Prise illégale d'intérêt : étude comparative en droit français, droit OHADA et droit congolais. Par Samir Malanda Matabulu, Avocat.

Prise illégale d’intérêt : étude comparative en droit français, droit OHADA et droit congolais.

Par Samir Malanda Matabulu, Avocat.

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Cet article propose une étude comparative en droit français, droit pénal des affaires OHADA et droit congolais des marchés publics sur la prise illégale d’intérêt.
Article rédigé en mémoire du feu Professeur Louis Tshiyombo Kalonji, Professeur à l’Université Protestante au Congo, UPC en République Démocratique du Congo.

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I. Introduction.

La vie économique, dans le contexte actuel, suit une allure d’expansion considérable en ce sens que l’introduction lente et progressive des normes contraignantes dans la pratique des affaires à changer ou bouleverses les mœurs de commerçant dans l’observance des pratiques commerciales.

En plus, la structure économico sociale de certains pays dont les plus en vus, sont ceux dits pays en voie de développement, restent encore fragile à ce jour. C’est pourquoi certains Etat adoptent des normes juridiques pour réprimer les crimes d’affaires.

De ce qui précède, il appert que ces mesures ont l’avantage de protéger le tissu économique de l’Etat afin que les pratiques commerciales répondent aux besoins d’un milieu sain d’affaire, c’est-à-dire où y règne une concurrence loyale, une préservation de la clientèle avec des moyens licites et surtout la lutte contre le blanchiment des capitaux et la corruption. Pour ce faire, le droit financier entend apporter des réponses adéquates sur la perception de ce comportement criminel dans le monde des affaires

La présente réflexion se penchera sur la répression des crimes économiques particulièrement ceux ayant trait à l’environnement du monde des affaires notamment l’infraction de prise illégale d’intérêt.

Ainsi, il sera question d’analyser la définition de ladite infraction, les éléments constitutifs, la procédure des poursuites et l’étude comparative en droit OHADA.

II. Bref rappel de quelques notions sur le droit financier et le droit des affaires.

Le droit financier est une composante du droit des affaires qui traite de la sphère financière, avec la finance d’entreprise et la finance de marché. Le droit financier relève du droit des marchés, il correspond au droit des marchés financiers.

Si le droit financier est une composante du droit des affaires, alors quid du droit des affaires, elle-même. En effet, le droit des affaires peut être défini comme l’ensemble des règles de droit applicables aux entreprises en général. Il implique essentiellement le droit commercial ou droit des entreprises commerciales appelé aussi droit des sociétés. Les deux branches se complètent et s’ordonnent mais sans se confondre.

A la lumière des définitions ci-dessus, il appert que le droit des affaires et le droit financier se complètent dans une certaine mesure, notamment en ce qui concerne l’intervention des entreprises commerciales ou sociétés commerciales sur les marchés financiers. De ce fait, les pratiques d’affaires édictées en normes juridiques tentent de règlementer le comportement des intervenant sur les marchés financiers, et ce, dans la stricte observance des règles y relatives (dont les plus importantes sont édictées par une Autorité de régulation des marchés financiers).

Cependant, nous allons remarquer que le droit des affaires a une sphère plus étendue, pour le simple fait qu’il aborde des questions relatives à la gestion des activités ayant trait au monde des affaires (commerciales, gestion d’entreprise ou des sociétés ainsi que des finances). C’est pourquoi le droit des affaires englobe le droit financier.

Si le droit des affaires englobe le droit financier et encadre les pratiques ayant trait au monde des affaires. Quid de la sanction contre les mauvaises pratiques dans le monde des affaires ?

En réponse à cette question, nous notons que l’introduction du pénal dans le droit des affaires s’explique par la nécessité d’assainir le monde des affaires afin de discipliner tant soit peu les opérateurs économiques dont les moyens usités pour réaliser les bénéfices ne sont pas toujours les plus recommandés.

Ainsi, le droit pénal des affaires est l’ensemble des règles de droit applicables aux infractions dans le monde des affaires.

III. Perception définitionnelle de la prise illégale d’intérêt.

En droit français, le Code pénal français en son article 432-12 dispose ce qui suit :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ».

Cette interdiction également concerne les anciens fonctionnaires ; agents ou préposé d’une administration publique, d’un établissement public, d’une entreprise nationalisée, de certaines sociétés d’économie mixte qui pendant une durée de 5ans suivant la cessation de cette fonction, recevraient une participation par travail, conseil ou capitaux dans des entreprises avec laquelle ils étaient préalablement en relation.

Il résulte de cette définition légale, les éléments d’appréciation ci-après :

L’infraction de prise illégale d’intérêt est commise par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou une personne investie d’un mandat électif public

Il s’agit ici même d’une condition préalable, avant de parler des éléments constitutifs de l’infraction, à l’existence de l’infraction.
En effet, pour que l’on parle de la commission ou réalisation de l’infraction de prise illégale d’intérêt, il faut faire appel à la notion de la qualité de la personne ayant commis ladite infraction. Il s’agit de :
- toute personne ayant une parcelle de pouvoir publique dans la prise de décision sur les questions d’intérêt général. Ex : le Président de la République, les Ministres, Secrétaires Généraux…,
- une personne chargée d’une mission de service est celle qui n’a ni un pouvoir qui lui est conféré en vertu d’une délégation de la puissance publique ni un pouvoir de décision de contrainte sur les individus et les choses.

Toutefois, cette personne est chargée d’exercer une fonction d’accomplir des actes qui ont pour but de satisfaire à un intérêt général.

Ainsi, les expressions personnes dépositaires de l’autorité publique et personnes chargées d’une mission de service public permettent de désigner tous ceux qui exercent des fonctions publiques, fonctionnaires titulaires ou contractuels ou simples particuliers associés à l’exercice de la puissance publique.

Par ailleurs, l’expression de personne chargée d’une mission de service public a remplacé les agents du Gouvernement et autres fonctionnaires visés sous l’empire de l’ancien Code pénal, et ce, sous l’impulsion de la jurisprudence qui avait élargi ces notions pour inclure un citoyen collaborateur du service public.

Il revient à dire que la qualité officielle est la condition préalablement pour l’existence de l’infraction de prise illégale d’intérêt.

Cependant, le droit français évolue en ce qu’elle étend également cette considération aux particuliers ayant une étroite collaboration avec les personnes dépositaires de l’autorité publique ou les particuliers à qui l’on a confié le devoir de remplir ou satisfaire un besoin d’intérêt général.

IV. Des éléments constitutifs.

Par éléments constitutifs, nous entendons l’élément légal, matériel, moral et axiologique (par élément axiologique, il faut entendre la valeur sociétale protégée)

1. De l’élément légal.

L’élément légal découle du principe sacro-saint en droit pénal, celui de la légalité pénale, c’est-à-dire, il ne peut exister d’infraction que sur base d’un texte de loi et traduit par l’expression nullum crimen, nulla poena sina lege.

Ainsi, en droit français, c’est le Code pénal en son article 432-12 :

« Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction ».

Article 432-13 :

« Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 200 000 F d’amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire public ou agent ou préposé d’une administration publique, à raison même de sa fonction, soit d’assurer la surveillance ou le contrôle d’une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée, soit d’exprimer son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l’une de ces entreprises avant l’expiration d’un délai de cinq ans suivant la cessation de cette fonction.
Est punie des mêmes peines toute participation par travail, conseil ou capitaux, dans une entreprise privée qui possède au moins 30 p. 100 de capital commun ou a conclu un contrat comportant une exclusivité de droit ou de fait avec l’une des entreprises mentionnées à l’alinéa qui précède
 ».

Au sens du présent article, est assimilée à une entreprise privée toute entreprise publique exerçant son activité dans un secteur concurrentiel et conformément aux règles du droit privé.

Ces dispositions sont applicables aux agents des établissements publics, des entreprises nationalisées, des sociétés d’économie mixte dans lesquelles l’Etat ou les collectivités publiques détiennent directement ou indirectement plus de 50 p. 100 du capital et des exploitants publics prévus par la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications. L’infraction n’est pas constituée en cas de participation au capital de sociétés cotées en bourse ou lorsque les capitaux sont reçus par dévolution successorale.

2. De l’élément matériel.

Elément matériel Pour que l’élément matériel soit caractérisé, trois conditions doivent être réunies : 1°) être en présence d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou d’une délégation de service public. 2°) qui assure la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de cette entreprise ou de cette opération au moment de l’acte. 3°) et qui prend, reçoit ou conserve un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération.

- Etre en présence d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou d’une délégation de service : ceci est un critère déterminant pour que l’infraction de prise illégale d’intérêt soit établie. Le comportement délictuel réprimé dans le chef d’une personne dépositaire d’une autorité publique.

- Le fait pour ce dernier d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de cette entreprise ou de cette opération au moment de l’acte : en effet, le dépositaire du pouvoir public doit au moment de l’acte avoir la charge de la surveillance, de l’administration, de la liquidation ou le paiement d’une affaire dans laquelle il a pris un intérêt.

Ex : le Président d’une Institution use de son autorité pour payer une entreprise (pour prestation de nettoyage) dans laquelle son ami d’enfance est propriétaire et lui-même. L’on peut dégager qu’il y a prise illégale d’intérêt.

- Avoir un intérêt : c’est l’élément capital même pour déterminer l’infraction. La perception de la notion d’intérêt est le fait pour le dépositaire de prendre directement ou indirectement (par personne interposée) des avantages pécuniaires dans une affaire (globalisant les pratiques d’affaires et notion droit des sociétés) dont il assure la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.

Caractéristiques sur la notion d’intérêt dans l’opération considérée [1].

L’intérêt peut aussi être d’ordre politique, moral ou affectif. Ainsi que l’affirmait pour la première fois expressément la Cour de Cassation, le délit prévu par l’article 175 ancien, repris à l’article 432-12 du Code pénal, est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral direct ou indirect [2].

a. Intérêt patrimonial : Maire qui s’associe avec deux autres personnes à l’effet d’exploiter, en vertu d’une concession, des sources d’eau chaude propriété de la commune [3] ; adjoint passant un marché et prenant part à une adjudication en vue de fournitures de vin à l’hospice de la commune [4].

b. Intérêt moral : Un intérêt simplement moral constitue l’intérêt dont la prise, la réception ou la conservation est interdite.

La Chambre criminelle a par exemple considéré que le délit d’ingérence était caractérisé à l’encontre d’un maire qui avait signé deux contrats (rénovation d’une école, concession de panneaux publicitaires) avec une société dont les associés n’étaient que des prête-nom de son fils, lui-même membre de son cabinet. Le maire n’avait pas d’autre intérêt dans l’affaire que celui de fournir du travail à la société dans laquelle son fils avait, lui, des intérêts patrimoniaux [5].

Il le sera aussi quand le bénéficiaire de la décision sera le concubin d’un enfant (situation soumise au tribunal correctionnel de Draguignan, qui, par jugement du 22 décembre 1997, a retenu le délit), mais encore quand le bénéficiaire sera par exemple un ami ou une connaissance, de sorte que les limites de l’incrimination seront indéfiniment repoussées.

c. Intérêt indirecte par interposition de personnes physiques : lorsqu’un maire livre des fournitures à une commune en faisant établir les mandats de paiement au nom d’un prête-nom [6] ; lorsqu’un maire achète des matériaux usagés à une commune par l’intermédiaire de son frère [7].

d. Intérêt par interposition de personnes morales : dans le cas où c’est apparemment une société qui traite avec la collectivité publique, mais alors que des liens existent entre l’agent poursuivi et cette société, le juge recherche quel est le rôle réel de l’agent au sein de la société en cause.

On peut relever aussi des montages plus complexes, avec plusieurs personnes morales et/ou sous-traitance : travaux confiés par le conseil municipal sous la présidence du maire à une société sous-traitant en partie à une autre société dont le maire était le gérant [8] ; maire et président d’un syndicat de communes qui crée une société à laquelle il fait acheter par le syndicat et la commune des voitures et des matériaux, et par le titulaire d’un marché de travaux effectués par le syndicat les fournitures nécessaires à l’exécution de ce marché [9].

e. Convergence d’intérêts : L’article 432-12 du Code pénal, relatif à la prise illégale d’intérêts n’exige pas que l’intérêt pris par le prévenu, Claude X… alors maire, soit en contradiction avec l’intérêt communal - Le prévenu avait présidé la séance du conseil municipal du 1er juillet 2003 et participé au vote, alors que cette séance portait sur une affaire dans laquelle il avait un intérêt direct, compte tenu de l’implantation de sa propriété par rapport aux travaux envisagés et de l’augmentation de celle-ci qui allait en résulter. Les juges avaient relevé qu’un accord verbal avait été passé entre le prévenu et le dirigeant de la société Allobroges Habitat, avant ladite délibération, aux termes duquel les reliquats de parcelles non utilisés seraient revendus à Claude X... sous réserve que la société en devienne officiellement propriétaire [10].

f. Renonciation à l’intérêt. Le fait même de signer un marché ou de participer à son attribution constitue la prise d’intérêt punissable, indépendamment de toute exécution du contrat ; une renonciation au contrat, même avant toute exécution, est donc sans effet sur l’existence du délit, qui est d’ores et déjà consommé ; la non-exécution ou la renonciation ne peuvent constituer, éventuellement, que des circonstances atténuantes [11].

g. Appréciation large de l’intérêt. Une relation amicale de longue date entre le rédacteur d’un rapport d’analyse des offres et un candidats peut constituer une prise illégale d’intérêt. En l’espèce, condamnation à 1 an avec sursis et 10 000 € d’amende pour un agent d’un cabinet municipal ayant rédigé un rapport d’analyse des offres attribuant à l’entreprise d’une de ses relations amicales [12].

A titre d’exemple, en France, en 2007, Jean-Paul Huchon, Président du Conseil régional d’Ile de France, a été condamné par le tribunal correctionnel de Paris, à six mois d’emprisonnement avec sursis, 60 000 euros d’amende et un an d’inéligibilité, du chef de prise illégale d’intérêts, pour avoir poussé le Conseil régional à contracter, dans le cadre de marchés publics, avec des sociétés de communication qui employaient sa femme.

Enfin, le 5 avril 2018, la Cour de cassation a jugé que le lien d’amitié peut être constitutif de « l’intérêt » nécessaire à la caractérisation du délit de prise illégale d’intérêts [13].

Il appert que le lien qu’entretien une personne dépositaire d’une autorité publique avec un particulier dans la poursuite de la réalisation d’un besoin d’intérêt général, peut constituer une prise illégale d’intérêt. Il en est de même pour une personne dépositaire d’une autorité publique qui acquiert des parts ou est associé au sein d’une société commerciale à qui l’on confie la réalisation d’un travaux d’intérêt général.

3. Elément moral.

Par élément moral de cette infraction, il faut entendre l’intention pour un dépositaire du pouvoir public d’avoir un intérêt dans une affaire ou entreprise dont il a la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement.

On est dans une infraction intentionnelle donc la caractérisation suppose que le prévenu ait pris sciemment un intérêt dans une affaire soumise à sa surveillance, sans qu’il soit nécessaire de caractériser la rechercher par lui d’un intérêt directement personnel donc il n’y a pas ici de dol spécial à caractériser constituant dans la recherche pour lui d’un intérêt direct donc pas de dol spécial. Ici, la jurisprudence fait encore preuve de sévérité car de nouveau elle présume l’élément intentionnel qui est caractérisé par le seul fait que l’agent a accompli es qualité d’agent public, l’acte constitutif de l’infraction, autrement dit la jurisprudence présume l’élément intentionnel à partir de la nature des fonctions de l’agent.

4. Elément axiologique.

La valeur protégée dans l’infraction de prise illégale d’intérêt, est la préservation du prestige de la fonction publique. En réprimant cette infraction, le législateur français a voulu assainir ou moraliser la vie publique.

V. De la répression.

En droit pénal français, le taux de la peine pour la commission de l’infraction de prise illégale, est de cinq (5) ans d’emprisonnement et d’une amende de 500.00 € lequel montant peut être porté au double du produit issu de cette infraction. Cette peine est à titre principale.

Par ailleurs d’autres peines complémentaires ou subsidiaires peuvent aussi être prononcées notamment les plus importantes : l’interdiction des droits civils, civiques et de famille, l’interdiction d’exercer une fonction ou une profession en lien avec l’infraction, l’interdiction de gérer une société, l’affichage de la décision.

VI. Typologies de l’infraction de prise illégale d’intérêt [14].

La prise illégale d’intérêt peut prendre plusieurs notamment :
1. Forme directe : la vente d’un terrain communal au maire ou la conclusion d’un contrat de prestations de services avec une entreprise dont le maire est le dirigeant (ibidem) ;
2. Forme indirecte : par personnes interposées, la signature d’un contrat entre la commune et une société de prestations de services dont le fils et l’épouse du maire sont propriétaires.

La Cour de cassation a ainsi rappelé que : « la prise illégale d’intérêts résulte du fait de prendre un intérêt direct dans l’opération, soit personnellement soit au bénéfice d’un proche parent ou de prendre un intérêt indirect dans l’opération, parce que la personne au profit de laquelle intervient l’opération est liée juridiquement au décideur public, mais sa qualité dissimulée » [15].

VII. Etat de la question en droit pénal OHADA.

Il sied de rappeler que le droit pénal OHADA est l’ensemble d’incriminations portées par les différents actes uniformes, dont la latitude a été accordée aux Etats parties d’en fixer les taux des peines.

Alors la question posée est celle de savoir est-ce que l’infraction de prise illégale d’intérêt est punie en droit pénal OHADA ?

En effet, la réalité juridique de la considération de cette infraction en droit pénal OHADA est sa similarité avec certaines incriminations prises en charge par ce dernier. Il sera question de faire une étude comparative entre l’infraction de prise illégale d’intérêt et certaines incriminations en droit pénal OHADA.

Si la prise illégale d’intérêt est le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique (fonctionnaire, par exemple) ou investie d’un mandat électif public (Conseiller municipal, Député ou sénateur, par exemple) ou chargée d’une mission de service public, de prendre ou de conserver un intérêt quelconque dans une activité, voire dans une seule opération, sur laquelle elle dispose du fait de sa fonction d’un pouvoir personnel ou partagé de surveillance ou de décision, ou qu’elle a la charge de gérer ou de payer.

Face à ce rappel définitionnel, le droit pénal OHADA reste évasif quant à la question.

Cependant, il existe des similarités de concepts notamment sur la question de prise effective d’intérêt, ici, il faut percevoir l’intérêt comme un besoin d’acquérir pour soi ou pour autrui un bien appartenant à une personne morale de droit public ou de droit privé. Ainsi, en réfléchissant, nous allons nous rendre que l’un des incriminations en droit OHADA, notamment l’abus des biens et du crédit de la société, incrimination relative au fonctionnement des sociétés de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique, s’apparente à l’infraction de prise illégale d’intérêt.

C’est qui ressort d’ailleurs de l’article 891 de l’AUSC dispose :

« Encourent une sanction pénale, le gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, le président directeur général, le directeur général, l’administrateur général ou l’administrateur général adjoint qui, de mauvaise foi, font du bien ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou morales, ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils étaient intéressés, directement ou indirectement ».

Il résulte de cette disposition des points de convergences importants avec l’infraction de prise illégale d’intérêt, notamment en ce qui concerne le fait que cet intérêt est pris pour satisfaire un besoin personnel ou encore favoriser une autre personne morale.

Nous nous rendons compte que la similarité est donc frappante entre ces deux infractions. D’où, l’intérêt de l’étude serait de voir une réforme pour que l’infraction de prise illégale d’intérêt soit insérée dans l’arsenal juridique en droit OHADA d’autant plus que certaines personnes morales de droit privé connaissent la participation en capitale de l’Etat en majorité ou minorité où certains de ses mandataires usent de leur position pour s’offrir des intérêts importants au détriment de la société.

VIII. La prise illégale d’intérêt intéresse le droit des marchés publics.

De par sa définition, la prise illégale d’intérêt intéresse aussi le droit des marchés publics. Pour faire simple, le droit des marchés publics est l’ensemble des textes juridiques relatifs à la passation des marchés publics (entendre procédure, contrainte, contentieux…)

1. Bref aperçu de l’environnement de passation des marchés publics en RDC.

En RDC, les marchés publics sont régis par la Loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics ainsi que certains actes règlementaires notamment :
- Le décret n°10/22 du 02 juin 2010 portant Manuel de procédures de la loi relative aux marchés publics ;
- Le décret n°10/21 du 02 juin 2010 portant création, organisation et fonctionnement de l’autorité de régulation des marchés publics, en sigle « ARMP » ;
- Le décret n°10/27 du 28 juin 2010 portant création, organisation et fonctionnement de la direction générale du contrôle des marchés publics (DGCMP) ;
- Le décret n°10/32 du 28 décembre 2010 portant création, organisation et fonctionnement de la cellule de gestion des projets et des marchés publics (CGPMP) ;
- Le décret n°10/34 du 28 décembre 2010 fixant les seuils de passation, de contrôle et d’approbation des marchés publics.

Le droit congolais des marchés publics classifie les marchés publics en quatre types des marchés (article 7 de la loi sus évoquée) :
- Les marchés des travaux ;
- Les marchés de fournitures ;
- Les marchés de services ;
- Les marchés de prestations intellectuelles.

2. La prise illégale d’intérêt et les marchés publics.

Il sied de rappeler que les marchés publics portent sur la réalisation des travaux ou de service en vue de la satisfaction d’un besoin d’intérêt général.

Les marchés publics s’intéressent à la prise illégale d’intérêt pour le simple fait que celle-ci est du domaine public, c’est-à-dire que certaines personnes dépositaires de l’autorité publique usent de leur position fonctionnelle pour s’arroger certains marchés par des pratiques illicites.

Ainsi, en droit congolais des marchés publics la prise illégale d’intérêt trouve sa base à l’article 78 in fine de la loi sus évoquée en ces termes :

« Il y a prise illégale d’intérêts lorsqu’un fonctionnaire, un agent public ou un élu prend, reçoit ou conserve un intérêt dans une entreprise ou une opération dont il a, au moment de l’acte, la charge d’assurer la surveillance, l’administration ou la liquidation ».

Exemple : un député, Président d’une institution délibérante, facilite à une entreprise dont il est actionnaire pour procéder à la réhabilitation de l’hémicycle de son institution en violation de procédures relatives à la passation des marchés publics (càd sans appel d’offres), alors que le marché est estimé à plus de 75 000 000 $, il l’attribue à sa société.

Face à ce casus, voici les considérations, au regard de la procédure des marchés publics, qui en découlent :
- Le Président de cette institution est l’Autorité contractante émettrice du projet de réhabilitation de l’hémicycle ;
- Nature ou type du marché est celui des travaux ;
- Manque d’appel d’offres qui est une entorse procédurale ;
- Particularité de passation du marché est faite de gré à gré alors que ce marché devait se faire par appel d’offres suite au seuil financier de 75 000 000 $ avec un avis de non objection ou le contrôle de la Direction Générale de Contrôle des Marchés Publics.
- Autres exemples même l’affaire du procès 100 jours, d’aucuns considèrent qu’il y a eu nettement prise illégale d’intérêt. Nous y reviendrons lors d’une prochaine analyse.

Sur base de cet exemple, dans la plupart de temps, la prise illégale d’intérêt s’apparente souvent au gré à gré alors que ce dernier n’échappe pas aux mesures de contrôle sur les marchés publics, si et seulement si la personne dépositaire de l’autorité publique use de son influence lors de l’évaluation en vue de confier le marché à une société ou entreprise dans laquelle il a des intérêts, et ce, en vue d’en tirer les bénéfices pécuniaires qui en résulteraient.

3. De la répression de la prise illégale d’intérêt en droit congolais des marchés publics.

Aux termes de l’article 78 alinéa 1 de la loi sus évoquée, la prise illégale d’intérêt est punie de 25 000 000 à 50 000 000 franc congolais.

Il appert que le législateur se limite à des peines pécuniaires dans cette disposition alors qu’à l’article 77 de la même loi, il indique Toute infraction commise à l’occasion de la passation de marchés publics ou de délégations de service public sera punie du double de la servitude pénale prévue pour cette infraction. L’amende sera portée à un montant ne dépassant pas 50 000 000 de francs congolais.

Cela revient à dire que le législateur renvoie au Code pénal pour définir la nature de l’infraction commise et le taux de la peine applicable. Cependant, il est mal aisé de constater que la prise illégale d’intérêt n’est pas prise en considération par le Code pénal congolais.

IX. Conclusion.

Il serait de bon aloi que cette infraction de prise illégale d’intérêt soit insérée dans notre arsenal juridique notamment dans le Code pénal avec des peines d’emprisonnement lourde pour décourager les personnes qui usent de leur fonction pour des intérêts personnels. Au-delà des peines d’emprisonnement, autres peines comme la privation de droit d’éligibilité à un mandat électif dans la loi électorale.

Référence bibliographique.

I. Textes juridiques.

1. Code pénal français.
2. Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique tel que révisé à ce jour.
3. Loi n°10/010 du 27 avril 2010 relative aux marchés publics.

II. Ouvrages.

1. Jean-Bernard Blaise et Richard Desgorces, Droit des affaires, commerçant, concurrence, distribution, 8e Edition, LGDL Lextenso édition.
2. Lexique des termes juridique, 17e Edition Dalloz.

III. Articles.

1. Corneille Moukala-Moukoko, L’état de l’application du droit pénal des affaires OHADA dans les Etats-parties, Ecole régionale supérieure de la Magistrature ‘’Erusma-Benin’.
2. Marion Wagner, le droit pénal spécial et les fonctions publiques : une illustration des affres de la pénalisation à outrance, Dalloz/Revue de science criminelle et de droit pénal comparé.
3. Anthony Bem, les conditions légales du délit pénal de prise illégale d’intérêts, [16].

IV. Mémoires scientifiques.

1. El Air Mohamed Zied, L’infraction de corruption : Etude comparative entre le droit français et le droit tunisien, Université des sciences sociales, Toulouse 2009, DEA de sciences criminelles.

V. Sites web [17].

Samir Malanda Matabulu est Avocat au Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete.
Conseiller Juridique depuis 2021 au Cabinet de Monsieur Denis Kadima Kazadi, Président de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).

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Notes de l'article:

[1Voir prise illégale d’intérêt www.acheteurs-publics.com

[2Cass. 5 novembre 1998, Bull. n° 289.

[3Cass. crim. 5 juin 1890, Pagez, précité.

[4Cass. crim. 15 décembre 1905, Lanoix et, sur renvoi, Nancy, 22 février 1906, Lanoix, précités ci-dessus no 53.

[5Cass., 20 février 1995, pourvoi n° N 94-81.186.

[6Cass. crim. 10 avril 1897, Mauguin : Bull. crim. 139.

[7Poitiers, 23 mai 1952, Brandeau : D. 1952, 501.

[8Cass. crim. 4 juin 1996, no 94-84.405, Gartiser.

[9Cass. crim. 2 novembre 1961, Jean-Joseph, Bull. crim. 438 ; JCP 1961. IV. 169.

[10Cass.crim, 19 mars 2008, no 07-84288.

[11Nancy, 22 février 1906, Lanoix, précité.

[12Chambre Criminelle de la Cour de Cassation 13/01/2016 n°14-88382.

[13Cour de cassation, chambre criminelle, 5 avril 2018, R:17-81912.

[15Cass. crim. 19 mars 2008 n°07-84288.

[16Publié dans www.legavox.fr

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