En se promenant dans les bois, la présence du loup peut se manifester dans certaines régions du monde. Pour certains, elle symbolise une biodiversité à préserver ; pour d’autres, elle réveille une crainte justifiant de prendre les armes. Victime ou menace, Loup, qui es-tu ?
À l’échelle internationale, la Convention de Berne (1979) le classe parmi les espèces de faune strictement protégées et interdit, à ce titre, sa capture, sa détention et sa mise à mort intentionnelle sur le territoire des États signataires [1].
Cette protection a été renforcée au sein de l’Union européenne par la Directive Habitats-Faune-Flore (1992), qui impose aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa conservation et interdit sa capture, sa mise à mort, sa détention ou son commerce [2].
En France, le loup est inscrit sur la liste des espèces protégées en vertu du Code de l’environnement [3], ce qui implique une interdiction générale de destruction, de perturbation intentionnelle, ainsi que de détention ou de transport d’individus vivants ou morts.
Si le loup bénéficie d’un cadre juridique protecteur, comment expliquer que des tirs à son encontre soient légalement autorisés ?
I. Loups en ligne de mire.
A) Mettre les troupeaux à l’abri.
Les textes juridiques prévoient une dérogation aux principes de protection et de conservation du loup, notamment pour « prévenir les dommages importants aux cultures, à l’élevage [...] ».
Cette dérogation est soumise à une double condition : l’absence d’autres solutions satisfaisantes et l’absence d’impact négatif sur l’état de conservation de la population lupine [4].
Cette dérogation est reprise en droit interne à l’article L411-2 4° b) du Code de l’environnement et précisée par l’Arrêté du 21 février 2024. Ce texte fixe les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction du loup peuvent être accordées par les préfets, en encadrant notamment les opérations de tirs.
Les bénéficiaires de cette dérogation sont désignés par le préfet de département. Il s’agit, notamment, des éleveurs exploitants ou propriétaires d’une exploitation agricole d’élevage, des présidents de sociétés de chasse ou des responsables de battues [5].
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui veille à la bonne application du droit de l’UE par les États-membres, a traité de la question des dérogations à l’interdiction de chasser le loup dans le cadre de la Directive Habitats [6].
Elle rappelle que, pour accorder une dérogation à cette interdiction, les autorités nationales doivent d’abord vérifier que la dérogation n’affecte pas l’état de conservation favorable de l’espèce dans son aire de répartition naturelle, ce qui doit être évalué à la fois au niveau local et national.
La cour souligne également qu’une évaluation équilibrée doit être réalisée entre la délivrance de la dérogation et les intérêts en cause, en tenant compte des avantages et inconvénients écologiques, économiques et sociaux. Cependant, les considérations économiques comme les coûts liés à la mise en place de mesures de protection (clôtures ou chiens de garde) ne peuvent pas constituer un motif suffisant pour justifier la dérogation, surtout si elle risque de compromettre la conservation de l’espèce.
Ainsi, il convient de souligner que la prévention des dommages aux troupeaux constitue un critère justifiant l’abattage d’une espèce sauvage protégée, telle que le loup. Toutefois, cette dérogation est encadrée : elle doit être proportionnelle aux dommages causés et il doit être démontré qu’il n’existe pas de solution alternative satisfaisante pour prévenir ces dommages.
En France, le Plan National d’Action pour la conservation ou le rétablissement du loup [7] vise justement à concilier les enjeux liés à la protection du loup avec ceux de l’activité d’élevage.
B) Des munitions en caoutchouc au coup fatal.
L’arrêté du 21 février 2024 établit une gradation des interventions visant à prévenir la prédation du loup. Le passage à un niveau d’intervention supérieur n’est justifié qu’en cas d’échec des mesures précédemment mises en œuvre.
En premier lieu, des moyens d’effarouchement [8] peuvent être déployés, sans autorisation préalable, afin de dissuader les tentatives de prédation du loup ou d’y faire face en cas de prédation avérée. Ces moyens incluent :
- L’usage de dispositifs olfactifs, visuels ou sonores. Par exemple, la présence permanente d’un ou plusieurs chiens de protection au sein du troupeau est considérée comme un moyen d’effarouchement.
- Les tirs non létaux réalisés avec des munitions en caoutchouc ou à grenaille métallique d’un diamètre maximal de 2,25 mm. L’obtention d’un permis de chasse est requise pour ces tirs.
Dans un parc national, seuls les moyens olfactifs, visuels ou sonores peuvent être utilisés, sous réserve de l’autorisation du directeur du parc.
Ensuite, des opérations de destruction peuvent être mises en œuvre par le biais des tirs de défense. Les éleveurs ou les personnes mandatées, peuvent ainsi être autorisés à émettre des tirs létaux sur les loups qui menacent directement leurs animaux, à la condition d’être titulaires d’un permis de chasse. Ces tirs doivent être réalisés à l’intérieur du pâturage et à proximité du troupeau concerné. Deux types de tirs sont prévus :
- Tirs de défense simples [9] : ils sont permis à la condition que des mesures de protection aient été mises en place préalablement ou que le troupeau soit reconnu comme ne pouvant pas être protégé. Dans ce cas, l’éleveur doit solliciter une autorisation préfectorale, valable cinq ans. Ces tirs sont alors réalisés dans la limite de deux tireurs simultanément pour chaque lot d’animaux constitutif d’un troupeau.
- Tirs de défense renforcés [10] : si, malgré la mise en œuvre du tir de défense simple et la mise en place de moyens de protection, le troupeau continue de subir une prédation intense (au moins trois attaques en douze mois), le préfet peut accorder cette autorisation, valable un an. Ces tirs sont alors réalisés par plusieurs tireurs désignés, dans la limite de 10 participants.
En dernier lieu, des tirs de prélèvement peuvent être autorisés si, au cours des douze derniers mois, au moins deux autorisations de tirs de défense renforcée ont été mises en œuvre et que les troupeaux restent exposés à la prédation du loup. Cette opération collective, généralement menée par un groupe de chasseurs, consiste à rechercher activement le loup, souvent de nuit et dans le cadre de battues aux grands gibiers.
En outre, un plafond de tirs a été fixé à 19% des effectifs pour cette année 2025 [11], soit un quota d’abattage fixé à 192 loups, sur la base d’une population moyenne estimée à 1.013 individus.
Bien que le tir sur les loups soit légal et encadré, des dérives subsistent et nécessitent un contrôle des tirs (II).
II. Loups sous surveillance.
A) Un contrôle à double visée.
Le tir du loup en dehors de ce cadre légal et réglementaire (couramment qualifié de braconnage) est puni de deux ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende, conformément à l’article L415-3 du Code de l’environnement.
Afin de garantir le respect de la réglementation et du plafond fixé, l’Arrêté du 21 février 2024 prévoit que tout tir en direction d’un loup ainsi que toute découverte d’un cadavre doivent être signalés au préfet du département dans un bref délai [12].
Lorsqu’un loup est abattu, sa dépouille doit être laissée sur place et couverte. Les agents de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) et, désormais, les lieutenants de louveterie sont habilités à en assurer la prise en charge (Arrêté du 7 février 2025).
Il convient de préciser que seuls les cadavres de loups retrouvés sont officiellement décomptés des 19 % des effectifs pouvant légalement être abattus chaque année. Or, le braconnage de cette espèce protégée semble s’intensifier : six cas de destruction illégale ont été recensés en 2021, sept en 2022, neuf en 2023.
L’OFB est responsable du suivi annuel des populations lupines en France. Ce suivi repose sur des protocoles scientifiques et s’appuie sur un réseau national de plus de 5 000 correspondants formés.
Ainsi, un contrôle rigoureux est mené pour lutter contre le braconnage. Toutefois, en parallèle, les protocoles de tirs s’assouplissent, facilitant l’abattage des loups.
En effet, le dernier Plan national d’actions - Loup (2024-2029) prévoit une simplification du protocole de tirs létaux afin de faire face à la hausse de prédation enregistrée, notamment par les assouplissements suivants ((pages 23 et 24) :
- Le nombre de tireurs autorisés dans le cadre des tirs de défense simple a été portée à trois sur dérogation préfectorale (contre deux précédemment) ;
- L’autorisation de l’usage de caméras nocturnes, tandis que l’obligation d’éclairage préalable pour les lieutenants de louveterie et les agents de l’OFB disposant de dispositifs à visée thermique a été supprimée ;
- La suppression de la suspension du tir de défense renforcée après le prélèvement d’un loup, permettant ainsi aux détenteurs de poursuivre sa mise en oeuvre ;
- La réorganisation des louveteries afin de permettre de spécialiser certains louvetiers sur le loup, et d’encourager les chasseurs ou agriculteurs volontaires à rejoindre cette institution.
La louveterie est une institution de chasse chargée de la régulation et de l’élimination des espèces sauvages, notamment du loup. Afin de renforcer l’efficacité des interventions, plusieurs louvetiers, désignés par le préfet, seront en charge spécifiquement de la gestion des tirs autorisés de loups. Leur intervention en cas d’attaque sera accélérée, avec un déploiement sous 48 heures, après l’autorisation de tir (page 25).
Enfin, les éleveurs de bovins et équidés doivent désormais mettre en place des mesures de protection avant de pouvoir recourir aux tirs de défense. Néanmoins, la possibilité de tirer dépend de la localisation : en foyer de prédation, les tirs sont possibles sans attaque préalable ; ailleurs, une attaque dans les douze derniers mois est nécessaire, ce en raison des « difficultés » rencontrées pour protéger ces troupeaux (Arrêté du 7 février 2025).
B) Des nuances de plomb dans l’efficacité des tirs.
L’efficacité des tirs est débattue.
Les tirs de défense ont augmenté au fil des années, passant de 30 en 2018 à 100 en 2021, puis 198 en 2023. En parallèle, le nombre de loups prélevés a suivi cette tendance, passant de 99 en 2019 à 198 en 2023. Les tirs de prélèvements, eux, restent rares et sont peu souvent mis en application.
La question de l’efficacité des tirs létaux sur la prédation a conduit à des recherches, notamment à travers une thèse encadrée par l’OFB et le Centre d’Écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE-CNRS). Cette thèse étudie les effets des tirs dérogatoires de loups sur les attaques aux troupeaux ovins dans l’arc alpin français.
Les résultats ont montré que les tirs étaient effectués dans les foyers de prédations, mais n’ont pas permis de démontrer un effet uniforme sur la réduction de la prédation, les résultats variant selon les massifs. Dans certains, les tirs ont conduit à une baisse de la prédation, tandis que dans d’autres, l’effet a été inverse.
Il a également été démontré que les tirs induisent une baisse des dommages sur les troupeaux lorsqu’ils sont réalisés à l’automne ou durant la période des accouplements, tandis que l’effet inverse a été observé en hiver ou lors de la période de mise-bas, ce qui se justifie par des besoins alimentaires accrus des loups à ces moments.
La thèse conclut qu’il est peu probable que ces tirs aient un effet unique sur les loups et la déprédation.
Ainsi, cette étude n’a pas permis de démontrer l’efficacité des tirs de loups, et des recherches supplémentaires sont en cours.
Or, l’adoption de la proposition de l’Union européenne de déclassement du loup, modifiant son statut d’espèce « strictement protégée » à « protégée », par le Comité permanent de la Convention de Berne, entraînera une gestion plus souple de la régulation de l’espèce.
Si ce déclassement est ensuite adopté par la Commission européenne, les États-membres auront alors pour principale obligation de maintenir le loup, simplement, « dans un état de conservation favorable » [13].