Le droit moral désigne un ensemble de droits de nature non économique que détient l’auteur sur son œuvre. Il est défini par ses différents attributs que sont le droit à la paternité de l’œuvre, le droit au respect, le droit de divulgation et le droit de retrait et de repentir [1].
Ces différents droits sont transmissibles à cause de mort aux héritiers ou légataires de l’auteur, à l’exclusion du droit de retrait et de repentir qui reste attaché à la personne de ce dernier et apparait ainsi s’éteindre avec son décès.
La loi organise la transmission du droit moral post-mortem d’une manière différenciée selon les attributs en cause.
Ainsi, si le droit au respect et à la paternité de l’œuvre est dévolu aux héritiers de l’auteur [2], le droit de divulgation de celle-ci postérieurement à son décès obéit à des règles de dévolution particulières [3].
Selon l’article L121-2 en effet, le droit de divulgation est dévolu à l’exécuteur testamentaire qu’aurait désigné l’auteur et, à défaut, selon un ordre précis : les descendants, le conjoint contre lequel n’existe pas un jugement passé en force de chose jugée de séparation de corps ou qui n’a pas contracté un nouveau mariage, les héritiers autres que les descendants qui recueillent tout ou partie de la succession et les légataires universels ou donataires de l’universalité des biens à venir.
Ces règles de dévolution différenciée, objet de débats en doctrine, ont été confirmées en jurisprudence. Par un célèbre arrêt Utrillo [4], la Cour de cassation a ainsi énoncé « que le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre est transmissible à cause de mort à ses héritiers selon les règles ordinaires de la dévolution successorale ». Elle a ainsi confirmé le cantonnement de la règle de dévolution spéciale de l’article L121-2 au seul droit de divulgation, conformément à la lettre des textes applicables.
Le principe d’une dévolution différenciée des différents attributs du droit moral apparaît dès lors acquis, bien qu’il puisse être fréquemment critiqué, notamment de par les situations de fait qu’il peut créer.
Ainsi par exemple, un légataire universel devrait se voir attribuer le droit au respect de l’œuvre et à la paternité tandis qu’il ne disposerait pas du droit de divulgation dont l’ordre de dévolution lui est nettement défavorable. Il en résulte une multiplicité d’intervenants dans l’exercice du droit moral d’un même auteur et de potentielles frictions entre eux ou incohérences dans leurs actions.
Ces difficultés peuvent prendre un tour d’autant plus sérieux que le législateur a réservé le cas de l’abus dans l’exercice du droit moral.
Il résulte en effet de l’article L121-3 du Code de la propriété intellectuelle que
« en cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur tels que définis à l’article L121-2, le tribunal judiciaire peut ordonner toute mesure appropriée ».
Il est à relever que si le texte ne porte que sur l’abus du droit de divulgation, une doctrine majoritaire considère qu’il doit s’appliquer aux autres attributs du droit moral et ainsi également au droit au respect de l’œuvre et à la paternité. Ses principales applications jurisprudentielles ont toutefois essentiellement trait au seul droit de divulgation de sorte qu’une relative incertitude prévaut sur ce point.
Quant à la notion d’abus, elle s’analyse au regard des intérêts moraux de l’auteur et du respect de ses volontés. Les titulaires du droit moral ne peuvent l’exercer selon leur bon vouloir mais doivent veiller à agir d’une manière conforme aux intérêts de l’auteur et à exécuter ses intentions expresses ou tacites par lesquelles ils sont liés.
Ils doivent également être actifs dans la défense des droits qu’ils ont recueillis.
En cas de mésentente entre les titulaires des droits en cause ou de contestation par divers tiers autorisés, le Tribunal judiciaire tranche le litige. Les procédures ne sont pas rares, loin s’en faut.
Il convient enfin de préciser que le droit moral est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible », au moins s’agissant du droit au respect de l’œuvre et à la paternité [5].
Il en résulte qu’il ne serait pas possible d’organiser sa dévolution par transaction, même si la Cour de cassation ne s’est pas clairement prononcée sur la question [6].
Il parait en revanche envisageable d’organiser conventionnellement l’exercice des différents attributs du droit moral en présence de multiples intervenants, en particulier de nombreux héritiers, dans le but d’une meilleure efficacité entre eux et vis-à-vis des tiers.
Le droit moral, de par sa nature protéiforme et ses modalités de transmission, est l’objet de multiples cas d’application et encore source de nombre d’interrogations sur lesquelles les praticiens et juges n’ont pas fini de se pencher.
Discussion en cours :
Bonjour,
Merci pour votre article très clair.
Une question cependant : est-ce qu’ une personne morale peut exercer le droit moral ? Par exemple un photographe fait don de ses négatifs à l’état français mais sans rien préciser sur l’exercice du droit moral. Est-ce qu’une institution patrimoniale ou l’État peut exercer le droit moral de divulgation, ou de respect de l’intégrité de l’œuvre ? Ou est-ce que le droit moral ne peut être exercer que par une personne physique ?
Merci d’avance pour votre retour.
Cédric Vigneault