« L’indépendance des avocats est une liberté démocratique » - Interview de Frédéric Sicard, bâtonnier de Paris.

Laurine Tavitian et Clarisse Andry
La Rédaction du Village de la Justice

Crédit photo : Pierre-Marie Croquet

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Explorer : # indépendance des avocats # innovation juridique # déontologie # numérisation du droit

« Libre pour servir » : tel était le slogan de Frédéric Sicard lors de sa candidature au Bâtonnat de Paris, au côté de Domique Attias. Elu en juin 2015, il prendra ses fonctions le 1er janvier 2016, succédant à Pierre-Olivier Sur. Faire face à l’évolution numérique, aux difficultés multiples rencontrées par la profession et défendre l’indépendance des avocats : tels seront les défis que compte relever le nouveau bâtonnier, « au service des avocats ». Le Village de la Justice l’a rencontré afin de connaître ses projets pour les deux années à venir.

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Comment seront répartis les rôles entre Dominique Attias et vous ?

Nous allons organiser le Conseil de l’Ordre en six grandes commissions : Déontologie, International, Exercice, Trésorerie et Finances, Affaires publiques et Egalité des chances et RSE. Dominique Attias prendra la présidence de International et Egalité des chances et RSE, et je présiderai les quatre autres commissions. Dominique Attias prendra également en charge la confidence, et je prendrai la poursuite, c’est-à-dire elle la confidence, moi la décision.

Quelle place allez-vous réserver à l’évolution digitale de la profession ?

« L’uberisation complète de la société est une fiction. »


J’ai commandé un rapport pour février et je souhaite que nous discutions très clairement du cadre de développement de la profession dans le monde du numérique. Je ne considère pas que le numérique soit l’alpha et l’oméga de la profession. Je pense qu’il s’agit d’un moyen, qui ne bouleverse pas tout, mais qui pose une difficulté déontologique, et une seule : quel est le degré de complexité d’une question qui justifie le présentiel ? Certains actes simples peuvent effectivement se faire en ligne, mais tout ne peut pas se faire par le numérique. A un certain moment, la complexité de la question justifie de voir le client, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un particulier. L’uberisation complète de la société est une fiction. Le droit n’est pas seulement un travail de documentation, c’est aussi un travail de stratégie, au bénéfice du client. Et pour cela il faut définir le présentiel.

Et quelle est votre opinion sur les start-up du droit ?

Il n’y a pas que le pire dans les start-up, il y a aussi le meilleur. L’une de nos erreurs est de ne pas préciser sur quels critères nous les évaluons. Ce travail ne sera efficace qu’au niveau des Ordres car ce qui intéresse ces start-up, c’est le label des Ordres. Nous sommes des praticiens du quotidien, sur le terrain, et nous savons donc ce que nos usagers attendent. Nous devons être capables de leur dire qu’il y a des critères qui permettent de garantir qu’ils respectent les normes de la consultation juridique et de l’éthique. Ces critères doivent ensuite être contrôlés par un audit interne et un audit externe, pour l’attribution du label. Lorsque les usagers sauront que certains ont un label, parce qu’ils ont pris des engagements qualités, et que d’autres ne l’ont pas, cela permettra de les diriger vers les uns ou vers les autres. Ça s’appelle simplement la moralisation du marché.

Mais la plupart de ces start-up ne font pas de consultations juridiques.

S’il s’agit uniquement de documentation, aucun problème. S’il s’agit d’une consultation juridique, il faut que ce soit surveillé par un avocat. Et quand la consultation est sophistiquée, elle doit être totalement administrée par un avocat, qui lui-même doit s’interdire de ne pas voir le client. Ces plateformes doivent se doter d’un contrôle éthique. Et je ne cèderai pas sur la question de l’audit interne et de l’audit externe. Il ne suffira pas de me dire « je le fais », il faudra le prouver aux consommateurs.

Que comptez-vous faire pour favoriser l’innovation des avocats ?

« Nous allons créer le fonds de soutien créatif, destiné à donner des coups de pouce aux projets innovants. »


Ce n’est pas à l’Ordre de trouver les moyens de l’innovation : nous devons donner de la lisibilité à la déontologie. L’appliquer au numérique n’est pas une difficulté. Les règles n’ont pas besoin d’être transformées, mais d’être clarifiées. C’est souvent l’interprétation de ces règles qui paralysent l’innovation, or une interprétation, ça se change. En revanche, il est nécessaire que le Conseil de l’Ordre donne une motivation à ses réponses aux questions déontologiques.
Après, il y a la question du financement. Nous allons créer le fonds de soutien créatif, destiné justement à donner des coups de pouce sur ces projets. Il ne s’agira pas d’apporter un soutien financier global, car nous n’en avons pas les moyens, mais nous pourrons attester de la faisabilité du projet, ce qui permettra ensuite de trouver des produits bancaires. Les banques auront ainsi une garantie morale que le projet est faisable.

Et quelle est votre opinion sur l’ouverture aux capitaux extérieurs ?

Je suis tout à fait d’accord pour l’ouverture aux capitaux extérieurs, à une condition : que nous ayons la garantie de maîtriser l’arbitrage des conflits. Et elle n’est pas remplie.
Je ne suis pas contre l’ouverture aux capitaux extérieurs, je suis contre l’absence de garantie de l’autorégulation. Je veux que nous ayons la reconnaissance que l’indépendance des avocats, garantie par l’autorégulation, est une liberté démocratique et un principe à valeur constitutionnelle. Si une autorité normative est reconnue constitutionnellement à l’Ordre, parce qu’il défend un vrai service public, alors je suis d’accord.

Comment lutter contre la paupérisation des avocats et rassurer les jeunes qui arrivent dans la profession ?

« Nous sommes capables de mieux maîtriser le développement de la profession. »


La profession doit, premièrement, accepter de maîtriser son développement, au minimum avec un examen national, et en le recentrant sur des matières écrites. A Paris, nous avons 2000 prestations de serment chaque année, 1000 en province, alors que la profession ne peut en supporter que 2500. Sans bouleverser le monde, nous sommes capables de mieux maîtriser le développement de la profession. Nous ne pouvons pas avoir un niveau d’exigence d’éthique, de valeur, en laissant faire.
Nous devons également réfléchir à la nature de notre travail, à quoi nous servons. Je considère que nous servons non seulement à livrer du droit, à livrer des solutions, mais également à accompagner nos clients sur le long terme.

Vous prévoyez de mettre en place une garantie collective pour faciliter l’installation des avocats. En quoi va-t-elle consister ?

A Paris, le vrai problème, c’est l’immobilier. On vit sur un secteur très serré, où les prix se sont enflammés. L’installation des plus jeunes et le développement des cabinets passent donc par un bail. Les propriétaires sont méfiants et nous devons les rassurer. Je propose donc, plutôt que de mobiliser de l’argent ou de donner des cautions personnelles, d’offrir une assurance au propriétaire. Il aurait alors la garantie de trois ou quatre mois de loyers impayés, versés par l’assurance, qui pourrait ensuite se retourner contre le locataire. Et les propriétaires auraient surtout la garantie que l’avocat s’est engagé à quitter les locaux en cas d’inexécution de sa part du bail, car la grande crainte des propriétaires est d’avoir recours à une procédure d’expulsion. En contrepartie, nous devrons apporter une solution aux avocats qui perdraient leur bail. En revanche, s’ils ne respectent pas leurs engagements, nous nous réservons le droit de décider d’une poursuite disciplinaire.

Quelles seraient vos solutions pour améliorer les conditions de vie et de travail des collaborateurs ?

Sur le modèle de l’Amérique du nord, nous devons donner des standards aux cabinets, des modèles vertueux à suivre. Concernant la rémunération par exemple, il faut trouver le moyen de créer des intéressements. Il faudrait également déterminer des standards sur la répartition du temps de travail, pour équilibrer les vies personnelles et professionnelles. Et dans les vies professionnelles, la vie du collaborateur et la vie du cabinet. Pour inciter les cabinets à suivre ces modèles, la meilleure récompense c’est le label, à la condition que soient instaurés un audit interne et un audit externe.

Laurine Tavitian et Clarisse Andry
La Rédaction du Village de la Justice

Crédit photo : Pierre-Marie Croquet

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