Sur la rupture du contrat de travail et liberté d’expression.

Par Virginie Morgand, Juriste.

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Explorer : # liberté d'expression # droit du travail # licenciement # abus

La liberté d’expression est un principe au cœur de la société démocratique, une garantie inhérente pour tous les individus et affirmée, reconnue tant par le droit international qu’en droit interne.
Retour sur l’arrêt de la Cour de Cassation, chambre sociale, le 6 mai 2015, n°n°14-10781.

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Pour la Cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté d’expression, énoncée à l’article 10 de la Convention, constitue un des fondements essentiels de la société démocratique. Elle est également inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 19), dans le Pacte international des droits civils et politiques (article 19) et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui garantit la liberté d’expression dans son article 11 en la déclinant comme un droit qui comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées et en l’associant à la liberté et au pluralisme des médias.

En droit interne, la liberté d’expression est reconnue par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Par l’affirmation de cet article, le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du pluralisme des courants d’expression socioculturels par une décision du 27 juillet 1982 (n°82-141) et celle de la transparence financière des entreprises et du pluralisme des quotidiens d’information politique et générale par une décision du 10-11 octobre 1984 (n°84-181).

Ainsi, en droit du travail, la liberté d’expression est essentielle dans la vie de l’entreprise et est inhérente à chaque salarié, mais elle n’est pas absolue car elle ne doit pas être abusive.

Comme l’affirme l’article L. 1121-1 du code du travail : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché ».

Dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, le salarié jouit, sauf abus, de sa liberté d’expression ; il ne peut être apporté à celle-ci que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.

Par arrêt, en date du 6 mai 2015 (n°14-10781), la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que « le fait pour un salarié de s’interroger, dans le cadre d’une situation de conflit et par la voie d’un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sur le licenciement de l’un de ses collègues, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n’excédait pas les limites de la liberté d’expression, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».

En l’espèce, un salarié a été engagé, en qualité d’électricien, par une société, qui l’a licencié pour faute grave en raison des propos tenus dans deux articles parus sur un site internet, « miroir social ». Il a saisi la juridiction prud’homale.

La cour d’appel a considéré que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse au motif « que le fait pour un salarié de s’interroger, dans le cadre d’une situation de conflit, sur le licenciement d’un de ses collègues n’excède pas la liberté d’expression dont il doit jouir ».

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation à l’appui de deux moyens.

D’une part, le fait de mettre en ligne, sur un site internet accessible à des personnes étrangères à l’entreprise, un article imputant à l’employeur des faits graves, non établis, en usant de termes excessifs est constitutif d’un abus de la liberté d’expression au regard des articles L. 1221-1, L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail. En l’espèce, dans l’article mis en ligne le 14 février 2011, sur le site internet Miroir social, accessible à des personnes étrangères à l’entreprise, le salarié affirmait que l’un de ses collègues de travail avait été « sanctionné pour avoir soi-disant mal répondu à son chef d’équipe, motif monté de toutes pièces », celui-ci résidant dans la circonstance que ce « jeune salarié avait osé revendiquer l’application du code du travail », et précisait qu’en participant à une réunion de négociation qui s’était tenue avec le directeur régional, lui et ses collègues avaient subi « chantage et menaces déguisés ».

D’autre part, le salarié est tenu à une obligation de loyauté envers son employeur au regard des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail.

La Cour de cassation ne retient pas ses arguments en considérant que «  l’exercice de la liberté d’expression des salariés en dehors de l’entreprise ne peut justifier un licenciement que s’il dégénère en abus » et retient à bon droit la solution des juges du fond : « le fait pour un salarié de s’interroger, dans le cadre d’une situation de conflit et par la voie d’un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sur le licenciement de l’un de ses collègues, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n’excédait pas les limites de la liberté d’expression  ».

Cette affaire permet à la Cour de cassation de rappeler que «  l’exercice de la liberté d’expression des salariés en dehors de l’entreprise ne peut justifier un licenciement que s’il dégénère en abus  ». Il s’agit d’un principe qu’elle réaffirme régulièrement : cass. soc. 5 mai 1993, n°90-45893 ; cass. soc. 12 novembre 1996, n°94-43859 ; cass. soc. 14 décembre 1999, Dr. Social 2000, 163, concl. J. Duplat, note J.-E. Ray ; cass. soc. 6 juillet 2005, JCP S 2005, 1156 ; cass. soc. 28 avril 2011, n°10-30107 ; cass. soc. 27 mars 2013, n°11-19734).

En conséquence, elle considère que le site internet revêt un caractère confidentiel. Il s’agit d’un site d’une audience confidentielle. Ainsi, tout dépend de l’audience en matière de liberté d’expression afin de savoir s’il y a ou non abus.

Virginie MORGAND, Juriste Droit Social

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