Cependant, face à ces multiples risques auxquels ils sont exposés par le fait de leurs fonctions, les élus locaux bénéficient, à l’image des agents publics [1], d’une protection particulière et multidimensionnelle tendant non seulement faire cesser notamment les attaques et menaces dont ils peuvent faire l’objet, mais également à réparer les torts que ces faits sont susceptibles de leur causer. Il en est ainsi également s’ils sont poursuivis ou subissent un accident dans l’exercice de leur mandat.
1- Les motifs d’ouverture de la protection.
Protection des élus faisant l’objet de poursuites pénales et civiles.
Le mécanisme de protection fonctionnelle doit être mis en œuvre au bénéfice des élus qui font l’objet de poursuites pénales ou civiles pour des faits qui leur sont reprochés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions [2].
Par exemple, cette protection a pu être accordée à des maires ayant commis, dans l’exercice de leurs fonctions, des fautes de négligences dans l’application des règles de sécurité [3]. Il en a été ainsi pour un maire poursuivi pour diffamation en raison de propos tenus lors d’une réunion publique [4].
Toutefois, il convient de préciser que ce droit à la protection n’est ouvert aux élus qu’à partir de l’engagement de poursuites pénales à leur encontre, soit lors de leur mise en examen ou de leur renvoi devant une juridiction pénale, tandis que ce droit est accordé aux fonctionnaires au titre d’une garde à vue, d’une composition pénale ou d’une audition en qualité de témoin assisté [5].
A toutes fins utiles, même si le juge n’a pas encore tranché s’agissant de l’extension du bénéfice de la protection aux élus dans le cas des dernières hypothèses, le ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales a rappelé que l’intention du législateur en 2002 était d’étendre aux élus la même protection dont bénéficient les agents publics.
Protection des élus en cas d’accidents.
Les élus locaux bénéficient de la part de leur collectivité une protection fonctionnelle pour les dommages résultant des accidents qu’ils subissent lors de l’exercice de leurs fonctions. C’est en réalité un système assez classique de responsabilité administrative [6].
Ainsi, à l’image de la caractérisation des accidents de service des fonctionnaires, le juge retient une acception large de la notion d’exercice des fonctions ; il peut s’agir non seulement des cas dans lesquels les élus exercent des fonctions administratives (réunions permanences…), mais aussi de tous les événements auxquels ils participent en leur qualité d’élus [7], ou d’accidents de trajets liés à l’exercice de leurs fonctions [8].
Protection des élus contre les violences, menaces et outrages.
De ce qui précède il semble résulter une limitation matérielle de la protection fonctionnelle, une restriction [9] donc qui étonnait dès lors que ce dispositif devait se calquer sur celui applicable aux fonctionnaires qui s’étendait aux faits d’injure et de diffamation [10].
Toutefois, désormais, il est acquis que la liste n’est pas exhaustive, et que cette protection s’étend notamment, comme pour les fonctionnaires, aux injures et diffamations [11] et à toute menace ou attaque dont ils pourraient être victimes du fait de leurs fonctions [12].
2- Faute personnelle : l’obstacle au bénéfice de la protection.
Une seule condition de fond est requise pour bénéficier de la protection fonctionnelle : les faits en cause ne doivent pas avoir le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions d’élus qu’ils tiennent de leur mandat [13]. Dit autrement, il faut une absence de faute personnelle de leur part.
D’ailleurs, le juge a récemment donné une excellence définition de la faute personnelle des élus en relevant que :
« présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité » [14].
Il en résulte donc trois types de faits susceptibles de constituer une faute détachable de l’exercice desdites fonctions : les faits révélant des préoccupations d’ordre privé ; les faits qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice des fonctions publiques ; enfin, les faits qui, eu égard à leur nature et aux conditions de leur commission, revêtent une particulière gravité.
Ainsi, à titre d’illustration : la collectivité ne peut en aucun cas prendre en charge les frais de justice d’un élu poursuivi pour des actes commis dans le cadre de sa vie privée [15] ; il en est de même de l’achat par celui-ci, avec des fonds communaux, de biens utilisés à des fins privées [16], ou des propos de sa part constitutifs de provocation à la haine contre une communauté [17].
En revanche, la protection est généralement ouverte à l’élu en l’absence de faute personnelle de sa part, auquel cas tout refus serait illégal [18] sauf motif d’intérêt général.
En tout état de cause, l’octroi donc de la protection à un élu n’est pas automatique quel que soit le cas d’ouverture, et il appartient à sa collectivité d’apprécier la gravité des faits en cause et de juger des modalités appropriées pour assurer sa protection [19].
Quid de la faute personnelle découverte postérieurement à la mise en œuvre de la protection fonctionnelle ? Est-ce possible le retrait ?
C’est l’hypothèse où la collectivité qui a accordé la protection fonctionnelle en raison, pensait-elle, de l’existence d’une faute de service découvre l’existence d’une faute personnelle de l’élu qui peut, dès lors, être responsable civilement.
Dans ces conditions, il a été jugé que la collectivité ne peut pas procéder au retrait de la décision de protection, laquelle ne peut cesser de produire ses effets que pour l’avenir [20]. Cette abrogation est la conséquence logique de l’existence d’une décision créatrice de droits et non soumise au respect de conditions.
En ce sens, le Conseil d’état précise :
« l’autorité administrative peut mettre fin à cette protection pour l’avenir si elle constate à la lumière d’éléments nouvellement portés à sa connaissance que les conditions de la protection fonctionnelle n’étaient pas réunies ou ne le sont plus, notamment si ces éléments permettent de révéler l’existence d’une faute personnelle ou que les faits allégués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis » [21].
3- Les élus éligibles à la protection.
Cette protection s’applique, en premier lieu aux maires, présidents d’EPCI, présidents de conseils départemental et régional, ainsi qu’aux élus les suppléant ou ayant reçu une délégation, et c’est même après avoir cessé l’exercice de leurs fonctions [22].
En outre, lorsque le maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation fait l’objet de poursuites en raison de faits commis alors qu’il agissait comme officier d’état civil, ce n’est pas la collectivité mais l’Etat qui, du fait de sa qualité d’agent de l’Etat, pourra leur accorder ladite protection [23].
S’agissant particulièrement de la protection contre les violences, menaces, outrages …, elle est étendue aux conjoints, enfants et ascendants directs des élus bénéficiaires s’ils sont également victimes desdits actes en raison des fonctions de ces derniers [24].
Concernant les autres conseillers locaux (des simples conseillers), l’incertitude sur l’extension de la protection sur eux demeure, dès lors qu’ils ne sont pas mentionnés expressément dans les textes. Cependant, avant la loi du 10 juillet 2000, elle bénéficiait généralement à tous les élus locaux.
Néanmoins, même si aujourd’hui sur cette question rien n’est encore clairement tranché, dans la pratique, il arrive que la protection soit accordée (ou pas) à des conseillers locaux en raison de leur qualité de simples conseillers.
En revanche, l’ensemble des élus locaux bénéficient de la protection fonctionnelle en raison des accidents qu’ils subissent dans l’exercice de leurs fonctions [25].
4- Les modalités de la protection.
Souvent résumée à la prise en charge des frais de justice, la protection fonctionnelle est en réalité bien plus large et comprend, outre l’assistance financière de la collectivité, des mesures de protection administrative et de réparation.
Mesures de protection administratives.
lorsqu’un élu se retrouve dans une des situations susdites (cf. point 1), la collectivité se doit d’envisager immédiatement les mesures appropriées pour assurer sa protection.
Ainsi, en cas de menaces contre lui, elle doit prendre des dispositions nécessaires pour les faire cesser immédiatement, ou mettre à l’écart un élu mis en cause pour des faits de harcèlement par exemple. Elle peut aussi mettre en place des actions de sensibilisation et de formation.
De plus, s’agissant par exemple de propos injurieux ou diffamatoires tenus contre un élu lors d’une réunion, le président de séance, assurant la police de l’assemblée, doit faire usage de ses prérogatives, le cas échéant en privant de parole l’auteur des propos (membre de l’auditoire ou conseiller), ou en le faisant expulser de la séance, et si besoin, en ayant recours à la force publique.
La collectivité peut être également bien inspirée de publier une communication officielle, par voie de presse ou dans son journal périodique, pour protéger l’honneur et la réputation de l’élu mis en cause.
Du reste, la collectivité doit lui fournir toutes les informations utiles sur les démarches administratives et actions contentieuses à sa disposition, le cas échéant une assistance matérielle.
Mesures d’assistance financière.
Les élus intéressés sollicitent généralement la protection fonctionnelle pour bénéficier de l’assistance financière de la collectivité. En effet, c’est souvent la prise en charge par la collectivité des frais de justice qu’ils demandent (frais d’assistance et de représentation) [26] ou médicaux en cas d’accident.
Toutefois, la collectivité n’est jamais tenue de prendre en charge l’intégralité des frais de justice. Elle conserve en effet la faculté d’apprécier si par exemple ces frais sont justifiés et en adéquation avec la prestation de l’avocat [27]. Elle peut même, dans certains cas, décider de ne pas prendre en charge la totalité des frais engagés [28], voire refuser la prise en charge pour des motifs d’intérêt général [29].
En outre, la collectivité est tenue de réparer l’intégralité des préjudices (matériels, physiques, moraux …) subis par les élus locaux en raison de leurs fonctions.
5- L’octroi de la protection, une compétence de l’assemblée délibérante.
Quelques soit les motifs d’ouverture de la protection fonctionnelle, la décision d’attribution de la protection fonctionnelle relève de la compétence exclusive de l’organe délibérant, conseil municipal ou de l’intercommunalité, qui doit, par lâ même, en définir les « modalités permettant d’atteindre l’objectif de la protection et de la réparation » [30].
Ainsi, le maire ne peut d’ailleurs en aucun cas faire obstacle à l’exercice de cette compétence en refusant notamment d’inscrire à l’ordre du jour une demande à cet égard [31].
De plus, convient-il d’être particulièrement vigilant à la composition de cette assemblée délibérante lorsqu’elle statue sur une demande de protection fonctionnelle. En effet, les élus demandeurs de la protection ne doivent participer à aucune des délibérations portant sur leur demande, sous peine de commettre de délits de prise illégale d’intérêts ou de détournement de fonds publics [32].
Donc s’il est admis que c’est à bon droit que le maire puisse présider la séance au cours de laquelle le conseil municipal lui accorde la protection [33], il ne peut en revanche participer à la délibération par laquelle ce conseil lui accorde le bénéfice de la protection, sous peine de commettre une faute détachable de ses fonctions [34].
Enfin, dans le cas où la collectivité a pris en charge la réparation des préjudices subi par l’élu, il est expressément prévu, là encore, que celle-ci est subrogée dans les droits de cet élu victime, pour obtenir des responsables la restitution des sommes qu’elle a été conduite à lui verser. Elle dispose à cet égard d’une action directe qu’elle peut exercer, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant les juridictions pénales [35].
A ce titre, a été jugée recevable l’action judiciaire d’une commune constituée partie civile dans le cadre de l’action publique déclenchée contre un individu poursuivi pour outrage envers un agent municipal, en vue d’obtenir le remboursement non seulement des sommes directement versées au fonctionnaire victime, mais également la prise en charge financière des frais et honoraires de l’avocat représentant l’agent [36].
Discussions en cours :
Merci et félicitations pour votre présentation exhaustive,précise et très accessible de cette question complexe
J’y ai trouvé toutes les réponse à mes questions, et en particulier sur les motifs pouvant interdire l’octroi de la
protection fonctionnelle
Bonjour,
BRAVO et MERCI pour cet excellent article très documenté et précis sur un sujet compliqué du fait qu’il est dit et contredit par la jurisprudence au regard des éléments de contexte ce qui est bien normal et fait ainsi toute la richesse du droit et de son application judiciaire.
Une question n’est pas tranchée me semble t’il à ce jour : "Que dit le juge lorsqu’un maire intervient dans un débat sur une délibération lui attribuant la protection fonctionnelle alors qu’il est intéressé directement à l’affaire ?
Pour moi la loi est stricte et condamne toute intervention de l’élu à fortiori quand il s’agit du maire par une annulation pure et simple de la délibération incriminée. Par contre, j’ai l’impression que la jurisprudence tend à regarder si l’intervention de l’élu a eu une influence sur le vote des conseillers. Je trouve cette interprétation particulièrement sujette à caution car le fait majoritaire est tellement prégnant dans un conseil municipal (surtout dans les petites et moyennes communes) qu’il est quasiment impossible d’apprécier l’influence sur le vote des conseillers.
Qu’en pensez-vous ?
Cordialement
Merci pour cet excellent article. Sur le contenu de la délibération assurant la protection fonctionnelle et les éléments portés à la connaissance des élus qui doivent donc se prononcer in concreto, il serait intéressant d’évoquer la problématique entre le secret de l’instruction et l’aspect public des délibérations. Je pense que le huis clos en séance est alors nécessaire. La délibération étant en l’espèce un acte individuel, elle n’a pas à être affichée (et le compte rendu public de la séance de même que le registre des actes administratifs devrait censurer le détail des faits). Bref un beau sujet de complément à venir.