La protection fonctionnelle de l’élu local.

Par Tom Senegas, Avocat.

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Explorer : # protection fonctionnelle # Élus locaux # faute personnelle # assistance financière

Les élus locaux peuvent bénéficier d’une protection efficace s’ils sont victimes d’attaques, sont poursuivis ou subissent un accident dans l’exercice de leur mandat. Pour ce faire, certaines conditions doivent être réunies et la procédure appropriée suivie.

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Dans le cadre de leur mandat, les élus locaux sont exposés aux attaques ou actions judiciaires de leurs administrés et opposants. Comme les agents territoriaux, ils bénéficient du régime de protection de leur commune ou intercommunalité [1].

Les élus bénéficiaires.

La loi vise le Maire ainsi que l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation, ce qui recouvre les adjoints et conseillers municipaux délégués (le Président et les Vice-Présidents dans le cadre d’un EPCI). Toutefois, le Conseil d’Etat a étendu l’obligation d’accorder à un agent public la protection fonctionnelle à tous les agents, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions. Par analogie, l’ensemble des élus locaux pourraient donc être éligibles à la protection fonctionnelle, à la condition toutefois d’être mis en cause ès-qualités [2]. Autrement dit, si ce sont le plus souvent les membres de l’exécutif qui sont concernés, il est possible aussi aux membres de l’assemblée de bénéficier de la protection.

De nombreuses situations concernées.

Les cas d’ouverture de la protection fonctionnelle sont de trois ordres. D’une part, le dispositif est ouvert aux élus faisant l’objet de poursuites pénales et civiles (faute de négligence dans l’application de règles de sécurité, diffamation lors d’une réunion publique, attribution d’un marché public sans mise en concurrence à une entreprise sciemment favorisée). D’autre part, la protection est également ouverte à l’élu victime de violences, menaces ou outrages. Outre des violences physiques, les menaces et attaques concernant la réputation ou l’honneur de l’élu sont incluses [3]. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé qu’ouvre droit à la protection une dénonciation dans une lettre anonyme comme des imputations calomnieuses [4].

Enfin, la protection est ouverte aux élus en cas d’accidents subis lors de l’exercice des fonctions. En pratique, il peut s’agir bien sûr d’accidents subis au cours d’une réunion ou, pour un conseiller municipal délégué à l’environnement, d’une chute survenue après sa descente de l’autocar au retour d’une visite de station d‘épuration [5]. Les accidents de trajets liés à l’exercice de la fonction ouvrent aussi droit à la protection. Il en est ainsi de l’accident survenu lors du parcours habituel entre le domicile et le lieu de l’exercice de la fonction (mairie ou siège de l’intercommunalité le plus souvent), sauf circonstance particulière détachant l’accident de la fonction [6].

La principale condition : l’absence de « faute personnelle ».

Quel que soit le motif d’ouverture de la protection, il est nécessaire que l’élu n’ait pas commis de faute détachable de ses fonctions. En effet, la commission d‘une faute personnelle détache les faits du mandat et empêche l’attribution de la protection.

Ainsi, la collectivité ne peut, par exemple, prendre en charge les frais de justice d’un élu poursuivi pour des actes commis dans le cadre de sa vie privée. Le juge administratif contrôle l’existence, ou non, d’une faute personnelle. Celle-ci peut être parfois difficile à apprécier car ni la qualification retenue par le juge pénal, ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent par eux-mêmes à caractériser une faute personnelle, et justifier dès lors que la protection soit refusée [7].

De manière générale, trois types de faits sont susceptibles de constituer une faute détachable des fonctions électives : les faits révélant des préoccupations d’ordre privé ; les faits qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ; enfin, les faits qui, eu égard à leur nature et aux conditions de leur commission, revêtent une particulière gravité. A titre d’illustration, la protection a pu être accordée à des maires ayant commis, dans le cadre de leurs fonctions, des fautes de négligence dans l’application de règles de sécurité (par ex : faute dans la gestion d’une station de ski ayant conduit à un accident d’un engin de damage [8]), ou à un Maire poursuivi pour diffamation en raison de propos tenus lors d’une réunion publique [9].

Sont en revanche qualifiées de fautes personnelles l’achat par le Maire, avec les fonds communaux, de voitures de sport utilisées à des fins privées [10] ou des propos constitutifs de provocation à la haine contre la communauté rom [11]. En pratique, la protection est le plus souvent ouverte à l’élu local.

En l’absence de faute personnelle, le refus est même illégal [12], sauf motif d’intérêt général.

La compétence de l’assemblée.

Concernant les élus locaux, l’attribution de la protection fonctionnelle est de la compétence exclusive de l’assemblée délibérante [13], conseil municipal ou de l’intercommunalité. A cet égard, il faut être particulièrement vigilant à la composition de l’assemblée lorsqu’elle statue sur une demande de protection. En effet, le ou les élu(s) qui ont sollicité ce dispositif ne doivent en aucune façon participer à la délibération y afférente. Si tel était le cas, les délits de prise illégale d’intérêts ou de détournement de fonds publics pourraient être caractérisés [14]. Il s’agit là d’une application de la notion de conseiller intéressé [15]. L’organe délibérant détermine alors les formes de la protection allouée.

Les formes variées de la protection.

La protection fonctionnelle peut revêtir des formes très variées. Il peut s’agir d’une assistance financière (la plus courante) consistant en la prise en charge des frais de justice et/ou de consultation d’avocat, dans le respect du libre choix de l’avocat par l’élu, ainsi que de frais médicaux [16]. Bien que cet aspect soit moins connu, il est aussi permis à l’élu de solliciter l’indemnisation d’éventuels dommages directement auprès de la collectivité. Dans ce cas, cette dernière sera subrogée dans les droits de l’élu indemnisé, lui permettant de rechercher la responsabilité civile des auteurs (de l’agression physique ou de la dénonciation calomnieuse par exemple). Ce faisant, la collectivité pourra demander le remboursement de l’indemnisation préalablement versée à ce dernier [17].

Enfin, les mesures prises par la collectivité peuvent consister à prévenir ou faire cesser les attaques dont l’élu est victime (utilisation de la police de l’assemblée en cas de propos injurieux, publications officielles etc.). Au total, on le voit, les formes de la protection sont très diverses, la collectivité devant apporter une réponse idoine à la situation de l’élu. En cas de réponse inadaptée, ou de refus illégal de la protection, la responsabilité de la collectivité peut être engagée pour faute [18].

Devant répondre efficacement à des situations diverses, la protection des élus a un coût qui n’est pas anodin pour le budget de la collectivité. C’est pourquoi la loi Engagement et Proximité du 29 décembre 2019 a rendu obligatoire pour toutes les communes de souscrire un contrat d’assurance couvrant l’obligation de protection fonctionnelle. Pour les communes de moins de 3.500 habitants, le coût d’une telle assurance est compensé par l’Etat. Ainsi, les élus n’ont plus à craindre que ce dispositif pèse trop lourdement sur le budget de leur collectivité.

Tom Senegas
Avocat - Spécialiste en Droit public & Commande publique

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[1Art. L2123-34 et L. 2123-35 du CGCT (L5211-15, L5215-16 et L5216-4 pour les intercommunalités).

[2CE, 8 juin 2011 : n°312700 - CE, 20 mars 2017 : n°388404.

[3CAA Paris, 4 nov. 1999 : n°97PA02606.

[4CE, 26 mars 1965, Villeneuve : Rec. CE, page 207.

[5CE, 27 mars 1991, Cne La Garde : LPA 20 nov. 1991.

[6CE, 17 janv. 2014 : n°352710.

[7.CAA Douai, 24 mai 2017 : n°15DA00805.

[8Crim. 18 mars 2003, n°02-83.523.

[9CAA Versailles, 11 déc. 2008 : n°06VE02776.

[10CE, 30 déc. 2015, Cne de Roquebrune-sur-Argens : n°391798.

[11CE, 30 déc. 2015, Cne de Roquebrune-sur-Argens : n°391800.

[12CE, 18 mars 1994 : n°92410.

[13CE, 9 juil. 2014 : n°380377.

[14CE, 24 fév. 2016 : n°390843.

[15Art. L2131-11 CGCT.

[16Art. L2123-32 CGCT.

[17V. par ex. : Crim., 2 sept. 2014 : n°13-84.663.

[18V. par ex : CAA Lyon, 3 avril 2001 : n°98LY00960.

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Discussions en cours :

  • par Paule68 , Le 28 février 2024 à 14:32

    Bonjour,

    Je suis élue dans une collectivité ayant subit des propos diffamatoires, injurieux etc... sur les réseaux sociaux.
    Une plainte à été déposée . j’ai fais une demande de protection fonctionnelle qui à été refusée par l’assemblée Plénière.
    quel recours pour que la collectivité prenne en charge mes frais d’avocat et d’huissier dans le cadre de cette affaire.

    merci de votre aide.

  • par Sonialy2023 , Le 17 juin 2023 à 07:47

    Bonjour,
    Est ce que la protection fonctionnelle peut-être sollicitée par un ancien élu local (mandature (2014 -2022) pour des faits qu’il dénonce comme diffamatoires et qui ont lieu en mai 2023 ?

  • par Lecoinnet Jean-Philippe , Le 22 mai 2023 à 14:22

    Bonjour Je suis élu d’opposition...Est-ce que ce protocole fonctionne si je suis opposé à un adjoint ?

  • par untel , Le 26 avril 2022 à 16:07

    Bonjour,

    Cela veut-il dire qu’il est désormais illégal de faire porter le poids financier des protections fonctionnelles des élus à la collectivité depuis la loi de décembre 2019 et le décret paru en 2020 ?
    Et sur le fond, quelles sont les démarches judiciaires qui ne peuvent être supportées financièrement.
    C’est à dire si l’élu veut poursuivre quelqu’un pour un motif relevant de la procédure bâillon mais est retoqué par le procureur ou le doyen des juges, la collectivité doit elle rembourser les frais d’huissier/avocats avancés par l’élu (en général 5500 euro pour diffamation ou insulte et plus pour menace) pour initier les démarches ?

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