La toxicomanie est un problème de santé publique et de trouble à l’ordre public. Elle induit des comportements dangereux.
L’actualité nous en offre un triste exemple. Le tunnel Rosa-Parks, ancien tunnel de la SNCF, situé dans le 19e arrondissement de Paris est un haut lieu de consommation de drogue, du crack principalement un dérivé de la cocaïne qui est extrêmement puissant et très addictif.
Le 17 mai dernier, sur décision des autorités, les toxicomanes du secteur Stalingrad dans le 19e arrondissement de Paris ont été regroupés dans le jardin d’Eole. Fin mai, la présidente de l’Ile-de-France Valérie Pécresse (ex-LR) s’était dite prête à cofinancer une structure de soin pour les usagers de crack, conjointement avec l’État et la ville de Paris, lors d’un déplacement au jardin d’Eole.
« Je propose que la région, l’État et la Ville de Paris se mettent autour d’une table et que nous financions un centre de traitement des crackeurs », avait déclaré Valérie Pécresse. « Il faut mettre en place les moyens médicaux, psychiatriques, de lutte contre les addictions », et « pas juste créer des places d’hébergement d’urgence », avait affirmé Valérie Pécresse qualifiant de « fiasco » le plan anti-crack lancé en 2019, auquel la région ne participe pas.
Est-ce que le toxicomane est un malade ou un délinquant ?
I. Responsabilité ou irresponsabilité pénale.
On ne nait pas toxicomane, mais on le devient. Le processus peut être divisé en quatre phases : l’essai, l’abus, l’accoutumance et enfin la dépendance psychique et physique.
La question qui se pose est celle de la détermination du stade d’apparition de la responsabilité pénale.
Le processus commence par une phase d’essai, il s’agit d’une première expérimentation de consommation d’un produit stupéfiant qui se poursuit généralement par une consommation accrue : véritable abus. La personne y prend goût et s’installe progressivement dans un processus de dépendance. Le corps et le mental s’habituent à la substance nocif, l’individu entre alors dans une phase d’accoutumance. Il devient dépendant ce qui engendre des effets irréversibles.
Afin de déterminer le stade de la responsabilité pénale, il convient de diviser les quatre phases selon deux niveaux, celui du libre arbitre de l’individu et celui de son incapacité à résister à la consommation de stupéfiants.
Le premier niveau regroupe les phases d’essai et d’abus, l’application de la responsabilité pénale ne pose généralement pas, à ce stade, de difficulté. Le consommateur est pleinement conscient de ses actes et transgresse sciemment l’article L3421-1 du Code de la santé publique :
« L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».
L’article 121-1 du Code pénal précise « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». La responsabilité pénale de la personne physique ne peut être engagée qu’en raison d’un fait personnel imputable. L’imputabilité consiste à attribuer un fait à une personne.
Le deuxième niveau regroupe les phases d’accoutumance et de dépendance, le toxicomane ne dispose plus de son libre arbitre, c’est à ce stade, que se pose la question de sa responsabilité pénale.
L’article 122-1 du Code pénal précise :
« N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime. Si est encourue une peine privative de liberté, celle-ci est réduite du tiers ou, en cas de crime puni de la réclusion criminelle ou de la détention criminelle à perpétuité, est ramenée à trente ans. La juridiction peut toutefois, par une décision spécialement motivée en matière correctionnelle, décider de ne pas appliquer cette diminution de peine. Lorsque, après avis médical, la juridiction considère que la nature du trouble le justifie, elle s’assure que la peine prononcée permette que le condamné fasse l’objet de soins adaptés à son état ».
L’article 122-1, tout en considérant que la personne atteinte au moment des faits d’un trouble psychique ou neuropsychique est irresponsable pénalement ajoute que ses actes demeurent punissables. Le texte précise que la juridiction même si elle doit tenir compte de cette circonstance peut toutefois l’écarter.
La portée de l’article 122-1 est générale à toutes les incriminations délictuelles et ne vise pas le contexte particulier des infractions à la législation sur les stupéfiants.
Or, l’action du toxicomane est réalisée préalablement par une transgression de la loi en usant de produits stupéfiants. Il ne pouvait ignorer le risque personnel encouru par une consommation excessive de stupéfiants entrainant une dégradation physique et psychologique, ni le risque qui faisait courir aux tiers.
Son état de dépendance aux produits stupéfiants est la conséquence de son propre comportement, il en est pleinement responsable.
II. Une réponse pénale au comportement du toxicomane.
En France la consommation de produits stupéfiants est interdite qu’elle qu’en soit la nature :
« L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».
Pour acheter ses doses, le toxicomane a besoin d’argent. Dans la majorité des cas, au stade de l’accoutumance et de la dépendance, le travail devenant physiquement impossible, il ne perçoit plus de salaire. Il est alors fréquent que les ressources du toxicomane proviennent de faits délictueux qu’il perpétue.
Outre l’usage de produits stupéfiants, l’achat de ses doses quotidiennes interroge sur l’origine des fonds nécessaires à cette acquisition. Ces faits peuvent caractériser une infraction de non-justification de ressources.
Cette qualification regroupe deux éléments cumulatifs :
L’incapacité de justifier de ressources correspondant à son train de vie ;
Tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui se livrent à la commission d’infractions.
L’incapacité de justifier de ressources correspondant à son train de vie se caractérise par la confrontation de ses revenus et de ses charges afin de mettre en exergue des charges sans rapport avec les revenus.
L’estimation de ses ressources est facilement réalisée par la consultation de documents indiscutables tels que factures, bulletins de paye ou bien encore déclaration de revenus ou autres attestations justifiant l’octroi de prestations.
Quant aux charges, il suffit de relever toutes les dépenses liées au logement, aux frais d’énergie, d’hôtel, de restaurant, vestimentaires ou encore l’achat de véhicules automobiles. La consultation des mouvements de fonds sur les comptes bancaires peut faciliter le calcul des charges.
L’auteur doit présenter un patrimoine disproportionné entre ses revenus légaux et son train de vie. Cette condition n’est pas difficile à vérifier, le consommateur dépendant est dans l’incapacité d’occuper un emploi stable. Même s’il perçoit le RSA, cela ne constitue pas un revenu suffisant pour acheter ses doses quotidiennes. L’analyse de son train de vie va nécessairement démontrer une disproportion entre ses revenus et ses dépenses.
Il a ainsi été jugé qu’un couple qui, même avec un train de vie modeste, possédait des avoirs bancaires disproportionnés à leurs revenus mensuels, multipliait les mouvements de fonds et effectuait de nombreux paiements en espèces.
Il est de jurisprudence constante que la charge initiale de la preuve appartient au prévenu qui doit justifier la provenance des fonds. Mais c’est à l’accusation d’apporter la preuve que la personne poursuivie avait connaissance que les ressources de la personne avec laquelle elle était en relation habituelle avaient une origine frauduleuse.
Il n’est pas exigé que la personne ait fait l’objet d’une condamnation définitive, cela ne contrevient pas au principe de la présomption d’innocence.
Les relations habituelles avec un ou plusieurs auteurs d’infraction doivent être démontrées, la personne doit bénéficier directement ou indirectement du produit de l’infraction. Le délit de non-justification de ressources a été retenu pour des parents trouvés en possession de numéraires et vêtements provenant de vols réalisés par leurs enfants suffisamment âgés pour les commettre à leur instigation. Ils vivaient en groupe, leurs ressources ne pouvaient justifier la détention d’une grosse somme d’argent ni la propriété de trois véhicules de grande puissance.
Les relations habituelles peuvent se limiter à des rencontres, des entrevues ou des visites. L’auteur de la non-justification de ressources doit être en relation avec l’auteur d’une autre incrimination. Ce qui est le cas, le toxicomane est nécessairement en relation avec son dealer pour acheter sa dose.
La question de savoir si le toxicomane est un malade ou un délinquant est complexe.
Il est devenu un malade, dépendant des produits stupéfiants, mais sa situation physique et psychologique résulte de la transgression de la loi. La Cour de cassation a rappelé, dans une décision récente, que l’origine du trouble était sans incidence sur l’irresponsabilité pénale, faisant ainsi une stricte application de l’article 122-1 du Code pénal.
Considérer le toxicomane sous l’angle de la maladie est une vision à très court terme et insoluble. En effet, l’efficacité requiert des mesures de fonds pour empêcher qu’une personne devienne dépendant. D’autres personnes vont devenir à leur tour dépendantes et il sera nécessaire également de leur apporter des soins.
L’esprit de l’article 122-1 du Code pénal est compréhensible, mais pour autant doit-il bénéficier à celui qui a créé les conditions de commettre une infraction ?