Résumé :
L’intérêt à agir des requérants doit être apprécié sur le même fondement et de manière identique pour ces deux procédures.
Par la même ordonnance, le juge des référés du Tribunal Administratif de Saint-Denis précise également qu’un sous-traitant n’a d’intérêt à agir ni dans le cadre d’un référé pré-contractuel de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative, ni dans le cadre d’un recours « Tropic Travaux », au vu du principe ci-avant dégagé d’identité des conditions d’appréciation de l’intérêt à agir des requérants dans ces deux types de procédure.
TA de Saint-Denis (La Réunion), 30 juin 2008, M. Ary Claude X. c/ Chambre des Métiers de La Réunion, req. N°0800833 ; TA de Paris, 8 novembre 2006, Société FORSUP Conseil c/ AFCI, req. N°0615298.
TA de Saint-Denis, 30 juin 2008, M. Ary Claude X. c/ Chambre des Métiers de La Réunion :
« Considérant que le requérant entend d’abord démontrer son intérêt à agir contre la partie du marché attribué à la société « Voyage Réunion », en sa qualité de sous-traitant de l’entreprise évincée de ce lot, en soutenant qu’il aurait eu intérêt à agir dans le cadre d’un référé de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative ; que toutefois et contrairement à ce que soutient le requérant, les dispositions contenues aux articles 1-3 des directives 89/665/CE du 21 décembre 1989 et 92/13/CE du 25 février 1992 et l’article L. 551-1 du code de justice administrative disposent très clairement, s’agissant de ce dernier, que le juge du référé précontractuel ne peut être utilement saisi que par ceux « …qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésés par le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence… » ;
que ces dispositions, qui n’ont ni pour objet ni pour effet d’étendre aux contrats de droit privé, passés ou à passer entre l’entreprise candidate au marché et ses sous-traitants, les règles de publicité et de mise en concurrence touchant à la procédure de passation des marchés publics, doivent donc être regardées comme réservant une éventuelle action en référé précontractuel aux seules entreprises qui avaient la possibilité de conclure le marché en cause, à l’exclusion des sous-traitants à qui cette possibilité n’est, en tout état de cause, pas ouverte ; que, plus généralement et sous réserve de l’hypothèse dans laquelle l’entreprise sous-traitante a elle-même été empêchée, suite à la méconnaissance par le pouvoir adjudicateur d’un obligation touchant à la publicité et à la mise en concurrence, de présenter sa candidature en son nom propre ou dans le cadre d’un groupement d’entreprise, elle ne peut être regardée comme une entreprise évincée, ayant à ce titre, vocation ou intérêt à conclure le marché public dont s’agit ;
Considérant que si tout concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif est recevable à former, indépendamment du recours qui lui est ouvert avant la signature dudit marché dans le cadre de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, devant le juge des référés, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, assorti le cas échéant, de demandes indemnitaires et si une telle requête peut, par ailleurs, être accompagnée d’une demande tendant, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de son exécution, il n’y a pas lieu, ainsi que le soutient à tort M. X dans le second temps de son argumentation, de considérer que l’intérêt à agir des concurrents évincés dans le cadre du référé tendant à la suspension du marché, devrait être apprécié sur un fondement distinct et de manière différente que dans le cadre du référé précontractuel ; qu’ainsi et dans la mesure où M. X. ne peut être regardé comme un concurrent évincé, il ne peut d’avantage l’être comme ayant intérêt à demander la suspension du marché par lequel la Chambre des métiers de la Réunion a attribué les quatre lots du marché d’exploitation des services de transports réservés aux apprentis des pôles de formation de la Chambre des métiers et de l’artisanat de la Réunion »
TA Paris, 8 novembre 2006, Société FORSUP Conseil c/ ACFCI :
Sur la fin de non recevoir soulevée par l’A.C.F.C.I. tirée de l’irrecevabilité de la requête pour défaut d’intérêt à agir de la société FORSUP CONSEIL :
Considérant que l’ACFCI fait valoir que la société FORSUP CONSEIL qui ne s’est pas portée candidate soit seule, soit en groupement conjoint ou solidaire avec la société IBM, pour l’attribution du marché dont s’agit lors de la procédure de passation dudit marché, n’a en conséquence pas vocation à conclure ce contrat ; que dès lors elle n’ aurait pas intérêt à agir au sens des dispositions susvisées de l’article L.551-1 du code de justice administrative et ne pourrait en l’espèce saisir le juge des référés pré-contractuels ;
Considérant toutefois que d’une part, il n’est pas contesté que la société FORSUP CONSEIL a exécuté et exécute toujours des prestations, pour le compte de l’ACFCI, en qualité de sous-traitante de la société IBM, titulaire unique du précédent marché, conclu le 28 octobre 2004 et venant à échéance le 31 décembre 2006, portant sur des prestations similaires à celles objet de la présente procédure d’appel d’offres ; que d’autre part, pour cet appel d’offres, la société FORSUP CONSEIL est présentée à nouveau par IBM, en qualité de sous-traitante, chargée d’effectuer les mêmes prestations que précédemment ; qu’il en résulte que la société FORSUP CONSEIL, alors même qu’elle n’a pas présenté sa candidature directement ou en groupement et n’a répondu qu’en tant que soustraitante, a intérêt à ce que le contrat en cause soit conclu et est susceptible d’ être lésée par un manquement aux obligations de mise en concurrence ; qu’elle a donc intérêt à agir en la présente affaire, contrairement à ce que soutient l’ACFCI dont la fin de non recevoir ».
NOTE
La question de savoir si un sous-traitant a un intérêt à agir dans le cadre du référé précontractuel de l’article L. 551-1 du Code de justice administrative avait obtenu une réponse positive du Tribunal Administratif de Paris en 2006.
Récemment, le Tribunal Administratif de Saint-Denis (La Réunion) a clairement marqué son désaccord avec cette solution et a jugé, à l’inverse, qu’un sous-traitant ne pouvait introduire une telle requête.
Le jugement du Tribunal Administratif de Saint-Denis apporte en outre une précision particulièrement intéressante sur l’intérêt à agir dans le cadre d’une procédure « Tropic Travaux ».
Avant de commenter ce désaccord manifeste, il convient de revenir sur les faits de l’espèce.
Le sous-traitant d’un candidat évincé a introduit une requête en référé-suspension sur le fondement de l’arrêt « Tropic Travaux » pour obtenir la suspension du contrat.
Avant d’aller plus avant, un doute existait quant à la qualité de sous-traitant ou de cotraitant du requérant. Ce point est sans impact sur l’analyse dans la mesure où le Tribunal mène son raisonnement dans l’hypothèse où le requérant aurait effectivement la qualité de sous-traitant dont il se prévalait. Cette précision, sans impact sur la solution retenue, devait toutefois être apportée afin d’éclairer parfaitement le lecteur averti.
Pour justifier de la recevabilité de sa requête, le requérant précisait qu’il convenait de juger que, comme pour le référé précontractuel et en application de la jurisprudence de 2006 Société FORSUP du Tribunal Administratif de Paris ci-dessus citée, un sous-traitant disposait d’un intérêt à agir dans la mesure où il avait intérêt à ce que le contrat soit conclu et était susceptible d’être lésé par les manquements aux obligations de mise en concurrence commis par le pouvoir adjudicateur.
C’est au vu de cette argumentation, par analogie à la solution retenue en matière de référé précontractuel, que le sous-traitant demandait à ce que soit jugée recevable son intervention dans le cadre d’une requête en référé « Tropic travaux ».
Par des considérants particulièrement motivés, le juge des référés du Tribunal Administratif de Saint-Denis précise que l’intérêt à agir des concurrents évincés doit être apprécié sur le même fondement et de la même manière, en référé précontractuel et en référé-suspension Tropic Travaux.
Ce point est d’importance dans la mesure où le juge pose expressément le principe de l’identité des conditions d’appréciation de l’intérêt à agir des requérants dans ces deux types de recours. Par cette précision, le juge du Tribunal Administratif de Saint-Denis participe à la précision des contours du récent recours « Tropic Travaux ». La solution retenue ne peut être que saluée dans la mesure où il serait difficilement compréhensible et source de complexification de l’état du droit de retenir des conditions de recevabilité différentes dans ces deux types de recours alors que leur objet, l’annulation d’une procédure de passation d’un contrat et l’annulation du contrat, est très voisin.
Au vu de cette ordonnance, il paraît établi que l’abondante jurisprudence relative à l’intérêt à agir du requérant en matière de référé précontractuel doit se transposer à l’identique pour l’intérêt à agir du requérant fondant son action sur l’arrêt « Tropic Travaux ».
Ce point est le premier apport substantiel de l’ordonnance commentée.
Le second intérêt de cette ordonnance est l’opposition marquée et particulièrement argumentée à la jurisprudence FORSUP de 2006 du Tribunal Administratif de Paris qui a admis l’intérêt à agir du sous-traitant en référé précontractuel, et donc, sur la base du point précédemment évoqué, en référé « Tropic Travaux ».
Selon le juge des référés du Tribunal Administratif de Saint-Denis, un sous-traitant ne peut être juridiquement qualifié d’entreprise évincée « susceptible d’être lésée » par un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, au sens de l’article
L. 551-1 du Code de justice administrative.
La contrariété de ces deux décisions est flagrante.
Ainsi que cela avait été commenté (1) , la décision FORSUP du Tribunal Administratif de Paris était surprenante dans la mesure où le sous-traitant n’avait pas vocation à se trouver en relation contractuelle avec le pouvoir adjudicateur.
Le Tribunal Administratif de Saint-Denis a adhéré à cette analyse en revenant sur la solution dégagée par celui de Paris. Le juge prend soin de fonder sa décision sur plusieurs fondements juridiques :
un fondement communautaire, les directives 89/665 et 92/13 qui imposent aux Etats membres de mettre en place des procédures de recours, s’agissant de la passation des contrats publics, accessibles aux entités « ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir le marché » ;
un fondement national, l’article L. 551-1 du Code de justice administrative qui ouvre la voie du référé précontractuel à toute personne « ayant un intérêt à conclure le contrat ».
L’analyse textuelle de ces fondements juridiques permet de justifier la décision du Tribunal Administratif de Saint-Denis dans la mesure où les entités devant bénéficier des voies de droit à l’encontre des procédures de passation des contrats publics sont celles qui sont en capacité, au moment de l’introduction de leur recours, de conclure le contrat.
Un sous-traitant ne pouvant bien entendu pas signer un contrat ni nouer un lien contractuel direct avec le pouvoir adjudicateur, la solution retenue par le Tribunal Administratif de Saint-Denis paraît devoir l’emporter.
Si l’ordonnance du juge des référés du Tribunal Administratif de Saint-Denis permet de préciser deux points de droit particulièrement intéressants sur la recevabilité des recours en référé précontractuel et référé « Tropic Travaux », le commentateur regrettera toutefois que la requête n’ait pas passé ce cap de la recevabilité dans la mesure où le requérant justifiait l’urgence de sa requête en référé-suspension par le fait que la perte du marché lui causait une perte de chiffre d’affaire estimée à plus de 50%, ce qui aurait pu également permettre de préciser la notion d’urgence, interprétée de manière extrêmement restrictive par les quelques tribunaux saisis à ce jour dans ce type de référé , rendant quasiment inefficace cette voie de droit.
Eric Dugoujon,
Avocat inscrit au barreau de Saint-Denis (La Réunion)
(1) JCP Administrations et collectivités territoriales, n°26, 25 juin 2007, Florian Linditch ; Contrats et marchés publics n°4, Avril 2007, comm. 118, Frédérique Olivier ; Actualité de la commande et des contrats publics 2007, n°66, page 69, Sébastien Palmier.