Aide juridictionnelle, propos immondes !

Par Jean de Valon, Avocat.

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Explorer : # aide juridictionnelle # indemnisation des avocats # charges des cabinets d'avocats # système judiciaire

Quelques libres observations d’un avocat "milieu de gamme" sur l’aide juridictionnelle.

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Le domaine de l’aide juridictionnelle, semble-t-il, va être étendu ; le plafond de ressources pour l’obtenir augmenté.
En compensation se profile une taxe sur les avocats, de telle manière qu’ils puissent se payer eux-mêmes (!), et une diminution de l’indemnité qui leur est accordée.

Rien ne change jamais dans la pensée de ceux qui élaborent ce genre de solutions, dont on suppose qu’ils sont des fonctionnaires tranquillement en poste, connaissant bien sûr mieux les vicissitudes du monde économique que les justiciables et les auxiliaires de justice…
Oui, oui.

Pour être honnête, je ne prends plus les dossiers à l’aide juridictionnelle, j’avoue.
Le méchant, direz-vous, l’égoïste, l’infâme !
Sauf que, le domaine qui le mien, l’immobilier, génère des dossiers souvent complexes et que la question du seuil de rentabilité se pose.

Je ne sais pas si vous savez, mais chaque chose a un coût et les obligations successives, ajoutées les unes aux autres au fil des années sur les cabinets d’avocats génèrent des charges fixes nécessaires qu’il faut prendre en compte dans la détermination de son prix.
D’ailleurs, c’est assez naturel pour pouvoir établir les conventions d’honoraires qui sont désormais obligatoires.
Non ?

Le lecteur se dira que l’avocat n’a qu’à accepter de travailler à perte.
Encore qu’un de ces inénarrables fonctionnaires de la Chancellerie ait, paraît-il, exprimé l’idée que si l’indemnité ne suffisait pas c’est que le cabinet d’avocat était mal géré.

Vous me direz que la haute fonction publique qui gère ce pays donne depuis des décennies la preuve de sa haute capacité, les chômeurs l’en remercient chaque jour...
Pour les avocats, il ne s’agit pas de chômage, mais de découvert bancaire et, aussi, de redressement judiciaire s’ils oublient tout simplement la gestion.
Si l’indemnisation de l’avocat au titre de l’aide juridictionnelle est réduite, il est clair que la profession se désengagera.
Sauf les saints et les cabinets nouvellement installés, sans charges trop importantes.
Parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement.

Parfois voyez-vous, j’ai quelques pensées interlopes, sales, odieuses.
Je pense ainsi que le domaine de l’aide juridictionnelle devrait être réservé à certains secteurs : défense pénale, droit de la famille, mais que la question peut légitimement se poser de l’aide de l’État et donc du contribuable quand il s’agit par exemple d’une défaillance de sa télévision, d’une faute de son agence de voyage.
C’est laid.

Je pense aussi qu’il pourrait après tout être donné une indemnité, libre aux justiciables de convenir d’un complément avec leur avocat.
C’est horrible !

En matière d’aide judiciaire totale ce n’est pas permis et combien d’avocats ont eu dans leur bureau des personnes tout à fait disposées à régler des honoraires en surplus pour en avoir, figurez-vous la possibilité.
Pardon ? Les revenus occultes n’existent pas, ben voyons.
La solidarité familiale, non plus.
Bref, il faudrait plus de liberté.
Vilain mot qui donne des boutons à la Chancellerie.

Mais, non, on reste dans un système administré qui ne fonctionne pas bien, comme pour tout le reste d’ailleurs, et qui reste sur les mêmes recettes d’autrefois.
Cela conduit à une justice au rabais, mais peu importe, les apparences sociales sont sauves.
Vous parlerais-je de ce conseiller à la Cour d’appel ayant dit à ma douce associée ayant lourdement travaillé un dossier à l’aide juridictionnelle : « mais pourquoi, enfin, c’est une AJ » ?

Tout cela n’est-il pas une lourde et lâche hypocrisie que de vouloir maintenir un système dont on connaît le vice ?
Une forme de lâcheté.

Jean de VALON
Avocat au barreau de Marseille

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Discussions en cours :

  • par whiskyfizz , Le 31 mars 2016 à 13:17

    Bonsoir.

    J’ai lu votre billet avec attention et je ne suis pas d’accord avec vous. Il me semble que vous passez sous silence une dimension importante de l’aide juridictionnelle ("AJ" pour la suite) pour vous focaliser uniquement sur l’aspect pécunier.

    Les avocats jouissent d’un monopole d’assistance et de représentation devant toutes les juridictions à partir du tribunal de grande instance. Pour les affaires sérieuses, que le justiciable soit riche ou pauvre, il est obligé de se faire représenter par un avocat. On remarquera d’ailleurs que même dans les cas où le justiciable peut se défendre seul comme devant le tribunal d’instance, s’il veut faire appel du jugement rendu, il sera obligé d’avoir recours à un avocat.

    Maintenant l’aide juridictionnelle découle de ce monopole. En effet, il n’est pas acceptable d’obliger un justiciable à payer un avocat lorsqu’il n’en a pas les moyens. Le problème est que les avocats sont viscéralement attachés à leur monopole, mais ils ne semblent pas l’assumer car si tel était le cas, alors aucun avocat ne se permettrait de refuser des dossiers à l’AJ comme vous le faites.

    Il faut être cohérent. Soit vous assumer le monopole et vous "avaler" sans broncher tous les dossiers d’AJ, soit vous y renoncer et les justiciables qui n’ont pas les moyens financiers tenteront leur chance par eux-mêmes.

    Cet aspect des choses ayant été posé, il y en a un autre, mécanique qui est terrible pour le justiciable. L’avocat exerce son métier pour gagner de l’argent et comme tous les humains, le nombre d’heures dont il dispose n’est pas illimité. Il est donc nécessaire pour lui de traiter en priorité les dossiers qui lui permettent de gagner de l’argent. Un avocat sur la place de Paris facture en moyenne 200 euros de l’heure.

    [fin de la partie 01 en raison de la limite des 3000 caractères].

  • [début de la partie 02]

    Sous cette hypothèse et pour bien fixer les idées, considérons un exemple. Supposons qu’un avocat dispose de 12 heures à allouer à ses dossiers. Il en a 7 dont 1 à l’AJ et chacun nécessite 2 heures de travail. Comment va-t-il répartir son temps ? S’il distribue les 12 heures sur ses 6 dossiers "non AJ", alors il gagnera 2400 euros et rien pour celui au titre de l’AJ. On suppose que le dossier à l’AJ est payé 50 euros. S’il choisit le dossier à l’AJ et 5 dossiers "non AJ", alors il 50 + 400 * 5 = 2050 euros. Comme cela est inférieur à 2400 euros, cette distribution du temps n’est pas retenue. Pour maximiser son gain, il peut décider de consacrer 5 minutes au dossier à l’AJ. Il lui reste donc 11h55 minutes à distribuer, soit 715 minutes à répartir entre 6 dossiers, ce qui donne 119 minutes par dossier, donc 1h59 minutes. On peut raisonnablement penser que les 6 dossiers ne seront pas moins bien traités du fait d’avoir une minute en moins. Le tarif horaire étant de 200 euros de l’heure, cela revient à 3,3 euros par minute. Les 6 dossiers de l’avocat lui rapportent donc 715 * 3,3 = 2359,5 euros. Au total il gagne donc 2359,5 (les 6 dossiers "non AJ") + 50 (le dossier AJ) = 2409,50 euros.

    Il a réussi à augmenter sa rémunération en traitant tous ses dossiers et en augmentant au passage de manière spectaculaire sa rémunération "à la minute" dans le cas du dossier à l’AJ puisqu’il a été payé 50 euros pour 5 minutes, soit 10 euros la minute. Par rapport à son tarif horaire "hors AJ", c’est une augmentation de 203%.

    L’avocat a donc mécaniquement une forte incitation à bâcler les dossiers à l’AJ et surtout à en prendre le plus possible pour bénéficier d’une rémunération "à la minute" beaucoup plus intéressante.

    Le perdant dans l’histoire est le justiciable à l’AJ à qui on expliquera que les voies de la Justice sont imprévisibles.

    Que pensez-vous de ce qui précède ?

    Ps à la modération : je me suis trompé en postant mes messages précédemment dans des commentaires de commentaires. Merci de bien vouloir les supprimer.

  • Dernière réponse : 31 mars 2016 à 00:39
    par Meunier Sylvain , Le 19 septembre 2015 à 10:41

    Un article qui à le mérite de sa franchise. Faut-il rappeler que le budget de notre "chère" justice est le plus ridicule qui soit d’où les nombreuses condamnations de la France pour procès trop long ... Le problème de l’aide juridictionnelle est basiquement une question d’argent, tout comme le fonctionnement de notre système judiciaire. L’équation est simple : de nombreuses affaires sous aide juridictionnelle (nombre de litige "basique" de consommation qui explose) dont une des raison est la méconnaissance des lois par ceux qui sont sensés mieux la connaitre et l’appliquer ( les"professionnels") + un budget de plus en plus ridicule. Résultat le justiciable qui en a besoin ne trouve pas d’avocat pour son affaire et l’image de notre justice n’en sort pas grandie sans oublier la question déontologique. A croire que la devise de la justice devra être comme celle des pompiers "sauver ou périr".

    • [suite de mon précédent message]

      Sous cette hypothèse et pour bien fixer les idées, considérons un exemple. Supposons qu’un avocat dispose de 12 heures à allouer à ses dossiers. Il en a 7 dont 1 à l’AJ et chacun nécessite 2 heures de travail. Comment va-t-il répartir son temps ? S’il distribue les 12 heures sur ses 6 dossiers "non AJ", alors il gagnera 2400 euros et rien pour celui au titre de l’AJ. On suppose que le dossier à l’AJ est payé 50 euros. S’il choisit le dossier à l’AJ et 5 dossiers "non AJ", alors il 50 + 400 * 5 = 2050 euros. Comme cela est inférieur à 2400 euros, cette distribution du temps n’est pas retenue. Pour maximiser son gain, il peut décider de consacrer 5 minutes au dossier à l’AJ. Il lui reste donc 11h55 minutes à distribuer, soit 715 minutes à répartir entre 6 dossiers, ce qui donne 119 minutes par dossier, donc 1h59 minutes. On peut raisonnablement penser que les 6 dossiers ne seront pas moins bien traités du fait d’avoir une minute en moins. Le tarif horaire étant de 200 euros de l’heure, cela revient à 3,3 euros par minute. Les 6 dossiers de l’avocat lui rapportent donc 715 * 3,3 = 2359,5 euros. Au total il gagne donc 2359,5 (les 6 dossiers "non AJ") + 50 (le dossier AJ) = 2409,50 euros.

      Il a réussi à augmenter sa rémunération en traitant tous ses dossiers et en augmentant au passage de manière spectaculaire sa rémunération "à la minute" dans le cas du dossier à l’AJ puisqu’il a été payé 50 euros pour 5 minutes, soit 10 euros la minute. Par rapport à son tarif horaire "hors AJ", c’est une augmentation de 203%.

      L’avocat a donc mécaniquement une forte incitation à bâcler les dossiers à l’AJ et surtout à en prendre le plus possible pour bénéficier d’une rémunération "à la minute" beaucoup plus intéressante.

      Le perdant dans l’histoire est le justiciable à l’AJ à qui on expliquera que les voies de la Justice sont imprévisibles.

      Que pensez-vous de ce qui précède ?

  • Dernière réponse : 31 mars 2016 à 00:37
    par Tara Taubman , Le 19 septembre 2015 à 11:50

    Je partage votre Avis sur l’idee que "l’aide juridictionnelle devrait être réservé à certains secteurs".
    En revanche, que l’AJ couvre la totalite du cout, je ne pense pas que ce soit un critere indispensable. Le pro bono existe dans beaucoup de juridictions. Si la grande majorite des dossiers du cabinet doivent generer du profit , c’est un devoir de savoir aider aussi pour la bonne cause.

    • par whiskyfizz , Le 31 mars 2016 à 00:37

      Bonsoir.

      J’ai lu votre billet avec attention et je ne suis pas d’accord avec vous. Il me semble que vous passez sous silence une dimension importante de l’aide juridictionnelle ("AJ" pour la suite) pour vous focaliser uniquement sur l’aspect pécunier.

      Les avocats jouissent d’un monopole d’assistance et de représentation devant toutes les juridictions à partir du tribunal de grande instance. Pour les affaires sérieuses, que le justiciable soit riche ou pauvre, il est obligé de se faire représenter par un avocat. On remarquera d’ailleurs que même dans les cas où le justiciable peut se défendre seul comme devant le tribunal d’instance, s’il veut faire appel du jugement rendu, il sera obligé d’avoir recours à un avocat.

      Maintenant l’aide juridictionnelle découle de ce monopole. En effet, il n’est pas acceptable d’obliger un justiciable à payer un avocat lorsqu’il n’en a pas les moyens. Le problème est que les avocats sont viscéralement attachés à leur monopole, mais ils ne semblent pas l’assumer car si tel était le cas, alors aucun avocat ne se permettrait de refuser des dossiers à l’AJ comme vous le faites.

      Il faut être cohérent. Soit vous assumer le monopole et vous "avaler" sans broncher tous les dossiers d’AJ, soit vous y renoncer et les justiciables qui n’ont pas les moyens financiers tenteront leur chance par eux-mêmes.

      Cet aspect des choses ayant été posé, il y en a un autre, mécanique qui est terrible pour le justiciable. L’avocat exerce son métier pour gagner de l’argent et comme tous les humains, le nombre d’heures dont il dispose n’est pas illimité. Il est donc nécessaire pour lui de traiter en priorité les dossiers qui lui permettent de gagner de l’argent. Un avocat sur la place de Paris facture en moyenne 200 euros de l’heure.

      [suite au message suivant en raison de la limite des 3000 caractères].

  • par benoit , Le 19 septembre 2015 à 18:16

    Peut-être que si moins d’avocat poussait des clients potentiels dans des affaires à l’issue douteuse juste pour plumer un gogo de plus, il y aurait moins d’avocat de partie adversaire à "subir" l’aide juridictionnelle. Pour avoir vécu le milieu ’judiciaire’, la façade est jolie, mais derrière tout est pourri. Avec ou sans aide judiciaire c’est le même refrain : "j’ai faim". Combien de procès démarre sur la base d’une instruction bâclée ? La faute à qui ? au justiciable qui n’a rien demandé et parfois même rien fait ?
    j’en ai trop vu pour pleurer cette profession, au cas par cas peut-être mais au global cette profession n’est pas à plaindre

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