Le nouvel avocat salarié en entreprise : danger pour la démocratie.

Par Jean de Valon, Avocat.

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Explorer : # secret professionnel # indépendance des avocats # juristes d'entreprise # démocratie

La création envisagée du nouvel avocat salarié en entreprise est contraire aux fondamentaux de la profession d’avocat et peut porter, en germe, la mort de celle-ci comme profession participant des contre-pouvoirs démocratiques.

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J’imagine déjà que le lecteur va lever un sourcil, hausser les épaules et se dire vraiment que les avocats ne brassent que du vent, des grands mots, loin des réalités sonnantes et trébuchantes.
Et c’est bien là la difficulté.

Il y avait, autrefois, le fou du roi et puis carnaval qui existaient pour rappeler la nécessité de contrebalancer l’absolutisme, y compris par le rire.

Mais, plus sérieusement, la démocratie s’est construite sur un jeu subtil de pouvoirs et de contre-pouvoirs dans lequel la notion de secret a son importance puisqu’il est une protection donnée.
Un peu comme l’asile était donné en d’autre siècle dans les églises quand les brutes guerroyaient.
Ainsi s’est construit l’avocat, celui qui est traditionnellement conçu comme défendant devant les tribunaux de manière totalement indépendante, protégé par le secret professionnel.

C’est le soubassement culturel de l’avocat judiciaire, celui qui fréquente les tribunaux et qui, toujours, quelque part dans sa psyché, a conscience qu’à travers lui, c’est la protection du citoyen qui est assurée parce qu’il pourra, lui, dire en toute indépendance des choses désagréables, protégé, d’ailleurs, à cet égard, par l’immunité de la parole devant les juridictions.
L’avocat, c’est celui qui est capable de dire non en face de tous !

Parallèlement les sociétés ont évolué, se sont industrialisées, numérisées et sont apparues les entreprises transnationales et les grands groupes industriels et financiers.
Parallèlement aussi, la vérité est que le monde anglo-saxon gagne, dont les conceptions juridiques ne sont pas les mêmes.
Les entreprises ont des juristes, des juristes d’entreprises qui ont pour particularité de ne pas bénéficier du secret professionnel, ce qui gêne les juristes français qui ne demandent que ça : bénéficier du secret.

Pour une raison, finalement difficile à comprendre, certains avocats, mais je pense que ce sont les enfants de ce qu’on appelait autrefois les conseils juridiques qui s’adressaient aussi aux entreprises, veulent avaler la profession de juriste d’entreprise et la faire dépendre des ordres d’avocats, et aussi des caisses de retraite.
Alors il a été imaginé de créer le nouvel avocat salarié en entreprise, immédiatement surnommé par la profession nase, car il est naze.

Cet être étrange serait avocat, mais salarié, mais subordonné à un patron non avocat, mais ne pouvant lui opposer le secret professionnel.
De même d’ailleurs son secret ne serait pas opposable à certaines autorités.
Il paraît que cette chose avocat ne pourrait pas plaider, mais c’est inexact puisque d’ores et déjà les juristes d’entreprises peuvent plaider devant certaines juridictions, et probablement les plus intéressantes pour la finance.
Notamment devant le Tribunal de commerce, voyez-vous, ou le Conseil des prud’hommes.

L’inquiétude que ressent l’avocat dit de souche, comme pourrait dire Monsieur Finkielkraut, c’est qu’à force de vouloir avaler des professions différentes de la sienne, dans la structure mentale et dans la psychologie, un risque sérieux est encouru, mortifère même.
Le risque d’une profession dans laquelle les avocats judiciaires soient désormais minoritaires (s’ils ne le sont déjà) et, dès lors, dans laquelle les instances de gouvernement de la profession n’auraient pas à cœur cette notion de contre-pouvoir pour être plutôt dans une logique, respectable, d’efficacité et de profitabilité.

Il est intéressant de voir que dans les dernières élections du Conseil national des barreaux, ce sont les barreaux dans lequel l’ACE, le syndicat des avocats conseils d’entreprise avait un poids important, qui ont porté en tête des élus favorables au projet.
Comme il est intéressant de constater que c’est le riche barreau de Paris (sauf pour une forte proportion des avocats traditionnels de la capitale qui ne sont pas représentés) qui est également favorable au projet.

L’inquiétude que peut ressentir un avocat de souche, à l’heure où les perquisitions se multiplient dans les cabinets d’avocats parce que le secret professionnel est haï par le pouvoir et, il faut le reconnaître, par certains juges, c’est que créer une profession dans laquelle certains auraient un secret professionnel absolu et d’autres un secret professionnel altéré, vicié, génère un risque d’affaiblissement du secret professionnel, car on devine déjà les tentations de tout pouvoir de chercher par la suite à le réduire pour tout le monde.

Ceux dans la profession qui ont conçu ce projet n’ont, j’en fais le pari, jamais mis la robe, s’ils en ont une, dans un Palais de justice préférant le monde des affaires.
Ce n’est pas gênant, c’est nécessaire.
Mais courir le risque d’affaiblir dans son essence la profession d’avocat pour satisfaire les grands groupes financiers est quelque chose de grave pour l’avenir de la profession, son indépendance.

C’est ici qu’on rappelle que tant le droit français que le droit communautaire réserve le bénéfice secret professionnel à celui qui est indépendant et le refuse aux salariés, à l’inverse du droit anglo-saxon.
Ce qui pose une sérieuse question sur la pertinence juridique du projet.

Ceux qui veulent à toute force créer une grande profession oublient simplement que si l’on fait périr les racines de la profession d’avocat, l’indépendance, le secret, l’aspect libertaire aussi, c’est la profession elle-même qui en pâtira.

En fait, voyez-vous le nouvel avocat en entreprise, ce n’est tout simplement pas un avocat.
C’est une autre profession que l’on veut créer, pourquoi pas ; mais il faut alors lui donner un autre nom et ne surtout pas la faire venir dans la profession d’avocat pour qu’il vote et prenne le pouvoir.
Car, là, l’avocat libre, indépendant, symbole démocratique, mourra

Ça voyez-vous, c’est naze !

Alors, le 10 décembre, la profession le rappellera, son rabat étant rouge comme la chemise de l’indigne condamné à mort que l’on emmenait sur le lieu de son exécution.

Le nouvel avocat en entreprise est un danger pour les français, tout simplement, si l’on veut bien réfléchir plutôt que tout compter.

Jean de VALON
Avocat au Barreau de Marseille

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 16 novembre 2016 à 09:46
    par Delestrade Carole , Le 4 décembre 2014 à 10:45

    Tout cela est très juste !
    venez manifester le 10 decembre !

    • par cricri , Le 4 décembre 2014 à 14:37

      les ordres professionnels concernant toutes les professions réglementées juridiques, du chiffre et médicales, ne sont ils pas un danger pour toute démocratie pluraliste fondée sur un Etat de droit ??? comment peut on être à la fois juge et partie en matière disciplinaire ????

      bizarrerie française héritée du régime de Vichy ... non ?????

    • par Nicolas D. , Le 4 décembre 2014 à 14:55

      Il me semble que cette position témoigne d’une méconnaissance profonde de la réalité du métier de juriste d’entreprise. Au surplus, il est temps que la profession d’avocat totalement sclérosée (peut être à l’exception du barreau parisien) regarde un peu ce qui se fait en dehors de nos frontières et réfléchisse sur les conditions d’une évolution de ses pratiques. Elle y verrait que ce statut existe dans nombre de pays européens sans que "la démocratie" ou les libertés individuelles n’en souffrent pas et qu’au demeurant il s’agit même d’un progrès pour celles-ci. Arrêtons de convoquer nos fondamentaux sur des pratiques qui ne ressortent que de la défense d’un pré carré ou de quelques monopoles et privilèges injustifiés.

    • par Will , Le 16 novembre 2016 à 09:46

      "profession sclérosée" développez votre propos au lieu de parler par énigmes.

      "défense d’un pré carré, de monopoles et avantages injustifiés", là, c’est carrément la rigolade !

      Quel monopole ? Plaider devant le tribunal de commerce, le CPH, le Tribunal Administratif, le Tribunal d’instance ? Tout ceci est déjà possible pour qui n’est pas avocat. Reste le contentieux TGI. La belle affaire ! Les métiers du chiffre (coucou les experts comptables) et les autres professions réglementées (coucou les notaires) empiètent tous déjà plus que largement sur le conseil juridique.

      Privilèges ? Lequel ? Précisez svp, il y en a tellement ! La baisse de l’AJ ? Payer plus de 60% de charges sur ses revenus ? Ne pas bénéficier de l’assurance chômage ? Devoir cotiser 15 ans minimum à un régime social absolument prohibitif (et donc, si l’on change de régime entre temps, perdre le bénéfice de ses cotisations en tout ou partie) ?

  • Dernière réponse : 29 décembre 2014 à 17:15
    par juste un internaute , Le 4 décembre 2014 à 09:39

    Un copié collé des discours entendus à l’occasion de la fusion avocats / conseils juridiques. Et pourtant...

    • par Avo de passage , Le 4 décembre 2014 à 10:38

      Tout à fait en accord avec le commentaire précédent.

      D’autant que certains éléments du projet de loi sont encore susceptibles d’être amendés, et notamment celui relatif au secret professionnel.

      Le problème est le suivant : certains avocats ne sont tout simplement pas ouverts à une quelconque discussion. Ils voient d’un mauvais œil toute avancée, percevant chacune des réformes comme une profonde atteinte à leur profession.

      C’est loin d’être mon cas.

    • par Elisabeth , Le 29 décembre 2014 à 17:15

      Pour ceux qui aiment fondamentalement pratiquer le droit, peu importe le contexte ou le statut ! Quelle richesse de pouvoir exercer son métier dans la diversité des expériences en passant d’un statut à un autre ! ( et quand est ce que la magistrature s’ouvrira t elle réellement également ? ) Comment l’avocat peut-il conseiller au mieux ses clients professionnels s’il ne peut justifier d’une expérience en entreprise ? Comment l’avocat acquiert-il le nécessaire pragmatisme et répond-il aux réels besoins et attentes de ses clients s’il n’a pas vécu de l’intérieur les contraintes de l’entreprise ?

  • par Directeur Juridique , Le 7 décembre 2014 à 13:44

    L’avocat en entreprise, un danger pour la democratie. Rien de moins. Bigre. c’est tout bonnement n’importe quoi.

    La grandiloquence ne tient pas lieu de raison. D’ailleurs vous l’avouez vous meme dans votre note precisant vos propos, vous etes bien loin des realites.

    Ce que montre votre article c’est simplement le peut de temps que vous avec passé a reflechir a la question et le manque de confiance en votre profession, en sa capacite d’evoluer.

    22 Etats en Europe connaissent le statut d’Avocat en Entreprise, dont quelques grandes democraties.... Il doit bien encore rester la Roumanie, la Bulgarie et viens sure France a ne pas avoir adopte ce statut d’Avocat en entreprise. Quelle fierete !

  • Dernière réponse : 4 décembre 2014 à 15:05
    par Pierrot , Le 4 décembre 2014 à 14:22

    Merci pour cet article.
    "il aurait fallu créer une autre profession" dîtes-vous.

    Ça me rappelle l’époque du "mariage gay" ; on disait "il aurait fallu créer un autre nom et un autre statut".

    Oui mais voilà, on cherche à simplifier, à innover, à réformer, pour nous adapter au temps présent, voir le temps futur. On ne peut le faire en laissant les "anciens" sous leur statut et en créant un nouveau, ce qui aurait pour impact direct de tout complexifier... qu’en pensez-vous ?

    • par De Valon , Le 4 décembre 2014 à 15:05

      En fait, la question est celle du legal privilège, secret professionnel, que revendiquent les juristes d’entreprise. Faut -il pour cela fusionner des professions différentes ? Ce n’est pas une question d’anciens et de modernes (pour les avocats certains éléments de la réforme Macron sont positifs, mais à creuser), simplement, il faut faire attention à ne pas créer quelque chose d’inefficace. D’ailleurs, les dissensions existant, chez les avocats, entre Paris et province sur ce point tiennent aussi de la nature des métiers différents déjà exercés. mais, pour assumer le rôle de vieille chose, je ne suis pas certain que la fusion entre avocats et conseil juridiques en 1990 aient vraiment été une bonne chose, la nature des métiers est vraiment différente. Il faut une profession puissante pour le droit des affaires et une profession puissante devant les tribunaux . La même ? Pas sûr. Ne fabrique-t-on pas des tours de Babel ? De toute façon, une chose est certaine : la réforme devrait être conduite par le ministère de la justice, pas celui de l’économie, cela parait clair

  • par creisson , Le 4 décembre 2014 à 13:56

    J’aurai bien voulu écrire cet article...

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