La valse des conventions forfait-jours continue : au tour du BTP.

Par Thierry Vallat, Avocat.

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Explorer : # forfait-jours # temps de travail # droit du travail # santé et sécurité au travail

L’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 juin 2014 concernant le BTP vient s’ajouter à la déjà longue liste des décisions ayant invalidé les conventions applicables au forfait jour ne permettant pas de garantir le respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires

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Depuis la loi du 20 août 2008 qui a modifié l’article L 3121-2 du Code du travail :«  peuvent conclure une convention de forfait en heures sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail applicable aux conventions individuelles de forfait fixée par l’accord collectif :

1° Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégré ;

2° Les salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps  ».

Ce système de décompte du temps de travail s’adresse à des catégories de salariés autonomes dont la durée de temps de travail ne peut être prédéterminée et ces dispositions permettent de calculer la durée de travail d’un cadre, sur la base d’un nombre de jours sur l’année (218 jours au maximum).

Le forfait ainsi convenu permet donc à la fois de globaliser le temps de travail du salarié, qui le gère de manière autonome, mais aussi de globaliser la rémunération qui lui est versée.

Le "forfait-jours" autorise ainsi une dérogation à la durée légale hebdomadaire de 35 heures, particulièrement le paiement des heures supplémentaires, en permettant aux salariés concernés de bénéficier de jours de repos supplémentaires (RTT)

La validité des conventions forfait-jours est subordonnée à la nécessité d’un accord collectif qui en fixe le cadre sur l’année qui doit comporter des mesures concrètes de nature à assurer le respect du décompte effectif des jours et demi-journées travaillés ainsi que des repos journaliers (11 heures) et hebdomadaires [1].

L’employeur doit également s’assurer du respect des clauses de l’accord collectif, des garanties prévues par la loi et que le repos quotidien et hebdomadaire soit effectif, grâce à un entretien annuel individuel obligatoire [2].

Enfin, le forfait-jours doit être accepté par écrit par le salarié par une convention individuelle.

La Cour de cassation a été ainsi amenée à affiner les conditions de licéité du forfait-jours [3].

Il faut donc non seulement un contrôle, mais aussi l’établissement d’un document de contrôle, le suivi régulier de l’organisation de travail et un entretien annuel, ainsi qu’une charge de travail raisonnable et bien répartie.

Il apparaît malheureusement que la plupart des accords d’entreprise ou accords de branche sont fort succincts sur la définition des forfait-jours et se contentent trop souvent d’énumérer les salariés éligibles et une durée de travail, sans définir les modalités de l’entretien sur la charge de travail ou les durées maximales et les temps de repos adaptés au niveau d’activité du cadre afin de préserver sa santé.

Par ailleurs, de nombreuses entreprises ont cru devoir faire l’impasse sur les conventions individuelles destinées à aménager le volume d’activité au nombre de jours travaillés.

C’est pourquoi des salariés toujours plus nombreux ont commencé à s’engouffrer dans ces brèches pour contester les accords passés et solliciter des indemnisations et le paiement d’heures supplémentaires.

Depuis 2011, la Cour de cassation a ainsi été saisie de ces difficultés et a commencé à retoquer systématiquement un certain nombre de conventions collectives sur la question des forfait-jours [4]

Tout récemment encore, la convention collective des cabinets d’experts-comptables a également été invalidée par deux décisions de la Cour de cassation du 14 mai 2014 au motif que ses dispositions n’étaient pas «  de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié »

C’est donc en toute logique qu’un arrêt du 11 juin 2014 [5] invalide la convention du BTP sur des fondements identiques.

La motivation de cette décision, rendue au visa de l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l’article L. 3121-45 du Code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, interprété à la lumière de l’article 17, paragraphes 1 et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est sans ambiguïté :

"...Attendu, d’abord, que le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles ;

Attendu, ensuite, qu’il résulte des articles susvisés des Directives de l’Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur ;

Attendu, enfin, que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ;

Attendu que pour rejeter les demandes du salarié en paiement d’heures supplémentaires et d’indemnité pour repos compensateur non pris, l’arrêt retient que la convention de forfait dont se prévaut l’employeur a été signée sur le fondement d’un accord d’entreprise conclu au sein de la société Fougerolle Ballot, qu’elle précise le nombre de jours travaillés (deux cent dix-sept jours), la rémunération étant « maintenue à son niveau antérieur, bien que le temps de travail soit réduit » et a été signée et acceptée par le salarié ; qu’elle a par ailleurs été prise en compte dès le 1er mars 2000 comme l’établit son bulletin de paie dudit mois ; que c’est en vain qu’il est soutenu qu’elle serait illicite au motif qu’elle ne pouvait être convenue, conformément à la convention collective, qu’avec des IAC classés au moins en position B, 2e échelon, catégorie 1 dès lors que cette même convention prévoit en son titre III que « Sur proposition de leur employeur les IAC ou Etam ayant des responsabilités d’encadrement, de maintenance, de gestion ou d’expertise technique peuvent, à compter de l’entrée en vigueur du présent accord bénéficier d’un salaire exprimé forfaitairement avec une référence à un nombre annuel de jours de travail » ; que le salarié ne peut pas davantage arguer qu’il était cadre intégré et non pas cadre autonome sans en justifier par un quelconque élément ;

Qu’en statuant ainsi, alors que ni les dispositions du titre III de l’accord national du 6 novembre 1998 relatif à la durée du travail dans les entreprises de bâtiment et travaux publics ni les stipulations de l’accord d’entreprise qui, s’agissant de l’amplitude des journées de travail et la charge de travail qui en résulte, prévoient seulement qu’il appartient aux salariés de tenir compte des limites journalières et hebdomadaires et d’organiser leurs actions dans ce cadre et en cas de circonstances particulières d’en référer à leur hiérarchie de rattachement, ne sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû déduire que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d’appel a violé les textes susvisés".

Tout est dit : on ne peut déroger aux règles relatives au temps de travail, que dans le respect des principes généraux du droit à la santé et au repos des travailleurs, érigés comme exigence constitutionnelles par la Cour de Cassation. [6]

Thierry Vallat, Avocat

www.thierryvallatavocat.com

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Notes de l'article:

[1C. trav., art. L. 3121-39

[2C. trav., art. L. 3121-46

[3Cass. soc., 29 juin 2011, n°09-71.107

[4Industrie chimique le 31 janv. 2012, Aide à domicile en milieu rural le 13 juin 2012, Habillement le 19 sept. 2012, commerce gros le 26 septembre 2012, Syntec le 24 avril 2013

[5pourvoi n° 11-20.985

[6pour un point complet sur la question : voir notre article dans le numéro 138 de juin 2014 des Cahiers Lamy du CE.

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