Qui pour mener l’enquête interne ?
Ni formation ou qualification spécifique n’est légalement requise, et aucune certification officielle n’existe pour l’instant.
On notera cependant que le Défenseur des droits a réitéré "ses considérations sur la nécessité de mieux encadrer les conditions de déroulement d’une enquête interne en matière de harcèlement sexuel et sexiste et de discrimination, en s’assurant que les enquêteurs présentent les garanties de compétence et d’indépendance requises" [4].
Petite précision sur les IPRP (Intervenant en Prévention des Risques Professionnels) et l’habilitation par la DREETS. En effet, tout employeur est tenu de nommer un IPRP au sein de son entreprise. Cependant, si l’employeur ne peut trouver au sein de l’entreprise des salariés ayant les compétences nécessaires, il peut faire appel notamment à des IPRP externes, enregistrés par les DREETS (Directions Régionales de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités). Or ces IPRP proposent parfois de mener également les enquêtes internes. Mais c’est bien au titre d’IPRP qu’ils sont enregistrés, il ne s’agit pas d’une certification relative à l’enquête interne spécifiquement.
Le choix de la mener en interne ou en externe dépend des faits (de leur gravité et/ou de leur complexité), et des moyens et ressources dont l’entreprise dispose en interne.
En effet, en la menant en interne, l’enquête s’appuie sans doute sur une meilleure connaissance de l’entreprise, peut être plus rapide, pour un coût réduit (puisque c’est en moyenne un minimum de 2 000 euros qu’il faudra compter pour un traitement en externe).
En externe, cela apporte les avantages théoriques de plus de neutralité et d’une connaissance plus poussée tant sur le fond (textes de loi etc.) que sur la forme (respect des principes permettant de rendre l’enquête plus solide).
L’enquête interne peut être confiée à un service de l’entreprise ou à un professionnel indépendant.
1) Dans l’entreprise.
- à l’employeur directement ;
- au service des RH, qui peut s’appuyer sur le service juridique ;
- aux représentants du personnel (CSE), (qui peuvent a minima y être associés, sans que cela ne soit obligatoire) ;
- au "référent harcèlement" [5].
2) En dehors de l’entreprise.
- à un avocat ou à un médiateur ;
- à un détective ;
- à un consultant.
Retours d’expériences et regard des professionnels sur l’enquête interne.
Le regard de Lionel Gonzales, Juriste, Médiateur près les Cours d’appel de Paris et de Grenoble et Conseiller prud’homal.
V.J : Qui pour mener l’enquête interne ?
L.G : « L’enquête interne est faite sous la responsabilité de l’employeur. C’est au titre de son obligation de sécurité et de son pouvoir de direction, qu’il doit intervenir.
Il appartient ensuite à l’employeur de choisir comment l’enquête s’organise. Elle peut être en interne ou en externe. Tout va dépendre des enjeux en présence, du niveau de risque et du savoir faire ou de l’envie des personnes dont dispose l’entreprise.
- L. Gonzalez
L’enquête doit organiser l’écoute et la formalisation, elle peut être défavorable à l’un des salariés impliqués ou à l’entreprise.
En cas de contentieux ou de contestation le rapport est important afin d’apporter la preuve des faits et de justifier des décisions à prendre. L’employeur doit toujours être partie prenante car le rapport doit l’aider à intervenir et à organiser un plan d’action des mesures correctives. »V.J : Quelles sont les conditions/qualités minimum que doit réunir celui qui la dirige ?
L.G : « La personne en charge de l’enquête doit avoir avant tout une posture de médiateur : écoute, neutre, impartial. Il faut éviter la posture d’enquête de police, trop violente psychologiquement.
L’enquêteur n’est pas juge non plus ! Il ne lui appartient pas de statuer sur la notion de harcèlement. Seul le juge peut le faire, la qualification du rapport ne lie pas le juge.
Le cadre de confidentialité doit être posé. Un médiateur externe avec une confidentialité légale sera plus à l’aise.
Ne pas avoir de difficulté avec les sujets de harcèlement moral ou sexuel, c’est-à-dire que ces sujets ne doivent pas trop faire écho à titre personnel.
La personne doit également bien connaitre la procédure afin d’organiser son rapport et les attestations suites aux auditions. »
Le regard de Nathalie Leroy, Avocate, enquêtrice en harcèlement moral et sexuel, et membre de l’Association nationale des avocats enquêteurs en droit social.
V.J : En quoi est-ce opportun de faire appel à un avocat pour mener une enquête interne ?
N.L : « Il existe peu de groupes qui ont, en interne, des enquêteurs et dès lors, la question pour le plus grand nombre d’entreprises est de savoir vers qui se tourner pour qu’une enquête interne soit externalisée. J’ajoute que même dans les grands groupes, lorsqu’un signalement touche un membre de la gouvernance, il est rare que l’enquête ne soit pas externalisée.
- N. Leroy
Il existe sur la place de nombreux cabinets qui proposent des enquêtes. Et il est difficile de s’y retrouver. Mais les avocats font la différence. Pourquoi ? Ils sont des professionnels, diplômés après au moins 4 années d’études supérieures en droit et un examen d’entrée et de sortie de l’école du barreau. En plus de ces diplômes, leur pratique, assise sur une déontologie stricte est encadrée par l’ordre des avocats. Enfin, leur exercice est couvert par une assurance en responsabilité professionnelle.
Si le cadre des enquêtes existe, beaucoup de points restent dans un certain flou autour des pratiques, ce qui nécessite, même pour les avocats, de répondre à de nombreuses questions éthiques. Je dirais que l’avocat enquêteur est un avocat « augmenté » au regard des qualités dont il doit faire preuve. »V.J : Si l’enquêteur interne n’est pas avocat, quelles qualités/ conditions doit-il au minimum réunir ?
« L’intégrité, le professionnalisme et l’écoute. Mener une enquête nécessite de laisser tous ses préjugés à la porte et ne pas céder aux pressions, d’où qu’elles viennent pendant l’enquête, et il y en a… Et en tant qu’avocat, nous avons cette totale indépendance. »
V.J : Et côté formation : quelles sont les bases essentielles à avoir ?
N.L : « Une base juridique solide. Le harcèlement ou la discrimination sont des notions juridiques complexes qui ne peuvent être laissées au jugement d’un « ressenti ». Ces concepts correspondent à des critères juridiques. Mais cela nécessite également une approche systémique, car le harcèlement comme la discrimination peuvent exister dans un système et pas dans un autre. Il faut donc apprendre à le décrypter dans ce cadre. Enfin, le harcèlement et la discrimination sont le fruit d’un comportement et là aussi, l’enquêteur doit avoir un minimum de connaissances dans ce domaine. »
Le regard de Marie-Christelle Robert, Responsable des Ressources Humaines, et Eve Renault, Consultante IPRP.
M-C. R : « En cinq ans, j’ai dû faire face en tant que RH à 4 cas de dénonciation de harcèlement moral dans mon entreprise, soit 4 enquêtes externes. Notamment parce que la direction était incriminée, j’ai fait le choix de me tourner vers un consultant externe et de lui confier les enquêtes.
J’ai cherché sur internet un consultant (en regardant notamment l’agrément IPRP par la DREETS) (NDLR : voir explications supra). Il faut aussi que le « feeling » passe avec le consultant choisi (c’était le cas avec Eve). Car il faut avoir en tête que le consultant externe pose beaucoup de questions, il investigue réellement, il ne faut pas s’en offusquer ! En tant que RH, dans ce cadre, votre rôle est uniquement de transmettre les infos dont le consultant a besoin, le RH ne doit pas se mêler de l’enquête. Il faut vraiment se positionner seulement comme le relais dans l’entreprise. »ER : « Oui nous posons des questions, à tous, au plaignant comme à l’entreprise.
- M-C. Robert et E. Renault
Je tiens à souligner quelque chose : il ne faut pas que le consultant choisi (et ce sera pareil pour les avocats notamment) travaillent avec l’entreprise sur d’autres sujets (hors enquêtes internes), que l’entreprise et le professionnel se connaissent par ailleurs. De la même façon, attention aux enquêtes successives dans la même entreprise : si elles concernent le même « dossier », mieux vaut changer de consultant.
Autre point important : il faut quoiqu’il en soit prendre quelqu’un qui connait bien le monde de l’entreprise et ses rouages. »Et mener l’enquête uniquement en interne, qu’en pensez-vous ?
M-C. R et ER : « C’est possible (et c’est notamment moins coûteux), mais selon nous, plutôt dans les grosses entreprises, si la direction n’est pas impliquée, et en fonction de la gravité des enjeux. »
Comment se former à la conduite d’enquêtes internes ?
Qui dit nouveau domaine, dit aussi nécessité de former les professionnels l’exerçant. Voici quelques premières formations trouvées, mais notez bien qu’elles n’offrent pas de certification officielle ou de diplôme réel à l’enquêteur interne, on parle ici de formation continue complémentaire.
Formations longues :
Certification d’enquêteur en risques professionnels à l’ENERP (École nationale des enquêteurs en risques professionnels) d’une durée de 10 mois.
Plus largement : les universités dispensent des DU (notamment) liés à la gestion de conflits ou aux risques psychosociaux en entreprise.
Formations courtes :
Formation pour les avocats à l’EFB "L’enquête interne".
Formation Signalement de harcèlement : mener l’enquête, chez Lamy Liaisons sociales (1 heure).
Formation Harcèlement moral et harcèlement sexuel : maîtriser les notions et mener une enquête interne, chez Lefebvre Dalloz (1 journée).
Module Droit de l’enquête interne, à l’École Supérieure de la Sûreté des Entreprises (1/2 journée).
Savoir mener une enquête interne, chez Eleas.
Guides :
"Harcèlement sexuel et agissements sexistes au travail : prévenir, agir, sanctionner", Guide du Ministère du travail et de l’emploi.
"L’avocat français et les enquêtes internes", Guide du Conseil National des Barreaux.
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Contours jurisprudentiels de l’enquête interne : nos articles ressources sur le Village de la Justice.
Harcèlement au travail, l’enquête interne et son protocole. Par Eve Renault, Consultante.
"Enquêtes harcèlement" au travail : arrêtons le massacre ! Par Lionel Gonzales, Juriste.
Harcèlement au travail : l’enquête interne. Par M.Kebir, Avocat.
Harcèlement moral en entreprise et enquêtes internes. Par Marion Moraly, Avocat.
Enquête interne : le rôle crucial du Défenseur des Droits dans la lutte contre le harcèlement sexuel au travail. Par Christian Bos.
Harcèlement moral : l’enquête interne n’est pas obligatoire. Par Xavier Berjot, Avocat.
NDLR : L’enquête interne est finalement un nouveau secteur, dont les contours se dessinent progressivement... Notre article est donc amené à évoluer et sera mis à jour régulièrement. N’hésitez-pas à commenter l’article en bas de page.