Un soutien aux gilets jaunes, liberté d’expression ou violation d’une obligation de loyauté ?

Par Olivier Javel, Avocat.

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Explorer : # liberté d'expression # obligation de loyauté # licenciement # droit du travail

La presse se faisait écho il y a quelques jours du licenciement « pour faute grave » de salariés d’une filiale française du groupe Amazon.

Les salariés du géant de la distribution auraient sur les réseaux sociaux (Facebook pour ne pas le nommer) manifesté un soutien appuyé au mouvement des gilets jaunes et, pour certains, incité au blocage des entrepôts de leur employeur.

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Les faits :

Les détails de la procédure sont seulement connus par les intéressés mais d’après les quotidiens nationaux, l’employeur aurait justifié sa décision en affirmant que ses préposés auraient violé leur obligation de loyauté. Le groupe Amazon précisait dans le Parisien [1] « Ces personnes ont été licenciées car elles n’ont pas respecté leurs obligations contractuelles, (...) », difficile d’être plus vague.

Les fondements de la protection.

C’est donc l’occasion d’évoquer la liberté d’expression des salariés. Cette liberté fondamentale figure notamment à l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’Homme et à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, elle est également protégée par le code du travail (L. 1121-1 et plus spécifiquement à l’article L2281-3 « Les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement  ».)

Tous les jours les juridictions du travail appliquent cette protection et sanctionnent les employeurs qui ne l’auraient pas respectée :

- Cass. soc. 27-3-2013 n° 11-19.734 – Un salarié peut écrire aux membres du conseil d’administration et aux dirigeants de la société mère, afin de les alerter sur la situation de la filiale, à la condition que la lettre ne comporte pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs.
- Cass. soc. 8 -12- 2009 n° 08-17191 – Un code de conduite interne à la société ne peut pas en principe avoir pour effet de soumettre l’exercice de la liberté d’expression à une autorisation préalable ;
- A priori, tout le monde peut donc sans risque se revendiquer gilet jaune ou foulard rouge sans craindre pour son emploi.

Les limites de la protection.

Mais c’est un truisme que d’affirmer que toutes les libertés connaissent des limites, la liberté d’expression n’est pas absolue.

Ainsi :
- Cass. soc. 22 juin 2011 n° 10-10856 - Un salarié qui appose une banderole à son domicile « mettant en cause publiquement et nommément son employeur, » commet un abus ;
- Cass. soc. 15 juin 2010 n° 09-41550 - Un salarié qui par voie de presse porte de graves accusations, sans preuve, contre son employeur commet un abus.

En pratique, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi, il impose donc au salarié une obligation de loyauté qu’il faut concilier avec la liberté d’expression.

Les critiques que les salariés peuvent formuler envers leurs employeurs sont encadrées sur le fond et sur la forme.

Il reviendra au conseil de prud’hommes, au cas par cas, d’analyser si les agissements et les déclarations publics des salariés de la société de Jeff Bezos étaient ou non constitutifs d’une faute et/ou dépassaient le simple exercice de la liberté d’expression.

Il est certain que les réponses qui seront apportées par nos juridictions prendront en compte les comportements de chacun. En effet, il semble évident qu’un appel au blocage d’un entrepôt doit être distinguer d’un simple encouragement aux manifestants.

Les sanctions.

Le licenciement prononcé par l’employeur en violation de la liberté d’expression du salarié peut entrainer des conséquences spécifiques. Il a déjà été jugé que le licenciement prononcé en violation de la liberté d’expression était nul (et pas simplement sans cause réelle et sérieuse).

Or, pour l’employeur, les conséquences d’un licenciement nul sont particulièrement sévères.

Le salarié dont le licenciement est nul dispose d’un choix, il peut :

- Solliciter sa réintégration dans l’entreprise et une indemnité correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration. Le montant de la condamnation peut donc être très important notamment si la nullité est prononcée par une Cour d’appel.
- Ne pas solliciter sa réintégration et obtenir des dommages et intérêts. Mais dans cette hypothèse le « barème Macron » ne s’appliquera pas et la juridiction ne sera pas tenue par le plafond du barème.

Propos conclusifs.

Les faits relevant de la vie privée peuvent avoir des conséquences sur l’emploi, le chauffeur-livreur qui viendrait à perdre son permis de conduire s’expose ainsi à être licencié puisqu’il ne pourra plus exécuter sa prestation de travail. Néanmoins, en principe, des faits de la vie privée ne peuvent pas fonder un licenciement disciplinaire [2] et donc empêchent un licenciement pour faute grave d’être prononcé.

Mais la frontière entre vie privée et vie professionnelle peut être particulièrement difficile à tracer et la violation d’une obligation qui découle du contrat de travail (comme l’obligation de loyauté) peut entraîner un licenciement pour faute.

Le bon sens commande de ne pas appeler publiquement à nuire à son employeur en ce y compris sur les réseaux sociaux.

Olivier Javel, Avocat
olivier.javel@1792avocats.com
http://www.1792avocats.com

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Notes de l'article:

[2Cass. soc. 9 mars 2011 N° 09-42150.

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