Le statut juridique du loup en France.

Par Graziella Dode, Avocat et Lyslou Gailhaguet, Elève-Avocat.

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Explorer : # protection des espèces # biodiversité # régulation de la faune # conservation de la nature

Ce que vous allez lire ici :

Le loup, perçu comme un « grand méchant » victime d'une mauvaise réputation, a été exterminé en France. Protégé par des lois nationales et européennes, son statut est remis en question. Des conflits entre protection de l'espèce et préjudices aux éleveurs exacerbent les tensions autour de sa régulation.
Description rédigée par l'IA du Village

Selon l’Office Français de la Biodiversité (OFB), la population de loups est estimée à 1 013 individus en 2024, contre 1 096 en 2022 et 1 003 en 2023. Ces dernières années, leur population ne semble pas connaître d’évolution significative, alors qu’en 2016, elle était bien inférieure avec seulement 292 loups recensés.
Le loup est sur la liste rouge des espèces menacées de l’Union Internationale pour la Conversation de la Nature (UICN) et classé « vulnérable » en France (2017).
La question de sa présence en France divise les opinions. Ce prédateur, perçu comme une menace par certains et comme un symbole de biodiversité par d’autres, suscite depuis plus de 30 ans de vifs débats sur son statut juridique.
Entre protection et régulation, quels sont ses droits ?

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Le loup (Canis Lupus) souffre d’une réputation bien sombre, nourrie par des récits populaires comme Le petit chaperon rouge, les trois petits cochons ou encore Pierre et le loup, où il incarne le rôle du « grand méchant loup ».

L’espèce a été exterminée en France autour des années 1930, en grande partie à cause des campagnes de destruction menées pour protéger les troupeaux. Le loup est réapparu naturellement en 1992, avec sa première observation dans le parc du Mercantour, situé à la frontière franco-italienne, dans les Alpes.

I. La protection du « grand méchant loup ».

A) Le cadre européen et international.

Deux textes fondamentaux assurent la protection juridique du loup :

1. La Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe de 1979 (la « Convention »), traité international adopté sous l’égide du Conseil de l’Europe et qui s’applique à 50 parties contractantes, dont la France.

2. La Directive Habitats-Faune-Flore de 1992 (la « Directive Habitats »), acte juridique contraignant pour les 27 États membres de l’Union européenne, intégrant certains principes de la Convention.

Ces deux textes ont pour objectif d’assurer la conservation de la faune et de la flore sauvages ainsi que leurs habitats naturels [1]. À cet égard, les États concernés s’engagent notamment à prendre les mesures législatives et réglementaires appropriées et nécessaires pour protéger ces habitats [2].

Les États restent libres d’adopter des mesures de protection plus ou moins strictes.

Au sein de la Convention, le loup est classé parmi les espèces de faune strictement protégées (Annexe II). Cela oblige les parties contractantes à garantir sa conservation, notamment en prohibant « toute forme de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle » [3].

Au sein de la Directive Habitats, le loup peut être inscrit parmi les espèces strictement protégées [4] ou les espèces protégées [5]. La première catégorie interdit toute mise à mort intentionnelle d’un animal [6], tandis que la seconde prévoit simplement que le fait de tuer des individus doit être « compatible avec leur maintien dans un état de conservation favorable » [7], ce qui permet une gestion plus souple en matière de régulation.

La France a fait le choix de protéger le loup au titre des « espèces strictement protégées » [8].

En outre, la Directive Habitats impose aux États membres de produire un rapport national sur l’état de conservation des espèces d’intérêt communautaire, dont le loup fait partie [9]. Ce rapport, appelé « Rapportage article 17 » est produit tous les six ans. Le dernier rapport, publié en 2019, couvre la période de 2013 à 2018.

Il évalue chaque espèce en fonction de quatre paramètres, chacun classé selon quatre catégories (favorable, défavorable inadéquat, défavorable mauvais, inconnu) : l’aire de répartition naturelle, la population, l’état de son habitat d’espèce et les perspectives futures envisageables.

Selon ce Rapportage, le loup est dans un état de conservation favorable, avec une amélioration constatée par rapport à la période couverte par le rapportage précédent.

Le prochain rapportage est attendu pour juillet 2025.

B) Le cadre national.

Les principes ressortants de la Convention et de la Directive Habitats ont été inscrits aux articles L411-1 à L412-1 du Code de l’environnement.

Au niveau national, le loup est donc une espèce protégée au sens de l’article L411-1 de ce Code, classée comme telle par l’Arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

À ce titre, la capture, la mise à mort et la perturbation intentionnelle des individus de cette espèce sont interdites [10].

Il convient de préciser que la loi confère au pouvoir exécutif la compétence pour fixer les conditions dans lesquelles des dérogations à ces principes peuvent être accordées [11].

Ainsi, les textes réglementaires visent principalement à concilier l’obligation de conservation du loup avec les dérogations permettant de réduire les risques liés aux activités humaines, telles que l’élevage.

Notamment, l’Arrêté du 21 février 2024 établit les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction du loup peuvent être accordées par les préfets. Il encadre notamment les opérations de tirs et en précise les modalités de mise en œuvre.

En outre, l’élaboration de plans nationaux d’action (PNA) pour la conservation ou le rétablissement du loup est obligatoire [12].

La cinquième édition du PNA - Loup (2024-2029) vise à concilier les enjeux liés à la protection du loup avec ceux de l’activité d’élevage, tout en incluant un volet consacré à l’amélioration des connaissances sur l’espèce et à l’évaluation de son état de conservation.

Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) a toutefois émis un avis défavorable sur ce PNA. Cet avis s’explique notamment par l’introduction d’un protocole de tirs létaux simplifié et des perspectives envisagées de déclassement de l’espèce de la liste des espèces strictement protégées au niveau européen.

En matière sanctions, en dépit des dérogations existantes, toute atteinte à la conservation des espèces protégées constitue un délit pénal puni de trois ans d’emprisonnement et de 150.000 € d’amende [13], pouvant aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 750.000 € d’amende en cas de destruction en bande organisée [14].

De plus, la perturbation intentionnelle d’une espèce protégée constitue une contravention de 4ème classe, sanctionnée par une amende de 750 € au maximum [15].

La protection juridique du loup ne peut être abordée sans évoquer le cadre juridique qui entoure sa régulation (II).

II. La régulation du « grand méchant loup ».

A) Une protection renforcée des trois petits cochons.

À titre liminaire, il convient de préciser que la Convention comme la Directive Habitats prévoient des dérogations à la conservation du loup, notamment pour « prévenir les dommages importants au bétail », à la double condition qu’il n’existe pas d’autres solutions satisfaisantes et que les opérations ne nuisent pas à l’état de conservation de la population de loups [16].

Au niveau national, l’article L411-2 4° b) du Code de l’environnement reprend cette exception et ces conditions pour autoriser l’abattage de loups. Pour ce faire, deux méthodes existent :

  • Les tirs de défense (simples et renforcés) : les éleveurs peuvent être autorisés à tirer sur les loups qui menacent directement leurs animaux.
  • Les tirs de prélèvement : il peut être autorisé de tuer des loups en dehors d’un contexte de défense de troupeau lorsque les tirs de défense se sont montrés plusieurs fois infructueux. Ces tirs interviennent en dernier recours lorsque des tirs de défense simples, puis renforcés se sont révélés infructueux (Arrêté du 21 février 2024).

En 2023, aucun tir de prélèvement n’a été autorisé, contre 198 tirs de défense [17].

Un plafond de tirs est fixé chaque année, par arrêté, en fonction de l’estimation de la population de loups présente sur le territoire français. Ce plafond représente le pourcentage maximum de la population de loups qui peut être abattu de manière dérogatoire. Il s’agit d’un plafond et non d’un objectif à atteindre, bien que ce plafond soit très souvent atteint.

Celui-ci a augmenté au fil des années, l’Etat autorisant cette année un abattage pouvant aller jusqu’à 19% des effectifs [18], soit un quota d’abattage fixé à 192 loups pour l’année 2025, contre 209 en 2024.

L’Arrêté du 30 décembre 2022 encadre l’aide à la protection des exploitations et des troupeaux contre la prédation du loup. Il définit notamment les conditions d’éligibilité à cette aide, les dépenses éligibles et les critères de classement des communes dans les différents « cercle », établis en fonction de la récurrence des actes de prédation du loup sur leur territoire.

Récemment, l’arrêté du 22 février 2024 a établi les montants forfaitaires d’indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup. Ces montants couvrent les coûts directs (valeur des animaux), les coûts indirects (comme les frais vétérinaires) et la réparation des équipements.

B) Un abaissement du niveau de protection du loup.

En 2023, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a plaidé pour une réévaluation du statut de protection du loup en Europe. Elle a souligné une recrudescence des conflits entre les loups et les activités humaines, déclarant ainsi : « La concentration de meutes de loups dans certaines régions européennes représente un danger réel pour le bétail et, potentiellement, pour les humains ».

Le 3 décembre 2024, le Comité permanent de la Convention de Berne du Conseil de l’Europe a adopté une proposition de l’Union européenne visant à modifier le statut de protection du loup de l’Annexe II « strictement protégée » à l’Annexe III « protégée ».

Cette modification entrera en vigueur le 7 mars 2025 sauf objection d’un tiers des parties d’ici là.

Une fois cette décision entrée en vigueur, la Commission européenne pourra donner suite à ce changement en proposant une modification du statut de classement du loup au sein de la Directive Habitats.

Ce déclassement intervient dans le but de réduire les dommages causés aux troupeaux.

En France, par exemple, une hausse de la prédation a en effet été constatée (+4,6% en attaques, +10,6% en victimes), selon le Groupe national loup. En revanche, ces nouvelles attaques surviennent dans des territoires où l’espèce était jusqu’à présent absente, ce qui impliquait la mise en place de protection plus faibles, voire inexistantes, par rapport aux départements où le loup est fréquemment présent et où les chiffres montrent une diminution des attaques.

Si l’Union européenne modifie en conséquence la Directive Habitats, le loup passerait alors du statut d’espèce « strictement protégée » à celui d’espèce « protégée ». Les États-membres auraient alors pour principale obligation de maintenir le loup, simplement, « dans un état de conservation favorable » [19].

Or, l’imprécision actuelle de cette notion laisse aux États-membres une certaine marge d’appréciation et ainsi une liberté dans le degré de protection à appliquer dans les politiques à mettre en place.

Pour rappel, le PNA Loup (2024-2029) envisage ce déclassement, sous réserve de la réalisation d’une étude juridique visant à mieux définir les contours du droit interne qui s’appliquerait à la gestion du loup dans cette éventualité [20].

Animal emblématique de la faune sauvage française, symbole de liberté et d’indépendance, avant que l’Homme n’en décide autrement, le loup est aujourd’hui au centre de nombreux débats qui tendent à réduire sa protection, sous prétexte qu’il n’existe pas « d’autres solutions satisfaisantes ».

En effet, si les associations de protection de l’environnement considèrent la stagnation du nombre de loups comme un argument en faveur d’une réduction du taux de prélèvement, les éleveurs, eux, se sentent « abandonnés » face à la diminution du quota d’abattage autorisé.

Graziella Dode, Avocat au Barreau de Lille - Lyslou Gailhaguet, Elève-avocat
https://dode-avocat.fr

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Notes de l'article:

[1Art. 1er Convention ; art. 2 Directive Habitats.

[2Art. 4 Convention.

[3Art. 6.

[4Annexe IV.

[5Annexe V.

[6Art. 12.

[7Art. 14.

[8Annexe IV.

[9Art. 17.

[10Art. L411-1.

[11Art. L411-2.

[12Art. L411-3.

[13Art. L415-3.

[14Art. L415-6.

[15Art. R415-1 1°.

[16Article 9 de la Convention et article 16 de la Directive.

[17Lettre Info Loup 2023.

[18Arrêtés du 23 octobre 2020 et du 3 décembre 2024.

[19Art. 14 Directive Habitats.

[20Page 11.

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  • par Chris , Le 30 janvier à 21:27

    Est-ce que le sentiment d’abandon des éleveurs varie selon la zone géographique ? Le plafond de tir de défense reste à 19% et la population des loups a peu progressé ces dernières années (1% entre 2023 et 2024), mais je comprends qu’ils étendent leur territoire. On peut comprendre l’angoisse des éleveurs qui voient des loups arriver sur leur zone alors qu’ils n’ont pas été accompagnés.

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