La vie plus chère en région parisienne permet de verser des rémunérations plus élevées qu’en province.

Par Magali Baré, Consultante.

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Explorer : # disparité salariale # coût de la vie # Égalité de traitement # rémunération

La différence de coût de la vie entre l’Ile-de-France et la province peut-elle justifier des rémunérations différentes ? Dans un arrêt du 14 septembre 2016 la Cour de cassation répond par l’affirmative, semblant aller à l’encontre de sa jurisprudence antérieure.

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Si le principe « à travail égal salaire égal » paraît très simple en raison de son évidence lorsqu’on l’énonce, son application est en réalité très sophistiquée. Depuis des années, les tribunaux s’attachent à déterminer au fil des litiges qui leur sont soumis le champ d’application de ce principe ainsi que ses nombreuses exceptions. L’arrêt du 14 septembre 2016 en est une nouvelle illustration.

La décision concerne la société Renault qui compte 11 établissements, certains en région parisienne et d’autres en province. Pour un même travail, elle applique dans ses établissements franciliens un barème de rémunération supérieur à celui appliqué sur le site de production de Douai. Le syndicat SUD, estimant qu’il s’agissait d’une violation du principe d’égalité de traitement, a saisi le Tribunal de grande instance pour obtenir l’application du même barème aux salariés de Douai.

La question posée à la Cour de cassation dans cette affaire était donc de savoir si la disparité du coût de la vie entre des zones géographiques différentes mais sur lesquelles sont réalisées des prestations de travail identique est une raison objective et pertinente de rémunérer différemment les salariés d’une même entreprise.

Réponse de la Cour : une telle différence de traitement est admise si elle repose sur des raisons objectives dont les juges doivent contrôler la réalité et la pertinence.

En l’espèce, les juges du fond avaient vérifié que la différence de coût de la vie entre les deux zones géographiques invoquées par Renault était établie par l’employeur. La Cour de cassation confirme donc qu’il s’agit bien d’une justification objective et pertinente.

Une dérive de la notion de travail ?

L’arrêt du 14 septembre 2016 semble marquer une évolution de la position antérieure de la Cour de cassation. En 2009, elle avait condamné une entreprise à un rappel de salaire au motif qu’un « abattement de zone » appliqué aux salariés d’un établissement de l’Hérault et pas à ceux d’autres établissements ne faisait l’objet d’« aucune explication objective … propre à justifier les différences de traitement constatées entre les salariés … placés dans une situation professionnelle identique » (Cass. Soc., 21 janv. 2009, no 07-43.452 à no 07-43.464). Même position en 2010 dans une situation proche : « l’allégation de la société relative au niveau du coût de la vie plus élevé à Paris qu’en Province n’était fondée sur aucun élément objectif » (Cass. Soc. 5 mai 2010 n° 08-45.502).

Est-ce à dire qu’on en avait déduit trop vite que le coût de la vie ne pouvait pas justifier une adaptation du niveau de rémunération basé sur la localisation géographique du site alors qu’il s’agissait peut-être d’affaires dans lesquelles les explications fournies par l’employeur avaient tout simplement été jugées insuffisantes ? En tout cas, il y a fort à parier que cette décision va inspirer employeurs comme partenaires sociaux dans les entreprises implantées dans plusieurs régions.

Il avait déjà été admis qu’une différence de rémunération pouvait être justifiée par l’ancienneté (Cass. Soc. 21 janv. 2009 n° 07-40.609) ou les qualités professionnelles du salarié (Cass. Soc. 13 nov. 2014 n° 12-20.069) ou encore la pénurie de candidats lors du recrutement (Cass. Soc. 16-3-2011 n° 09-43.529). Point commun de ces décisions : le critère utilisé renvoyait toujours à l’activité ou aux conditions de travail.

Or, dans l’arrêt Renault, le critère retenu est complètement étranger à la prestation de travail fournie par le salarié puisqu’il s’agit uniquement de la différence du coût de la vie entre bassins d’emploi.

Pour justifier l’écart de rémunération de l’ordre de 1,9 % et 1,57 %, l’employeur a fourni des études et des articles faisant apparaître des loyers et un prix au mètre carré plus élevé en Ile-de-France et a réalisé une carte avec le prix du logement dans les différentes communes dans lesquelles résident ses salariés.

Ce qui est singulier, c’est que la différence de rémunération était appliquée sur le salaire de base. Ce dernier n’est donc plus uniquement la contrepartie du travail, puisque la valeur de l’activité d’un salarié de Douai n’est pas inférieure à celle d’un salarié francilien, mais il peut également dépendre d’un élément extérieur comme le prix des produits de consommation et du logement.

On comprendrait mieux, et la mesure gagnerait sans doute en lisibilité, si le salaire de base était identique pour tous les salariés effectuant un même travail et qu’une indemnité spécifique était versée en complément pour les salariés travaillant dans une zone plus chère.

D’ailleurs n’existe-t-il pas déjà d’autres mesures locales tenant compte de la spécificité de la région francilienne, telle que l’attribution de titres-restaurants ou le remboursement de frais de transports ? Dans cette hypothèse, le versement d’une rémunération majorée serait plus difficilement justifiable.

On s’interroge également sur le fait que l’on considère d’emblée que les salariés travaillant dans un établissement francilien résident dans le même périmètre. Cela reste à démontrer car il n’est pas rare que des collaborateurs fassent le choix, dans un cadre strictement personnel, de vivre dans un département limitrophe de l’Ile-de-France dans lequel le coût de la vie est bien inférieur. Dans ce cas, faudra-t-il tenir compte du lieu de résidence pour éviter de générer de nouvelles disparités ? Il existe alors un risque de tomber dans le champ de la discrimination car l’article L. 1132-1 du code du travail semble l’interdire expressément : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte … notamment en matière de rémunération, en raison … de son lieu de résidence ».

Et finalement, si l’on tient compte du lieu de résidence, élément de la vie privée et complétement étranger à la prestation de travail du salarié, pourquoi ne pas aller plus loin et faire droit à d’autres demandes qui pourraient émerger au motif que des choix personnels comme l’achat d’un certain type de véhicules ou plusieurs enfants rendent la vie de certains collaborateurs plus coûteuse que pour d’autres ?

Peut-on intégrer les disparités de coût de la vie dans les grilles de rémunérations conventionnelles ?

Si l’on accepte de tenir compte du coût de la vie dans la fixation du salaire par une décision unilatérale de l’employeur, la légitimité accrue de l’accord collectif devrait sans conteste être un moyen de fixer des grilles de rémunérations différentes selon la localisation d’un établissement.

Rappelons que la Cour de cassation a récemment infléchi sa jurisprudence concernant les différences de traitement prévues par accord collectif en fonction de la catégorie professionnelle (Cass. Soc., 27 janv. 2015, n°13-22.179) ou des fonctions exercées (Cass. Soc., 8 juin 2016, n°15-11.324) en considérant que « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions et accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives … sont présumées justifiées ». Il appartient alors à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle.

Concernant la fixation des rémunérations, qu’il s’agisse du salaire de base ou d’un complément, cette présomption ne jouerait pas nécessairement car elle n’a pas été étendue aux différences de traitement reposant sur le lieu de travail. En tout état de cause, il serait aisé de démontrer que la différence de traitement repose sur un élément étranger à toute considération d’ordre professionnel puisqu’il s’agit d’un élément extérieur à l’entreprise et au salarié.

Néanmoins, rien ne paraît interdire de telles dispositions. En cas de contentieux, il serait tout à fait possible de justifier la réalité d’une différence de coût de la vie entre certaines zones géographiques, comme ce fut fait dans l’arrêt « Renault ». Le préambule ou le corps même de l’accord auraient alors intérêt à mettre en avant les éléments sur lesquels les négociateurs se sont appuyés pour moduler le niveau des rémunérations.

Magali Baré
Consultante
Cabinet IDée Consultants

www.ideeconsultants.fr

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