Plafonnement des indemnités de licenciement prud’homales : que pourrait faire Emmanuel Macron ?

Par Frédéric Chhum, Avocat, et Marilou Ollivier, Elève-avocat.

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Explorer : # indemnités de licenciement # réforme du travail # plafonnement # conseil constitutionnel

Selon un sondage publié par Les Echos du 9 mai 2017, 53% des français sont opposés au plafonnement des indemnités prud’homales.
Dans un article du journal Le Parisien du 17 mai 2017, le quotidien titrait que le plafonnement des indemnités de licenciement était un « sujet explosif pour l’exécutif ».
Selon une étude du ministère de la Justice publiée en janvier 2016, le coût juridictionnel global moyen d’un licenciement et l’indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est de 40.000 euros (la moitié des cas sont supérieurs à 23.000 euros, un quart d’entre eux sont supérieurs à 40.955 euros).

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Emmanuel Macron, à l’origine du référentiel indicatif des indemnités de licenciement (issu de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 - dite « loi Macron » et du décret n°2016-1581 du 23 novembre 2016), a toujours fait état de sa volonté de plafonner les indemnités prud’homales dans le prétendu but de supprimer les obstacles à l’embauche et ainsi favoriser l’emploi.
Si ce point ne figure pas expressément dans son programme, il a toutefois annoncé la couleur au cours de sa campagne et il y a donc fort à parier qu’il mettra en œuvre cet engagement.

En tout cas, cette réforme sur les indemnités prud’homales devra passer par les fourches caudines du Conseil constitutionnel et le juge constitutionnel sera vraisemblablement extrêmement vigilant.

Néanmoins, si une réforme des indemnités prud’homales devait intervenir, celle-ci ne devrait pas s’appliquer aux instances en cours. En effet, sauf disposition expresse prévoyant une application rétroactive, elle ne pourrait en effet s’appliquer qu’aux instances initiées à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

En tout état de cause, on va le voir, certaines demandes (heures supplémentaires, rappels de salaires, etc.) devant le Conseil de prud’hommes ne pourront jamais faire l’objet d’un quelconque plafonnement.

Enfin, il y aurait eu une baisse importante (environ 40%) des saisines du Conseil de prud’hommes depuis le 1er août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi éponyme (Cf. rapport de Christine Rostand du 28 avril 2017 sur la réforme des prud’hommes).

I) Le dispositif actuel des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif/sans cause : un dispositif équilibré quoi qu’on en dise

Le dispositif actuel a été instauré par une loi du 29 septembre 1974.

Il distingue les dommages-intérêts pour licenciement abusif (appelés « DIRA ») (1) et les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (2) selon l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise. Il prévoit en outre, depuis la loi Macron du 6 août 2015, un référentiel indicatif de ces indemnités (3).

1) Des dommages-intérêts pour licenciement abusif déterminés en fonction du préjudice subi (salarié de moins de 2 ans d’ancienneté et/ou dans entreprise qui emploie moins de 11 salariés)

Le salarié qui justifie d’une ancienneté inférieure à 2 ans et/ou est employé par une entreprise qui occupe habituellement moins de 11 salariés peut prétendre, s’il est victime d’un licenciement abusif, au versement de dommages-intérêts correspondant au préjudice qu’il a subi (article L.1235-5 du Code du travail).

Le montant des dommages-intérêts est donc déterminé en fonction des éléments que le salarié apporte pour démontrer l’importance du préjudice lié à la perte de son emploi (retour difficile à l’emploi, charges de famille etc.) et varie donc fortement d’un cas d’espèce à l’autre.

2) Une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à six mois de salaire minimum (salariés de 2 ans d’ancienneté au moins dans une entreprise de plus de 10 salariés)

Le salarié dont l’ancienneté est au moins égale à 2 ans et qui travaille au sein d’une entreprise employant plus de 10 salariés peut, quant à lui, prétendre, au versement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum égale aux 6 derniers mois de salaire qu’il a perçus (article L.1235-3 du Code du travail).

Là encore, le Code du travail laisse une large marge d’appréciation aux juges quant à la détermination du montant de cette indemnité puisqu’il se contente de fixer un minimum en deçà duquel ils ne pourront pas descendre.

En pratique, les magistrats accordent des indemnités très variables selon la situation particulière de chaque salarié (cf. étude du ministère de la Justice précitée).

3) Un référentiel des indemnités pour licenciement abusif/sans cause à valeur indicative

L’article L. 1235-1 du Code du travail prévoit qu’un référentiel indicatif fixe le montant des indemnités en cas de licenciement abusif (article L.1235-5 du Code du travail) ou dépourvu de cause réelle et sérieuse (article L.1235-3 du Code du travail).

Ce barème a été instauré par le décret n°2016-1581 du 23 novembre 2016 et fait varier les indemnités pour abusif/sans cause réelle et sérieuse de 1 à 21,5 mois de salaire en fonction de l’ancienneté du salarié (article R. 1235-22 -I du Code du travail).

Les montants sont majorés lorsque le salarié est âgé de plus de 50 ans ainsi qu’en cas de difficultés particulières de retour à l’emploi du demandeur tenant à sa situation personnelle et à son niveau de qualification au regard de la situation du marché du travail au niveau local ou dans le secteur d’activité considéré.

Ce barème n’a cependant qu’une valeur indicative. Le juge « peut prendre en compte [ce] référentiel » pour fixer le montant des indemnités en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse.

En revanche, si les deux parties en font la demande, le juge est tenu de l’appliquer strictement.

II) Les garde-fous édictés par le Conseil constitutionnel : droit à réparation du préjudice subi du fait de la perte d’emploi et droit à chacun d’obtenir un emploi

Si Emmanuel Macron entend réformer les indemnités allouées aux salariés en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse, il devra se conformer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière.

En effet, par une décision n°2015-715 du 5 août 2015, celui-ci avait partiellement censuré le barème initialement prévu par la loi Macron au motif que le critère lié à la taille de l’entreprise est contraire au principe constitutionnel d’égalité devant la loi dès lors qu’il ne présente aucun lien avec le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi.

Le Conseil constitutionnel a jugé que « si le législateur pouvait, à ces fins, [favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche] plafonner l’indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, il devait retenir des critères présentant un lien avec le préjudice subi par le salarié ». Or, le Conseil a affirmé que « si le critère de l’ancienneté dans l’entreprise est ainsi en adéquation avec l’objet de la loi, tel n’est pas le cas du critère des effectifs de l’entreprise ».

Cette affirmation du Conseil constitutionnel, qui admet la thèse d’Emmanuel Macron selon laquelle réduire le coût des licenciements permettrait de lutter contre le chômage, est à la fois surprenante et en contradiction totale avec une autre décision rendue postérieurement dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L.1235-3 du Code du travail (Décision n°2016-582 QPC du 13 octobre 2016).

Pourtant, dans cette autre décision du 13 octobre 2016, le Conseil constitutionnel a adopté le raisonnement inverse, affirmant que : « en visant à dissuader les employeurs de procéder à des licenciements sans cause réelle et sérieuse, les dispositions contestées [article L.1235-3 du Code du travail] mettent en œuvre le droit de chacun à obtenir un emploi découlant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. En prévoyant une indemnité minimale égale à six mois de salaire, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. ». Cette décision consacre aussi le « droit à réparation du salarié » en cas de licenciement sans cause.

En tout état de cause, il faut retenir de la décision du 5 août 2016 qu’afin d’assurer la réparation du préjudice lié à la perte d’emploi par le salarié, aucun critère étranger à ce préjudice ne pourrait servir de fondement à la détermination du montant des indemnités accordées.

Emmanuel Macron et son gouvernement devront donc se conformer à ces exigences s’ils souhaitent réformer les indemnités prud’homales.

III) Ce que pourrait faire le projet d’Emmanuel Macron

Après la réforme de la procédure prud’homale, issue du décret n°2016-660 du 20 mai 2016, qui a provoqué une baisse de 40% des saisines prud’homales, il y a de grandes chances que le désormais Président Emmanuel Macron s’intéresse aux indemnités accordées aux salariés par les prud’hommes.

1) Hypothèse 1 : La transformation du barème indicatif en barème impératif ?

L’ambition initiale d’Emmanuel Macron (alors ministre de l’Économie) à travers la loi du 6 août 2015 était de créer un barème impératif dont il serait résulté un plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse.

Or, si le Conseil constitutionnel a censuré la référence à la taille de l’entreprise, il a néanmoins pris le soin de préciser que « le législateur, pouvait, à ces fins, [favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche] plafonner l’indemnité due au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ».

Il semble que le principe du plafonnement des indemnités prud’homales soit donc d’ores et déjà admis par le Conseil constitutionnel, à la seule condition que les critères de détermination du montant de ces indemnités soient en lien avec le préjudice subi par le salarié du fait de la perte de son emploi.

Il est donc envisageable que le Président Macron s’avance sur cette voie.

2) Hypothèse 2 : La mise en place d’un barème revu à la baisse ou à la hausse ?

Outre la mise en place d’un barème non plus simplement indicatif mais obligatoire, on peut imaginer (redouter ?) que le nouveau Président de la République dont l’un des objectifs de campagne était de lever les obstacles à l’embauche afin de lutter contre le chômage, reverra à la baisse le barème existant.

A l’inverse, bien que ce soit peu probable, il est possible d’envisager qu’en contrepartie de leur plafonnement, le montant des indemnités prévues par le barème soit au contraire revu à la hausse, pour ménager les partenaires sociaux.

Reste à savoir si ce sera effectivement un point de la réforme du Code du travail que portera Emmanuel Macron et, le cas échéant, sur quelle base et selon quels critères les indemnités pour licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse pourraient ainsi être diminuées.

IV) En tout état de cause, l’impossibilité de plafonner certaines indemnités/demandes prud’homales

Certaines indemnités allouées aux salariés demeureront néanmoins « intouchables » et, dans certaines situations, l’employeur pourra toujours faire face à des condamnations financières qu’il n’est pas possible de plafonner.

On pense par exemple à tous les rappels de salaire que le salarié peut être fondé à réclamer et qui ne peuvent être fonction que de sa rémunération : rappel d’heures supplémentaire, rappel de bonus, rappel d’heures de nuit etc.

On pense également aux dommages-intérêts pour harcèlement moral ou sexuel qui, en application du principe de réparation intégrale du préjudice subi, ne sauraient faire l’objet d’un quelconque plafonnement.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Discussions en cours :

  • par Marc Lesigne , Le 30 septembre 2017 à 20:33

    Ce barème des indemnités implique un déni de justice puisque le juge ne pourra pas d’apprécier le préjudice.
    Par contre je n’ai vu nul part que ces barèmes discuté que pourraient s’appliquer à tous les licenciements systématiquement de tous les salariés lorsqu’ils perdent leur emploi sur décision, qu’il y ai recours ou non devant les instances prud’homales. En effet, beaucoup d’employés n’ont pas les moyens ou la formation pour engager des recours.
    Puisque Mr Macron veut que le les employeurs puissent connaitre le barème de d’un licenciement lors d’un recrutement, que ce barème soit appliqué à tous les licenciements de façon exhaustive au moins les chose seraient claire. En effet nous ne savons pas d’avance qui va engager ou pas des recours lors d’un licenciement.
    Je m’attends à la réponse suivante, comme peu de salarié contestent leurs licenciements très rarement, un telle mesure serait plus couteuse pour les entreprises qui seraient obligées de verser globalement chaque année un montant d’indemnités supérieure à ce qui est versé actuellement.

  • par franck , Le 30 mai 2017 à 18:04

    Bonjour,
    J’ai lu avec attention votre chronique.
    Dans cette chronique, les auteurs parlent d’une étude du Ministère de la Justice de janvier 2016, auriez-vous cette étude car je n’arrive pas à la trouver sur Internet ?
    D’avance merci de l’attention que vous voudrais bien apporter à ma demande.
    Sincères salutations.
    Franck

  • par Diffre Florence , Le 24 mai 2017 à 20:26

    Comment n’est-on pas plus choqué par un tel barème et l’idée même de ce plafonnement

    Nous parlons de licenciement sans cause réelle, ni sérieuse, de licenciement abusif : si les entreprises veulent maitriser leur risque et leur coût, qu’elles respectent le droit du travail.

    Enfin et surtout que fait-on du principe de la réparation intégrale des préjudices subis, qui constitue un des principes fondamentaux de notre droit.

    Sans même parler du fait que le barème indicatif déjà circulant prévoit des minima inférieurs aux minima légaux, en indiquant notamment 3 mois de salaire pour le salarié comptant 2 ans d’ancienneté, là ou la loi en prévoit 6.

    .... Une situation bien inquiétante, je vous le dis

  • par Patrice DUPONCHELLE avocat spécialiste en droit social , Le 22 mai 2017 à 07:26

    Beaucoup de bruit pour rien le praticien que je suis s’étonne des chiffres moyens retenus en pratique lorsque les conditions légales sont réunies (plus de deux ans d’ancienneté et entreprise de plus de onze) les six mois de salaire minimum à titre de dommages intérêts sont souvent la règle sauf conditions particulières d’ancienneté ou de rupture particulièrement vexatoire.
    Que l’on soit le conseil de l’employeur ou celui du salarié il peut sembler logique de pouvoir quantifier un risque ou des chances de succès.
    Finalement ce n’est pas le principe du barème qui doit être discuté plutôt son amplitude.

  • Les chiffres donnés en pâture sous le qualificatif d’ « indemnités de licenciement » est un amalgame.

    Il existe plusieurs types d’indemnités liées au licenciement :
    Le premier type d’indemnité est l’indemnité légale, conventionnelle ou contractuelle délivrée lors du licenciement légitime, comportant une cause réelle et sérieuse non privative d’indemnité (faute simple ou autre motif non disciplinaire). A quoi s’ajoute le reliquat de congés payés.

    Le deuxième type d’indemnité est l’indemnité accordée (décrite plus haut) par le juge du travail lorsque celui-ci condamne l’employeur lorsque ce dernier a licencié pour un motif non légitime.
    La condamnation fait donc état du cumul de l’indemnité de licenciement, et de l’indemnité pour licenciement abusif/sans cause réelle et sérieuse.

    Quand il s’agit d’une invalidation d’un licenciement pour faute grave, se greffe subséquemment une indemnité pour le préavis et les congés payés afférents. Le préavis non perçu apparait comme une indemnité et non comme un salaire.
    Il y a donc, comme l’indique le titre de cet article plusieurs indemnités, car il existe plusieurs préjudices distincts.
    Enfin, il ne faut pas oublier que lors d’un licenciement abusif, il existe deux victimes de ce préjudice : le salarié ayant perdu son emploi, et la collectivité qui indemnise le sinistre au travers de l’Assurance Chômage. Si l’UNEDIC percevait une indemnité correspondant au montant versé au salarié sous forme d’allocation chômage, ses comptes s’en retrouveraient grandement améliorés. Au point de penser à abaisser les taux de cotisation que doivent payer les employeurs.
    A comparer avec la notion de pollueur-payeur, la notion de licencieur-payeur.

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