Le sous-traitant demeure bien souvent dans l’ombre de l’entrepreneur principal, sans pouvoir profiter du « soleil monétaire » du maître d’ouvrage.
Derrière une opération de sous-traitance peuvent en effet se cacher bien des motifs, plus au moins avoués, de l’entrepreneur principal :
soit qu’il n’ait pas la compétence ou les moyens de réaliser lui-même tels out tels types de travaux particuliers ;
soit qu’il réalise une marge commerciale en confiant à moindre coût la réalisation de tout ou partie du montant de son marché, à un sous-traitant en situation de dépendance économique.
Dans ce type de situation, et on comprend bien pourquoi, il n’est pas rare que la sous-traitance demeure occulte et que le sous-traitant ne soit pas connu du maître d’ouvrage.
Ce qui pose un problème majeur, que l’on rencontre très souvent en pratique, et provenant de l’insolvabilité toujours possible de l’entrepreneur principal : comment le sous-traitant du bâtiment, confronté à l’insolvabilité de l’entrepreneur principal, et à l’égard duquel il est dans une situation de dépendance économique avérée, peut-il obtenir le paiement du montant de ses travaux ?
Comme on va le voir, les garanties initiales apportées au sous-traitant par la loi du 31 décembre 1975, se sont rapidement avérées insuffisantes (I), ce qui a conduit le législateur à insérer un article 14-1, à la loi de 1975, modifié par une loi du 6 janvier 1986 (II), dont l’application nécessite quelques conseils pratiques.
I – Les garanties "classiques" du sous-traitant
La loi de 1975 dispose en premier lieu en son article 3 que l’entrepreneur principal qui entend faire appel à un sous-traitant doit faire accepter chaque sous-traitant et faire agréer ses conditions de paiement par le maître de l’ouvrage.
Le respect de cette disposition conditionne la régularité de la sous-traitance et par là même, la possibilité pour le sous-traitant de se prévaloir, en matière de marché privé, d’une action directe contre le maître de l’ouvrage si l’entrepreneur principal ne paie pas, un mois après avoir été mis en demeure.
A défaut pour le sous-traitant d’avoir été accepté officiellement par le maître d’ouvrage et d’avoir vu agréer ses conditions de paiement par ce dernier, le sous-traitant ne bénéficiera pas de l’action directe prévue par l’article 12 de la loi de 1975 et ne pourra, sauf exception que l’on verra en deuxième partie, se prévaloir d’aucune action à l’encontre du maître d’ouvrage : ce qui le rend entièrement dépendant de l’entrepreneur principal.
Il lui restera alors, en matière de marchés privés, la possibilité, comme évoqué précédemment, d’actionner l’une de deux garanties de paiement prévues par l’article 14 de la loi du 31 décembre 1975 :
"À peine de nullité du sous-traité, les paiements de toutes les sommes dues par l’entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur de l’établissement qualifié, agréée dans des conditions fixées par décret.
Cependant, la caution n’aura pas lieu d’être fournie si l’entrepreneur délègue le maître de l’ouvrage au sous-traitant dans les termes de l’article 1275 du Code Civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant."
L’entrepreneur principal doit en effet fournir une garantie de paiement au sous-traitant, caution bancaire ou délégation de paiement (acte au terme duquel il est stipulé que le montant des sommes dues par l’entrepreneur principal au sous-traitant sera payé directement par le maître d’ouvrage au sous-traitant, à hauteur du montant de la délégation), sous peine de nullité du sous-traité.
Pour autant, et en cas d’insolvabilité de l’entreprise principale, la nullité du sous-traité n’est d’aucun intérêt pour le sous-traitant !
A défaut d’action directe, faute d’avoir été déclaré au maître d’ouvrage, ou de l’une des deux garanties de paiement (délégation de paiement et caution bancaire), le sous-traitant, confronté à l’insolvabilité de l’entrepreneur principal, ce qui est loin d’être une hypothèse d’école, demeurait donc démuni.
Or, quelle qu’en soient les raisons, il demeure extrêmement fréquent en pratique que le sous-traitant ne soit pas déclarer auprès du maître d’ouvrage, ce qui le prive, la plupart du temps, tant de l’action directe que de la délégation de paiement, la caution bancaire étant parallèlement très rarement souscrite par l’entrepreneur principal dans ce genre de cas où celui-ci souhaite "cacher" l’intervention du sous-traitant.
II – Le substitut du sous-traitant pour se faire payer : rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage
Afin d’éviter les écueils décrits précédemment, la loi du 6 janvier 1986 a inséré un article 14-1 dans la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance :
Imposant au maître de l’ouvrage, à la condition qu’il ait connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant qui ne lui a pas été déclaré, de mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de se faire accepter et de faire agréer ses conditions de paiement ;
Imposant au maître d’ouvrage d’exiger de l’entrepreneur principal, à défaut de délégation de paiement, qu’il justifie avoir fourni une caution bancaire au profit du sous-traitant.
"Le maître de l’ouvrage doit, s’il a connaissance de la présence sur le chantier d’un sous-traitant n’ayant pas fait l’objet des obligations définies à l’article 3, ou à l’article 6, ainsi que celles définies à l’article 5, mettre l’entrepreneur principal ou le sous-traitant en demeure de s’acquitter de ses obligations.
Ces dispositions s’appliquent au marché public et privé."
Autrement dit, le maître de l’ouvrage est le "policier" du respect par l’entrepreneur principal des obligations nées de la loi de 1975.
Si le maître de l’ouvrage ne remplit pas ce rôle et ne met pas en demeure l’entrepreneur principal de se mettre en conformité avec la loi de 1975, (faire accepter son sous-traitant, faire agréer ses conditions de paiement, et lui fournir des garanties de paiement), il engage sa responsabilité, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour de Cassation (voir pour exemple, Cassation III civile 29.03.2000, arrêt n°561 D, Cassation III Civile, 04.01.1999, arrêt n°1572 D ; Cassation III Civile, 10.01.2001, arrêt n°27FS D, etc).
La Cour de Cassation précise que :
"La faute commise par le maître de l’ouvrage a empêché le sous-traitant, en droit de réclamer la réparation de l’entier préjudice en résultant, de bénéficier, outre de l’action directe, de la caution prévue à l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975".
et condamne, par conséquent, le maître de l’ouvrage à indemniser le sous-traitant de l’intégralité de son préjudice (Cassation III Civile, 11.05.2000 SOCIETE LABAYE C/ SOCIETE PLATRE MODERNE).
Selon la Cour d’Appel de PARIS, la mise en demeure doit être adressée en recommandée avec accusé de réception, et doit nommer le sous-traitant irrégulier, la loi imposant au maître de l’ouvrage :
"De vérifier que l’entrepreneur principal lui a répondu de façon suffisamment précise pour lui permettre d’exercer un choix motivé, soit en refusant d’accepter le sous-traitant ou d’agréer ses conditions de paiement, soit en exigeant la justification éventuelle de la caution et en vérifiant la portée"
(Arrêt Cour d’Appel de PARIS, 23ème Chambre, 30 janvier 1998, DALLOZ 1998, 11ème cahier, IR).
En somme, si le maître d’ouvrage ne veille pas au respect de la loi de 1975, il doit en assumer la responsabilité et devra indemniser le sous-traitant du montant des travaux réalisés.
Toute la difficulté, néanmoins en pratique, vient de ce qu’avant de pouvoir bénéficier de cette action en responsabilité à l’encontre du maître de l’ouvrage, qui bien souvent constitue l’ultime tentative du sous-traitant occulte, le sous-traitant doit rapporter la preuve de ce que le maître d’ouvrage connaissait sa présence sur le chantier…
Bien souvent cette preuve proviendra de compte-rendu de chantier sur lesquels la présence du sous-traitant est mentionnée, ou de divers courriers qui, portés à la connaissance du maître de l’ouvrage, révèleraient la présence sur le chantier du sous-traitant.
Sauf que lorsque les sous-traitants ne sont pas déclarés, il est très fréquent qu’il ne soit même pas mentionné sur les compte-rendu de chantier et que l’entrepreneur principal ait pris garde de ne pas le faire apparaître.
C’est pourquoi le sous-traitant doit, pour préserver l’intégralité de ses droits, soit se manifester auprès du maître d’ouvrage ou du maître d’oeuvre en sollicitant l’indication de son nom sur les comptes-rendus de chantier, soit sous une forme ou une autre, adresser un courrier au maître de l’ouvrage afin de lui indiquer sa présence.
Il faut en tout état de cause que le sous-traitant puisse rapporter la preuve que le maître d’ouvrage connaissait, en fait, sa présence sur le chantier.
Il s’agit là d’une précaution élémentaire et facile à mettre en œuvre, dont les répercutions peuvent se révéler extrêmement importantes au profit du sous-traitant.
Raphaël BERGER
Avocat au Barreau de Lyon
Spécialisé en droit de la construction