Droit international de la filiation : vers un droit à la filiation ?

Par Caroline Elkouby Salomon, Avocat

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Explorer : # droit de la filiation # ordre public international # loi applicable # protection de l'enfant

L’arrêt de la Cour de cassation rendu par la première chambre civile le 26 octobre 2011 sous le n° 09-71. 369 marque un tournant important dans l’évolution du droit international de la filiation.

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L’article 311-14 du Code civil français dispose que « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant ; si la mère n’est pas connue, par la loi personnelle de l’enfant ».

Ce texte permet au juge français saisi d’une action en recherche de paternité de désigner la loi applicable à l’espèce qui lui est soumise. Le caractère hétérogène des différentes législations nationales en matière de filiation a souvent permis l’impossibilité pour un enfant né d’une mère dont la loi nationale n’autorisait pas les actions en recherche de paternité, ou même prohibait simplement l’établissement de la filiation naturelle, d’établir sa filiation.

Par exemple, l’enfant né d’une mère algérienne, mais d’un père français qui ne l’avait pas reconnu, ne pouvait pas établir sa filiation à l’égard de celui-ci parce que la loi algérienne, loi nationale de la mère de l’enfant, ne reconnaissait pas l’établissement de la filiation naturelle.

Afin d’écarter ces lois étrangères, les juridictions françaises ont eu recours, soutenues et approuvées par la Cour de cassation, à la mise en oeuvre de l’exception de l’ordre public international français.

Dans un premier temps, en 1988 (Civ, 1ère, 3 novembre 1988, numéro 87-115 68), la Cour de cassation a édicté une sorte d’ordre public « alimentaire » : «  Mais attendu que les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l’ordre public international dont la seule exigence est d’assurer à l’enfant les subsides qui lui sont nécessaires  ». Ainsi, si la Cour de cassation acceptait que l’enfant ne puisse pas établir sa filiation conformément au droit étranger applicable, elle n’acceptait cependant pas que le père prétendu et dont on pouvait prouver qu’il avait des relations intimes avec la mère pendant la période légale de conception, n’assure pas à l’enfant demandeur les subsides nécessaires à son éducation.

Quelques années plus tard, la Cour de cassation allait plus loin dans son raisonnement et dans la protection de l’enfant : « Si les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont, en principe, pas contraires à la conception française de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet de priver un enfant français, ou résident habituellement en France du droit d’établir sa filiation  ». (Civ 1ère, 10 février 1993, n°89-21.997).

En somme, dès lors que l’enfant résidait en France ou possédait la nationalité française, la Cour de cassation considérait qu’il pouvait établir sa filiation à l’égard du père prétendu quand bien même la loi applicable étrangère l’interdisait.

L’arrêt récemment rendu par la Cour de cassation le 26 octobre dernier va plus loin puisque l’attendu de principe ne se réfère même plus au lien territorial ou personnel que l’enfant doit avoir avec la France pour pouvoir établir sa paternité alors qu’un droit étranger applicable le prohibe.
« Mais attendu qu’ayant, à bon droit, mis en oeuvre la loi ivoirienne, désignée par la règle de conflit de l’article 311-14 du Code civil français, qui rattache l’établissement de la filiation à la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant et ayant relevé que M. X étant marié au moment de la naissance de cet enfant, l’action en recherche de paternité était irrecevable en application des articles 22 et 27 du Code de la famille ivoirien, la Cour d’appel a exactement décidé que ces dispositions étaient contraires à l’ordre public international français des lors qu’elle privait l’enfant de son droit d’établir sa filiation paternelle  ».

Le raisonnement de la Cour de Cassation est le suivant :

1) elle applique la loi étrangère, en l’espèce le Code de la famille ivoirien, en application de l’article 311-14 du Code civil
2) elle constate qu’eu égard aux dispositions de cette législation l’enfant, ne peut pas établir sa filiation à l’égard du père désigné,
3) elle écarte la loi étrangère considérant qu’elle est contraire à l’ordre public international français « puisqu’elle prive l’enfant du droit d’établir sa filiation ».

Une telle jurisprudence est naturellement progressiste et permet à tout enfant qui saisit un juge français d’une action en recherche de paternité d’établir leur filiation quelques soient les dispositions étrangères applicables qui prohiberaient l’établissement de la filiation de l’enfant. Encore faudra-t-il que le juge français se déclare territorialement compétent : ce sera le cas par exemple lorsque le père prétendu résidera en France.

Caroline ELKOUBY SALOMON
Avocat au Barreau de Paris
Spécialisée en droit de la famille, des personnes et du patrimoine
Associée du cabinet BES Avocats
www.bes-avocats.com

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  • par Calatrava , Le 20 novembre 2015 à 13:46

    En DIP, le système français considère qu’il y a une sorte d’égalité entre la loi du for et la loi étrangère, il y a un égale vocation de la loi du for et de la loi étrangère à régir un litige international. Alors, pour quoi la Cour ne donne pas de protection à les enfants étrangères ?. C´est le cas par example de la mére algeriéenne. (Cass 1ère Civ., 10 mai 2006)

  • par angelebeni , Le 14 janvier 2015 à 16:31

    je vois que le droit international privé connait une evolution en france à travers cette sortie du juge français.la regle designée par l’interrogation de la regle de conflit de loi pouvant etre ecartée par le juge français

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