Extrait de : Droit européen et international

Le séquestre judiciaire en droit marocain.

Par Mohamed Boufous, Avocat

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Explorer : # séquestre judiciaire # mesures conservatoires # urgence # gestion des biens

Le législateur marocain, n’a pas donné une définition complète du séquestre. Il s’est contenté d’en énoncer les contours dans la rédaction de l’article 818 du code des obligations et contrats (DOC) en ces termes : « Le dépôt d’une chose litigieuse entre les mains d’un tiers s’appelle séquestre ». Le code de procédure civile, en évoquant le séquestre, l’a fait uniquement pour en attribuer la compétence au juge des référés (art.149 du CPP).
Cependant la jurisprudence de la Cour suprême, en l’arrêt du 29/01/1984, publié dans la Revue de cette Haute juridiction sou n°35-36 page 65, en a donné une définition plus précise en ces termes : « Le séquestre judiciaire est une simple mesure provisoire qui a pour but de mettre l’immeuble, le meuble ou les biens, sous main d’un séquestre qui assure la protection et l’administration de ces biens, dans la limite de son pouvoir… »
Cependant, du fait que le séquestre s’apparente à d’autres formes de « dépôts et consignations », il s’avère nécessaire d’en établir les principales différences :

-

A. Nature du séquestre

1. Différence entre la consignation et le séquestre

La différence entre le séquestre et la consignation réside dans le fait que le séquestre est une commission rogatoire légale ordonnée par la justice dans la mesure où c’est la loi qui en définit la nature et le contexte et que la justice en précise la mission confiée au dépositaire. Ceci, quand bien même l’article 818 du code marocain des obligations et contrats (DOC), rapproche la consignation du séquestre, dans la mesure où le bien placé entre les mains du dépositaire est une consignation de fait.

Néanmoins, il y a plusieurs éléments qui font ressortir une nette différence entre la consignation et le séquestre :

- a) Le séquestre concerne des biens en litige, alors que ce n’est nullement le cas de biens placés en consignation ;

- b) Le séquestre découle d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord entre des parties, sur la base d’un contrat ou d’une convention ;

- c) La consignation se limite à un bien meuble, alors que le séquestre s’opère sur un bien meuble ou immeuble ;

- d) En matière de séquestre, le dépositaire, gère le bien dont il assure la conservation, alors que le consignataire ne peut que garder le bien, sans pouvoir le gérer ;

- e) Le séquestre s’effectue généralement moyennant une rétribution, du fait de la gestion du bien, ce qui n’est pas le cas de la consignation, sauf avis contraire des parties ;

- f) En matière de séquestre, le conservateur s’engage à poursuivre sa mission jusqu’à la date du règlement du litige et à restituer l’objet gardé à qui de droit, alors que le consignataire peut remettre la chose consignée à celui qui l’a consignée, à n’importe quel moment et sur sa demande, contre décharge, lequel consignant, étant connu préalablement à la consignation.

2. Différence entrer le séquestre et la procuration

- a) En matière de séquestre, le dépositaire gère le bien qu’il détient par autorité de justice, sans pouvoir le vendre ou le louer, sauf si la justice l’en autorise, alors que le dépositaire d’une procuration peut louer, vendre et acheter ou entreprendre toute opération autorisée légalement ou conformément aux termes de la procuration ;

- b) Le séquestre s’éteint au décès du conservateur dans une procuration, mais s’il découle d’une décision de justice, le tribunal désigne un autre gardien séquestre.

3. Différence entre le séquestre découlant d’une convention et le séquestre judiciaire

Alors que le séquestre conventionnel est un acte par lequel deux ou plusieurs parties en litige se mettent d’accord pour placer un bien entre les mains d’un conservateur, qu’ils ont choisi, avec mission de garder le bien et de le gérer, jusqu’au règlement de leur litige, le séquestre judiciaire s’opère par acte de justice (ordonnance du juge) avec ou sans l’accord des parties, lorsqu’il y a un litige entre elles au sujet du bien. Bien plus, le séquestre à caractère judiciaire n’est décidé par le juge que si certaines conditions sont remplies, en plus de la présence d’un litige, à savoir, la crainte d’un péril certain mettant en danger l’intérêt de la partie qui en revendique la propriété, à la condition que le séquestre, soit la mesure la plus adéquate, pour la conservation du bien.

B. Caractéristiques du séquestre

Le séquestre judiciaire revêt trois caractères :

C’est une mesure d’ordre conservatoire. Elle ne peut être exécutoire ou être utilisée comme moyen de pression sur le débiteur. De ce fait, elle se justifie par la menace ressentie par l’une des parties en litige, d’avoir à perdre son bien, s’il n’est pas protégé par un séquestre ordonné par le juge. Le Président du tribunal de première instance ou son délégué, en sa qualité de juge des référés, est en mesure de prendre une ordonnance de mise sous séquestre, chaque fois qu’il y a urgence, quand bien même il n’y a pas de litige porté devant le juge du fond, à charge pour lui, d’inviter la partie requérante à introduire une instance au fond, pour ne pas laisser traîner le litige indéfiniment, conformément aux prescriptions de l’article 149 du code marocain de procédure civile (CPC).
C’est aussi une mesure provisoire qui prend fin dés que les considérations qui lui ont donné naissance ont cessé d’exister. Dans ce cas, il y a lieu d’en référer au juge des référés pour en prononcer la levée. (Arrêt Cour suprême en date du 04/06/1976, publié dans la revue n°25 page 60).
C’est en plus, une mesure n’ayant aucune incidence sur le fond du litige. En effet la mesure de séquestre ne peut avoir aucune incidence sur le fond du litige, s’il est porté devant le tribunal. De ce fait le séquestre gardien du bien, ne peut remettre par exemple, le produit de la location du bien à l’une ou l’autre des parties, car cet acte de gestion ne relève pas de la compétence du juge des référés.

C. Conditions relatives à la mise sous séquestre

Il y a deux conditions, l’une étant liée au litige, l’autre à l’urgence.

1. Le litige

Les conditions relatives au litige sont prévues par les articles 818 à 828 du Code des obligations et contrats DOC). Le litige doit revêtir un caractère très large et porter sur un bien meuble ou immeuble nécessitant sa conservation pour éviter sa déperdition ou son altération et que seule son séquestre est en mesure de le préserver, dans la mesure où la crainte ou la menace sont réelles, certaines et probantes. Mais, dans la pratique judiciaire, c’est au juge des référés de déterminer les conditions du séquestre du fait que le législateur n’en a pas fait une définition stricte et en a laissé l’appréciation à la jurisprudence. (Arrêt de la Cour suprême en date du 30/07/1980, dans le dossier civil n°78851, publié dans la Revue de l’Association des Magistrats n°4 et 5, p.90) qui précise que « l’urgence relative au séquestre est une mesure provisoire dont l’appréciation relève de la compétence du juge des référés  ».

2. L’urgence

La condition liée à l’urgence, en matière de séquestre, revêt un caractère particulier et exceptionnel par rapport aux autres mesures conservatoires. Ce caractère s’identifie par l’imminence d’un danger certain, susceptible de mettre en péril l’intérêt qui s’attache à l’objet. En tout état de cause l’urgence constitue de ce fait l’élément principal dans toutes les mesures conservatoires et provisoires, du fait qu’elle est une condition d’ordre public et qu’au surplus, c’est l’urgence qui confère au juge des référés, sa compétence, en la matière. Ceci nous amène à dire, que quand l’urgence fait défaut, le juge des référés est en droit de rejeter la requête tendant à obtenir la mise sous séquestre et non à se déclarer incompétent.

D. Condition permettant au juge des référés d’ordonner lui-même la mise sous séquestre, sans que la mesure ne soit requise par les parties

C’est précisément, dans le cas où le demandeur et le défendeur, émettent l’un et l’autre, des prétentions à la possession de l’objet et où tous les deux rapportent la preuve de faits possessoires, stipule l’article 170 du code de procédure civile (CPC). Le juge peut alors, soit les maintenir concurremment en possession, soit ordonner un séquestre. Le dépositaire est tenu alors de rendre des comptes de la gestion du bien séquestré. Il en est de même en ce qui concerne les biens des mineurs, lorsque le tuteur testamentaire ou datif refuse de rendre les comptes ou s’abstient de consigner le reliquat des sommes qu’il détient. Le juge des tutelles, stipule l’article 193 du CPC « après une mise en demeure demeurée sans effet, pendant plus d’un mois, peut ordonner une saisie conservatoire sur les biens de ce tuteur, ou les placer sous séquestre ».
À remarquer ici que le législateur a accordé à titre exceptionnel au juge des tutelles, la
qualité et la compétence du juge des référés, uniquement lorsqu’il s’agit des biens de mineurs et l’a habilité à prendre une mesure de mise sous séquestre. C’est d’ailleurs ce qui justifie l’action du juge des mineurs et des incapables, comme le précise également l’article 223 du CPC en précisant que « le juge des mineurs agit de son propre chef . »
Notons enfin, qu’en matière immobilière, le juge des référés est habilité à nommer, de son propre chef, un séquestre judiciaire, s’il préfère placer le bien entre des mains plus sûres, par application des prescriptions de l’article 454 du CPC.

E. Différence entre le séquestre judiciaire et le séquestre découlant de la loi

1. Le séquestre judiciaire est une mesure qui relève de la compétence du juge des référés, lequel ne l’ordonne que lorsque les conditions d’urgence et de litige existent. Par contre le séquestre qui découle des prescriptions de la loi, n’exige aucune condition particulière ;

2. En matière de séquestre judiciaire, la compétence pour y statuer, ressort des juridictions de droit commun. Par contre le séquestre d’ordre de la loi, relève des juridictions administratives ;

3. Dans la procédure de séquestre judiciaire, le gardien ou séquestre, est désigné par le juge des référés, alors que pour le séquestre d’ordre de la loi, le dépositaire relève de la loi, pour des considérations d’ordre public.

F. Obligations du séquestre judiciaire

Le séquestre est chargé de la garde du bien meuble ou immeuble placé entre’ ses mains, comme le stipule l’article 791 du D.O.C en ces termes «  Le dépositaire doit veiller à la garde du dépôt, avec la même diligence qu’il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent…  ». La garde du dépôt est à la charge directe du séquestre qui ne peut la confier à une autre tierce personne, sans l’assentiment du juge. Le gardien dépositaire doit veiller à la bonne conservation du bien et s’il s’agit d’un immeuble agricole, il doit veiller à sa bonne exploitation. Il en est de même pour les biens meubles qui doivent être entretenus, pour éviter leur déperdition. En tout état de cause, le gardien doit agir, en toutes circonstances « en bon père de famille  », comme la loi le lui recommande.

Me Mohamed BOUFOUS
Avocat au Barreau de Rabat, Maroc
www.droitmarocain.com
www.mohamedboufous.com

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