Imitation n’est pas reproduction.

Par Manuel Roche, CPI

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Explorer : # propriété intellectuelle # contrefaçon # marque

Le 3 septembre 2010, dans une affaire MATFER c/ DECO RELIEF, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt qui mérite selon nous toute l’attention des juristes spécialisés en propriété industrielle tout autant que celle des titulaires de marques amenés à engager des actions en contrefaçon.

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Le 3 septembre 2010, dans une affaire MATFER c/ DECO RELIEF, la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt qui mérite selon nous toute l’attention des juristes spécialisés en propriété industrielle tout autant que celle des titulaires de marques amenés à engager des actions en contrefaçon.

La société MATFER est notamment propriétaire de la marque française EXOGLASS N°1510653 du 25 janvier 1989, désignant entre autres des ustensiles de cuisine. Ayant constaté que la société DECO RELIEF faisait usage de sa marque pour désigner et proposer à la vente des produits qu’elle estimait à la fois identiques aux produits visés dans l’enregistrement et à ceux qu’elle commercialisait elle-même, la société MATFER l’assigna principalement en contrefaçon de marque.

La défenderesse contre-attaqua classiquement en tentant de faire annuler la marque qui lui était opposée, sur le fondement de l’article L.714-6 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), établissant une déchéance des droits pour dégénérescence. Elle essaya de démontrer que le signe EXOGLASS était devenu la désignation usuelle d’ustensiles de cuisine ou tout du moins d’une de leurs caractéristiques, étant argué que la société MATFER utilisait elle-même la marque EXOGLASS pour identifier le matériau composite de ses propres découpoirs.

Toutefois, les magistrats relevèrent que MATFER utilisait toujours le signe EXOGLASS accompagné d’une mention précisant qu’il s’agissait d’une marque déposée. Par ailleurs, ils estimèrent que la preuve d’un usage répandu n’était pas rapportée. Enfin et surtout, ils considérèrent "que le terme EXOGLASS associé à des ustensiles de cuisine, ne les désigne pas et qu’il n’en désigne pas davantage une de leurs qualités, puisqu’il ne renseigne pas sur le matériau ainsi nommé" tout en relevant malicieusement que "l’intimée qui prétend faire usage du terme litigieux pris dans son acception courante est cependant dans l’incapacité de dire quelle en serait la composition et quelles en seraient les propriétés pour des ustensiles de cuisine". Les juges ne pouvaient donc conclure autrement qu’en qualifiant le signe EXOGLASS d’arbitraire en relation avec des ustensiles de cuisine.

Cependant, l’intérêt et le véritable enseignement de cette décision résident selon nous dans le raisonnement des magistrats eu égard à l’examen de la contrefaçon.

Dans la mesure où la défenderesse présentait ses produits sur son site Internet et sur son catalogue avec la mention "En Exoglass", la demanderesse avait cru bon de fonder son action sur l’article L.713-2 du CPI, aux termes duquel "Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire : a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : "formule, façon, système, imitation, genre, méthode", ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement […]". Il s’agissait donc de démontrer une contrefaçon de la marque EXOGLASS par reproduction, soit par reprise du signe sans retrait ni ajout ou avec des différences insignifiantes qui échappent à un consommateur d’attention moyenne, selon la formule consacrée.

Compte tenu de la mention litigieuse, l’action semblait vouée au succès. Néanmoins, au terme d’une analyse extrêmement détaillée des circonstances de l’usage incriminé, les juges du fond observèrent que "le signe EXOGLASS n’est pas reproduit seul puisqu’il est précédé de la préposition "En" avec laquelle il est sémantiquement et visuellement associé, les deux termes se détachant du reste du texte par leur présentation isolée et par la taille plus haute de leurs caractères". Selon eux, la demande en contrefaçon par reproduction ne pouvait donc prospérer.

Un constat s’impose immédiatement : la sévérité des magistrats parisiens. Il est sans doute grammaticalement exact de considérer que la préposition "en" n’est pas sémantiquement dissociable du terme EXOGLASS. Néanmoins, à notre sens, il était tout à fait envisageable de considérer a contrario que l’association de la préposition "en" au signe EXOGLASS ne faisait que mettre en valeur la marque invoquée, comme l’aurait fait un terme tel que "système", précisément cité, à titre non exhaustif rappelons-le, par le texte de l’article L.713-2 du CPI. Par ailleurs, l’adjonction de la préposition "en" au signe EXOGLASS ne constituait-elle pas une adjonction insignifiante pour le consommateur d’attention moyenne ?

Une seule explication peut selon nous être tentée pour comprendre la position de la Cour. Il n’est pas impossible que les juges aient voulu manifester leur volonté de réserver le recours à l’article L.713-2 du CPI à des hypothèses de stricte reproduction à l’identique de la marque invoquée, ce pour éviter que les titulaires de droit n’en abusent et s’abstiennent ainsi de la démonstration d’un risque de confusion, critère fondamental de la contrefaçon par imitation sanctionnée par l’article L.713-3.

En tout état de cause, un enseignement majeur s’impose à la lecture de cette décision. Il ne faut jamais négliger de prévoir une argumentation et de développer des demandes subsidiaires lors d’une action judiciaire, notamment en contrefaçon de marque. S’il est fréquent que des demandes sur le fondement de la concurrence déloyale accompagnent parallèlement ou subsidiairement des demandes principales en contrefaçon, comme c’était d’ailleurs le cas en l’espèce, sans plus de succès pour la demanderesse, il ne faut visiblement pas délaisser une demande subsidiaire sur le terrain de la contrefaçon par imitation même lorsque les faits suggèrent qu’une demande sur le terrain de la contrefaçon par reproduction apparait parfaitement suffisante.

Imitation n’étant pas reproduction, l’économie de moyens en matière judiciaire ne paie pas.

Manuel ROCHE
Conseil en propriété industrielle - Marques & Modèles
INSCRIPTA
http://www.inscripta.fr

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