[RDC] Regard constitutionnel du report de la convocation des élections.

Par Perry-Grace Selemani Ngwamba, Debrecker Kayembe Ngoie et Joël Mutshimwana Kafwata, Assistants.

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Explorer : # report des élections # contraintes techniques # processus électoral # régularité des scrutins

Cet article s’intéresse à la question de la prolongation de la convocation des élections en RDC, qui est devenu une question récurrente presque à chaque cycle électoral. A cet effet, que faire lorsque les raisons des contraintes techniques et opérationnelles liées aux processus électoral au regard de la mission de la CENI refont surface pour le cycle électoral de 2023.

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Il a été retenu cependant diverses raisons pouvant mener au report des élections dont l’état de nécessité ; D’où plusieurs jurisprudences sont analysées comme seule solution à suivre.

Notons aussi que dans toutes ces décisions judiciaires sont approuvées par le décret du 12 novembre 1886, afin de s’assurer de la régularité des scrutins prévus.

Introduction.

La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) en sigle, est une institution d’appui à la démocratie, instituée et dotée de la personnalité juridique en vertu de l’article 211 de la constitution de la République Démocratique du Congo du 18 février 2006 telle que modifiée par la loi nº11/002 du 20 janvier 2011 qui dispose :

« Il est institué une Commission électorale nationale indépendante dotée de la personnalité juridique. La Commission électorale nationale indépendante est chargée de l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout référendum. Elle assure la régularité du processus électoral et référendaire. Une loi organique fixe l’organisation et le fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante » [1].

Ainsi, conformément aux articles 26 de la loi organique nº10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la CENI telle que modifiée et complétée par la loi nº13/012 du 19 avril 2013 et 38 du Règlement Intérieur de la CENI tel que déclaré conforme à la constitution par la Cour Suprême de Justice, faisant office de la Cour Constitutionnelle, en vertu des dispositions de l’article 211 de la constitution qui donne la mission de l’organisation du processus électoral et référendaire en disposant in fine qu’ :« Il est institué une Commission électorale nationale indépendante dotée de la personnalité juridique ; la Commission Electorale nationale Indépendante est chargée de l’organisation du processus électoral, notamment de l’enrôlement des électeurs, de la tenue du fichier électoral, des opérations de vote, de dépouillement et de tout referendum ; Elle assure la régularité du processus électoral et référendaire ; Une loi organique fixe l’organisation et le fonctionnement de la Commission électorale Nationale Indépendante » [2].

A cet effet, que faire pour des raisons des contraintes techniques et opérationnelles liées aux processus électoral au regard de la mission de la CENI qui est celle de prendre en charge l’organisation des scrutins dans son ensemble ; au regard aussi des exigences fixées par le constituant aux articles 2, 5 et 226 de la Constitution de la RDC et de sa mission constitutionnelle d’assurer la régularité de l’ensemble du processus électoral ?

En effet, c’est dans ces questionnements que cet article trouve sa problématique en cherchant à savoir les voies de sorties pour répondre favorablement à la question récurrente du non-respect du délai constitutionnel de la convocation des élections par la CENI en République Démocratique du Congo et de la régularité de l’ensemble du processus électoral ?

C’est dans une démarche herméneutique qui consiste à une interprétation des textes nécessitant une explication, et plus particulièrement des textes juridiques. C’est-à-dire qu’il s’agit ici de traduire l’esprit de la lettre en expliquant ce qu’il y a d’obscur et d’ambigu dans un écrit, dans une loi ou dans une constitution pour deviner, induire, conclure ou tirer d’une chose quelque indication, quelque présage afin de donner lumière à une question de droit qui en résulte, ce qui s’ensuit d’une délibération, d’un principe, d’une opération ou d’un évènement etc …

I. Problématique.

D’abord, il faut signaler que ni la constitution elle-même, ni la loi électorale en vigueur n’ont prévu des mesures à prendre en cas de circonstances exceptionnelles et imprévisibles qui obligeraient à proroger les délais d’organisation des scrutins là où le constituant les a formellement déterminés.

Ensuite, il sied de préciser que la Haute Cour considérée comme le constituant dérivé peut valablement, devant l’urgence et la gravité de la situation, compléter le constituant originaire. Egalement, parce que, comme toutes les Cours constitutionnelles du monde, elle est la seule institution qui jouit d’un pouvoir régulateur qui permet de compléter ou de corriger le constituant et le législateur en cas de silence de la constitution et/ou de la loi électorale en espèce ou de l’inadéquation entre celles-ci et la réalité politique ou sociale.

Egalement aussi parce que, en s’appuyant sur la jurisprudence, la CENI pour éviter le chaos politique doit pouvoir recourir à la Cour Constitutionnelle pour résoudre certaines situations imprévues et invisibles.

Enfin, la Haute Cour peut prendre en compte la réalité sociale et politique de l’heure pour constater le dépassement du délai légal d’organisation des élections en affirmant le caractère irréversible du processus d’élection par la force majeure empêchant la CENI de le faire dans le délai légaux.

Ainsi, la primauté de l’exigence de la crédibilité du scrutin fondée sur la prise en compte des contraintes techniques en relevant que « il découle de ce qui précède que les délais en matière électorale sont des délais d’ordre de procédure dont le respect s’impose en temps normal au regard de la déclinaison de l’ensemble du processus électoral défini par l’alinéa 2 de l’article 211 de la constitution qui mentionne successivement l’enrôlement, la tenue du fichier et ensuite les opérations de vote ».

En l’espèce la CENI en RDC se trouve toujours confrontée à la nécessité absolue de conformer les listes électorales aux exigences de l’article 5 de la constitution qui dispose :

« la souveraineté nationale appartient au peuple, tout pouvoir émane du peuple qui l’exerce directement par la voie de referendum ou d’élections et indirectement par ses représentants ».

D’où le délai nécessaire à cette opération de révision du fichier électoral constitue une donnée technique objective qui s’impose à la CENI donc les dates sont constitutionnellement prévues pour permettre la crédibilité et la transparence des élections, elles ne valent que pour ce but, lorsque par leur rigidité, elles sont susceptibles de nuire à cette objectivité et de porter atteinte à la paix sociale, elles devraient être adaptées à la réalité qu’enseigne l’exigence de la transparence en matière électorale.

Pour toutes ces raisons, il est impérieux et vital d’analyser comment sortir juridiquement la CENI de l’impossibilité ou de l’impasse technique et/ou matérielle pour procéder à la convocation et à l’organisation des scrutins sur la base du calendrier constitutionnel pour lui permettre d’assurer la régularité de l’ensemble du processus électoral.

II. Analyse thématique.

La CENI en RDC est souvent confrontée à des défis de nature diverse et qui peuvent être détaillés comme suit :

1. Défi légal.

Elle doit nécessairement disposer d’une loi électorale amendée pour la répartition des sièges étant donné que dans sa formulation actuelle la loi en vigueur prévoit la répartition des sièges sur base du nombre d’habitants de la circonscription électorale au lieu de la faire sur base du nombre des électeurs.

2. Défi logistique.

L’acquisition, le conditionnement et le déploiement des matériels électoraux nécessitent d’importants moyens en termes de ressources humains, financières et logistiques.

3. Défi sécuritaire.

Il est essentiel pour permettre, non seulement de sécuriser tout le territoire national, mais aussi les élections elles-mêmes en affectant et en prenant en charge, à chaque centre d’inscription et à chaque bureau de vote, au moins 2 policiers, en plus des agents de sécurité non apparents.

4. Défi financier.

Ce défi est lié à la budgétisation des dépenses relatives aux opérations électorales et au décaissement à bonne date des fonds négociés avec le gouvernement de la République et les partenaires électoraux, bilatéraux et multilatéraux.

Toutes ces raisons objectives justifient la refonte du fichier électoral et rendent impossible l’organisation des scrutins prévus par le calendrier.

III. Fondement juridique.

La jurisprudence de la Cour Constitutionnelle en vertu de l’article 223 de la Constitution va dans le sens d’éviter au peuple congolais le chaos politique. Nous pouvons le lire sur la requête de la CEI en 2066, en décidant de renvoyer à plus de quarante-cinq jours l’élection présidentielle du second tour que la constitution avait fixée, sans connaissance de terrain, à quinze jours [3].

De même, dans l’arrêt RCE 530 du 26 février 2007, la Cour Suprême de Justice, faisant office de la Cour Constitutionnelle avait estimé à l’instar des autres Cours Constitutionnelles du monde

« qu’elle doit user de son pouvoir régulateur qu’elle a la charge pour interpréter la loi et de reconstituer non seulement la volonté exprimée par le législateur mais également l’interprétation de cette volonté au-delà de l’histoire ».

Que pareil interprétation dit la doctrine permet au juge de dire le droit en cas de silence ou de lacune, mais encore à donner une interprétation conforme aux nécessités du moment, tout en conservant à la jurisprudence une stabilité suffisante.

Par la suite, la Cour Suprême de Justice, faisant office de la Cour Constitutionnelle, à la saisine de la CEI rendit l’arrêt R. Const 055/TSR du 27 Aout 2007 qui avait évité au pays un vide institutionnel qui aurait été préjudiciable au fonctionnement des institutions de la République au regard des faits avérés en permettant à la CEI de poursuivre et de parachever le processus électoral commencé en 2005 jusqu’ à l’installation effective de la CENI.

Enfin, dans la jurisprudence récente, la Cour Constitutionnelle sous R. Const 089 du 08 septembre 2015, et prenant en compte la réalité sociale et politique de l’heure, a fait droit à une requête de la CENI en ces termes :

« la Cour Constitutionnelle relève que l’absence des bureaux définitifs au sein des assemblées provinciales empêche l’organisation, dans la sécurité et en harmonie avec le calendrier susvisé, de l’élection des gouverneurs et vice gouverneurs de provinces énumérées à l’article 2 de la constitution. Elle considère qu’il s’agit là, d’un cas de force majeure, irrésistible et insurmontable qui motive la CENI à adapter son calendrier électoral…. » [4].

« Étant donné que certaines provinces issues du démembrement des anciennes sont devenues ingouvernables ou règnent l’anarchie et le désordre et que le pouvoir central se trouve dans le besoin urgent de restaurer l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du pays… ».

Il en résulte de l’approche jurisprudentielle que la Cour Constitutionnelle avait constaté le dépassement du délai légal d’organisation des élections, en affirmant le caractère irréversible du processus d’élection et retenu la force majeure empêchant l’organisation des élections dans les délais légaux.

En décidant de la sorte, la Haute Cour avait mis un terme aux tumultes entre le peuple et avait sauvegardé la paix sociale en rendant possible l’organisation des élections.

Ainsi, il est judicieux dans ces conditions pour la CENI d’évaluer, en toute indépendance et impartialité, tout le processus électoral conduisant aux élections prévus dans son calendrier de 2023.

Par ailleurs, la Constitution de la RDC, en son article 161 alinéa 2, et la loi organique nº13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, en son article 81, ont fixé la compétence de la Cour Constitutionnelle en matière de contentieux électoral et référendaire.

Elle renchérit, en son article 149 alinéa 2, que la Cour Constitutionnelle fait partie du pouvoir judiciaire qui, aux termes de l’article 150 alinéa 1er, est « le garant des libertés individuelles et des droits fondamentaux des citoyens ». Ainsi, parmi les droits fondamentaux reconnus aux citoyens par l’article 5 alinéa 5 de la Constitution, figure en bonne place celui d’être électeur et éligible dans les conditions prévues par la loi électorale [5].

La constitution rappelle, en son article 70, alinéa 1er que : « le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois » [6].

L’élection du Président de la République tout comme celle des députés nationaux et des sénateurs, est un droit fondamental des citoyens dont la Cour Constitutionnelle ne doit, en tant que gardienne des libertés publiques, des droits fondamentaux, et régulatrice de la vie politique, les priver.

La constitution énumère, dans son exposé des motifs, des valeurs qui fondent l’organisation et l’exercice du pouvoir en RDC, notamment le besoin d’assurer le fonctionnement harmonieux des institutions de l’Etat, éviter les conflits, instaurer un Etat de droit, contrer toute tentative de dérivé dictatoriale, garantir la bonne gouvernance et, assurer l’alternance démocratique.

Elle interdit, en son article 64 alinéa 1er, la prise du pouvoir par la force ou son exercice en violation des dispositions constitutionnelles.

Ainsi, en tant que gardienne de la constitution, des libertés publiques et des droits fondamentaux qui y sont consacrés, la Cour Constitutionnelle est ainsi appelée à s’assurer du respect par les pouvoirs publics et les citoyens de ces dispositions, et à exercer un rôle de régulation de la vie politique.

Le report des élections pour les quelques motifs que ce soit doit viser effectivement la protection des droits et libertés fondamentaux des citoyens de toute la République Démocratique du Congo, notamment celui d’être dirigé par un Président et des députés et sénateurs régulièrement et démocratiquement élus.

Ainsi, il reviendra à la Cour Constitutionnelle d’en exercer sa compétence lui reconnue par la constitution et la loi organique portant son organisation et son fonctionnement, afin d’assurer la régularité des élections et d’éviter de paralyser le fonctionnement des pouvoirs publics, tout comme en cas de contestation d’une élection, donc après celle-ci, pour éviter qu’ elle ne soit saisie par des contestations jugées inconstitutionnelles avant les opérations électorales, et pour ne pas avoir, si un acte d’organisation est illégale, à annuler, pour ce motif, de nombreuse élections par la suite.

Un contrôle préventif ne serait pas excédé la lettre des compétences reconnues à la Cour Constitutionnelle par la Constitution de la RDC. Il est bien destiné, à s’assurer, ex ante, de la régularité des élections.

Il est donc conforme aux textes précités et il est traduit dans l’exposé des motifs de la loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, déjà jugé conforme à la Constitution par un arrêt de la Cour Suprême de Justice, faisant office de la Cour Constitutionnelle, en ces termes : « elle est dotée des compétences en matière électorale. A ce titre, elle juge de la régularité du processus des élections présidentielle et législatives au niveau national et du referendum » [7].

Conclusion.

Cet article s’est intéressé sur « Le regard constitutionnel de la prolongation du délai constitutionnel de la convocation des élections en RDC ». Il s’est posé la question de savoir : « Comment s’y prendre face aux aléas pouvant imposer une prorogation de la date légalement prévu pour la convocation des élections ».

Comme le veut le principe qui dit qu’ « à l’impossibilité nul n’est tenu », et au vu de ces raisons justifiées par le but de la protection des droits fondamentaux des citoyens constitutionnellement garantis, à savoir le droit d’élire leurs dirigeants et celui de se faire élire qui s’inscrit dans l’optique d’assurer la régularité de tout le processus des élections susvisées. Il a été retenu cependant diverses raisons pouvant mener au report des élections dont l’état de nécessité ; Elle a été à l’origine d’une jurisprudence eu égard à l’application de l’article 1er de l’ordonnance de l’administrateur général du Congo-Belge du 14 mai 1886 portant principes à suivre dans les décisions judiciaires et approuvée par le décret du 12 novembre 1886, autorisant par conséquent la CENI à élaborer un nouveau calendrier électoral aménagé dans un délai objectif et raisonnable exigé par les opérations techniques de la refonte du fichier électoral afin de s’assurer de la régularité des scrutins prévus [8].

D’où si la CENI se trouvait dans l’impossibilité pour organiser les élections dans le délai constitutionnel, il revient alors à la Cour Constitutionnelle seule qui est juge du contentieux et du contrôle de la régularité du processus électoral, à veiller à la régularité suivant le prescrit de l’alinéa 2 de l’article 211 de la Constitution qui comprend, notamment, l’enrôlement des électeurs, la tenue du fichier électoral, les opérations de vote et de dépouillement. Ceux-ci ne peuvent se faire que par un arrêt de la Cour Constitutionnelle pour approuver la validité des scrutins [9].

Bibliographie.

1. Constitution du 18 Février 2006 telle que modifiée et complétée le 20 janvier 2011
2. Ordonnance de l’administrateur général du Congo-Belge du 14 mai 1886
3. Loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle de 2014,
4. R. Const 089 du 08 septembre 2015
5. CSJ, 1er septembre 2006, Rconst 38/TSR.

Perry-Grace Selemani Ngwamba, Debrecker Kayembe Ngoie et Joël Mutshimwana Kafwata, Assistants à l’Université de Lubumbashi

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Notes de l'article:

[1Art. 211, Const.

[2Art. 211, Const.

[3CSJ, 1er septembre 2006, R. const 38/TSR.

[4Arrêt R. Const 089.

[5Art. 149 al. 2 Const.

[6Art. 70, al. 1er Cons.

[7LOFCC, 2014.

[8Art. 1er, Ord. Admin Gén Congo-Belge du 14 mai 1886.

[9Art. 211, Al. 2, Const. 2006.

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