Preuve illicite ou déloyale : elle doit être indispensable pour être recevable.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Letard, Elève-Avocate.

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Ce que vous allez lire ici :

Un salarié a demandé la reconnaissance d'un harcèlement moral de son employeur lors d'une procédure prud'homale. Il a présenté comme preuve un enregistrement clandestin d'une réunion avec des membres du CHSCT de l'entreprise. La Cour de cassation admet dorénavant que, dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits à condition qu'elle soit indispensable.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans un arrêt du 17 janvier 2024 (n°22-17.474), la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle, que si une preuve illicite ou déloyale peut être recevable au nom du droit à la preuve, ce n’est qu’à condition qu’elle soit indispensable à l’exercice de ce droit.

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1) Faits et procédure.

Un salarié a été engagé par la société Nutrition et Santé selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 janvier 2010. Il occupait en dernier lieu les fonctions de responsable commercial de secteur P2.

Le 26 mai 2017, il a saisi la juridiction prud’homale à titre principal aux fins de résiliation de son contrat de travail, en invoquant un harcèlement moral de son employeur dans le contexte du licenciement de son supérieur hiérarchique.

Déclaré inapte à son poste de travail le 8 octobre 2018, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 20 décembre 2018.

Devant la cour d’appel, il a demandé que sa pièce QQQ, correspondant à la retranscription de l’entretien du salarié avec les membres du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société (le CHSCT) désignés pour réaliser une enquête sur l’existence d’un harcèlement moral de l’employeur, soit déclarée recevable, que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail, subsidiairement, que soit prononcée la nullité de son licenciement comme étant consécutif à un harcèlement moral, très subsidiairement, qu’il soit reconnu sans cause réelle et sérieuse et que l’employeur soit condamné à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité.

La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt du 8 avril 2022, a écarté la pièce QQQ de la communication du salarié.

Le salarié a alors formé un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

Le salarié fait grief à l’arrêt d’écarter la pièce QQQ de sa communication, alors que :

  • Il résulte des articles 8 de CEDH, 9 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’autres salariés à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ;
  • En se bornant à affirmer que la production de l’enregistrement par le salarié de son entretien avec des membres du CHSCT, désignés pour réaliser l’enquête, était disproportionnée au but poursuivi dans le cadre du procès civil, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette production n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué et proportionné au but poursuivi, soit la protection de la santé de l’intéressée sur son lieu de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles susvisés.

3) Solution.

La Cour de cassation rejette le pourvoi du salarié.

La chambre sociale rappelle que :

« Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

Or, en l’espèce, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a légalement justifié sa décision car :

  • Elle a relevé que le médecin du travail et l’inspecteur du travail avaient été associés à l’enquête menée par le CHSCT et que le constat établi par le CHSCT dans son rapport d’enquête du 2 juin 2017 avait été fait en présence de l’inspecteur du travail et du médecin du travail,
  • Elle a retenu, après avoir analysé les autres éléments de preuve produits par le salarié, que ces éléments laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral, faisant ainsi ressortir que la production de l’enregistrement clandestin des membres du CHSCT n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié.

4) Analyse.

La solution de la Cour de cassation n’est pas surprenante et n’est qu’une application de l’arrêt d’assemblée plénière rendu le 22 décembre 2023 (n°20-20.648) opérant un revirement de jurisprudence en matière civile. La Cour de cassation admet dorénavant que, dans un litige civil, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions strictes, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.

Les juges doivent alors suivre le raisonnement suivant :

  • Si cela est demandé, le juge doit apprécier si une preuve illicite ou déloyale porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence ;

- Si c’est le cas, le droit à la preuve peut justifier la production de ces éléments, bien qu’ils portent atteinte à d’autres droits, à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Dans l’arrêt d’espèce, le raisonnement a parfaitement été suivi par les juges du fond.

La preuve était déloyale car il s’agissait d’un enregistrement clandestin, réalisé grâce à une manœuvre ou un stratagème, à l’insu des personnes participant à la réunion enregistrée.

Les juges devaient donc analyser si cet élément, qui portait atteinte à d’autres droits, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte était strictement proportionnée au but poursuivi.

Or, comme le salarié disposait d’autres éléments pour laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre, la production de l’enregistrement clandestin n’était pas indispensable. La preuve est donc écartée.

Sources.

Cass. soc., 17 janvier 2024, n°22-17.474
Droit à la preuve en matière civile : recevabilité d’une preuve déloyale
Droit à la preuve : une preuve illicite ou déloyale peut être recevable (c. cass. 22/12/2023, n° n°20-20.648) [1]
Conversation privée Facebook : tenir des propos injurieux ne constitue pas une faute (cass. ass. plen. 22/12/2023, n° 21-11.330) [2].

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Mathilde Fruton Letard élève avocate EFB Paris
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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