1 : sur l’effet direct du droit de l’Union européenne pour que les citoyens européens [termes anachroniques] puissent invoquer le droit communautaire devant les juridictions nationales.

[9Référendum du 23 juin 2016 : les britanniques votent « oui » à 51,9% pour la sortie du Royaume-Unis de l’Union européenne.

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