Pollution atmosphérique : peut-on engager la responsabilité de l’Etat ?

Par Pierrick Gardien, Avocat.

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Explorer : # pollution atmosphérique # responsabilité de l'État # santé publique # mesures de police administrative

Les grandes métropoles françaises (surtout Lyon et Paris) connaissent depuis fin novembre, et en ce début d’année un épisode de pollution atmosphérique aux particules fines (PM10) sans précédent, que certains n’ont pas hésité à qualifier d’ « airpocalypse ». Peut-on engager la responsabilité de l’Etat à ce titre ?

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Alors que l’attention médiatique se focalise exclusivement sur des épiphénomènes (comme la mise en place de la circulation alternée), l’examen sérieux des données disponibles donne le vertige : alors que la valeur limite de concentration pour la protection de la santé humaine est fixée à 40 µg/m3 pour les PM10, la région lyonnaise connaît depuis plus d’un mois un taux de concentration proche de 130 µg/m3.

Avec un tel niveau de pollution de l’air, l’impact sur la santé humaine est immédiat : les personnes sensibles (allergiques, enfants) en ressentent directement les effets, les autres en souffrent de manière plus diffuse, mais continue. Outre une gêne quotidienne (toux prolongée, maux de tête, irritation des yeux), une telle concentration de particules multiplie les risques à long terme pour la santé : risques cardiovasculaires, maladies pulmonaires, cancers.

À titre de comparaison, la pollution aux particules fines est responsable en France d’autant de morts par an que l’alcool (Étude de l’institut de veille sanitaire).

L’épisode de pollution actuel s’explique par une combinaison de plusieurs phénomènes : les particules fines principalement générées par l’industrie, le chauffage au bois et la circulation automobile stagnent en ville en basse atmosphère en raison des températures hivernales, et de l’absence de vent.

À court terme, les pouvoirs publics, au premier rang desquels, le Préfet (qui représente l’État), disposent d’un panel de mesures de police pouvant être mises en œuvre en urgence, afin de limiter au maximum la pollution de l’air dans l’hypothèse d’un dépassement des seuils :

  • Limitation de la vitesse maximale autorisée,
  • Mise en place de la circulation alternée,
  • Restrictions de circulation pour les poids lourds en ville, et aux abords immédiats,
  • Gratuité des transports publics,
  • Interdiction du trafic automobile en ville (sauf transports publics, professions autorisées et dérogations pour les véhicules de secours et d’urgence),
  • Mise en place de contournements routiers,
  • Gratuité du stationnement urbain.

La responsabilité de l’État dans la mise en œuvre de ces mesures est intéressante à étudier.

1/ L’obligation pour l’État de prendre des mesures de police pour protéger la qualité de l’air

Dans le département du Rhône, à titre d’exemple, l’inertie des pouvoirs publics dans la lutte contre le phénomène de pollution a été dénoncée par tous.

Nonobstant le panel de mesures existantes sus rappelé, une seule mesure a été décidée : la circulation alternée. Au surplus, cette mesure, qui ne peut qu’être qualifiée de « mesurette » au regard de l’ampleur du problème, n’a été mise en place par le Préfet que quelques jours seulement en décembre, puis en janvier. Le jeudi 26 janvier, le Préfet levait la mesure : la pollution était amplifiée le jour même, puis le week-end.

On ne relèvera pas l’incitation des pouvoirs publics à l’usage du vélo (ex : gratuité du Velib’) en plein épisode de pollution, qui pourrait relever de la mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

La police administrative est une activité de service public dont le seul but est d’assurer l’ordre public, qui recoupe notamment les impératifs de santé publique. Si l’édiction de mesures de police administrative est le plus souvent une possibilité pour l’autorité compétente, qui en apprécie l’opportunité, elle est aussi parfois une obligation.

En matière de pollution atmosphérique, les fondements de l’obligation d’agir qui incombe aux pouvoirs publics (surtout l’État) reposent tout d’abord sur la Charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle qui dispose en son article premier que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Par ailleurs, un certain nombre d’engagements européens et internationaux de la France (issus notamment de la COP21) imposent à l’État d’agir.

Enfin, la loi pose un principe d’obligation :

  • Par l’intermédiaire de l’impératif de protection de l’ordre public de l’article L.2212-2 du CGCT,
  • Et par l’article L221-7 du Code de l’environnement, qui dispose que « L’État coordonne les travaux d’identification des facteurs de pollution ainsi que l’évaluation des expositions et des risques sanitaires relatifs à la qualité de l’air dans les environnements clos. Il élabore les mesures de prévention et de gestion destinées à réduire l’ampleur et les effets de cette pollution. Il informe le public des connaissances et travaux relatifs à cette pollution ».

La jurisprudence traditionnelle considère par ailleurs que l’autorité de police est tenue de prendre les mesures nécessaires à l’application des législations et réglementations édictées (CE, 23 juin 1976, Latty). Que l’on pense par exemple à l’ensemble des normes édictées pour limiter l’impact écologique des industries, et des particuliers.

La mesure de police devient indispensable dès lors qu’elle est nécessaire pour faire cesser un péril grave résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour l’ordre public (CE, 14 décembre 1959, Doublet), ce qui est indéniablement le cas pour un épisode d’extrême pollution.

Il est donc clair que les fondements juridiques ne manquent pas pour démontrer que l’État est tenu de prendre des mesures permettant efficacement de répondre à un phénomène de pollution menaçant la santé publique.

2/ L’inertie de l’État engage sa responsabilité

Or l’inertie des pouvoirs publics est susceptible d’engager leur responsabilité.

En effet, en matière de police administrative toute carence dans l’édiction ou la mise en œuvre d’une mesure de police est fautive. En tant que telle, elle engage la responsabilité de l’autorité compétente.

On peut donc imaginer que tout citoyen résidant dans une zone impactée par l’épisode de pollution est en droit de demander réparation à l’État à ce titre.

Comme en matière de responsabilité civile, il conviendra de démontrer un préjudice, et un lien de causalité.

Le préjudice se démontrera sur le fondement de certificats médicaux délivrés pendant l’épisode de pollution attestant un vrai impact sur la santé de la personne (maladie respiratoire, pulmonaire, ou cardiovasculaire, par exemple). À défaut, il se démontrera sur le fondement du risque (mise en danger), ou du préjudice futur.

Le lien de causalité entre la faute (carence fautive de l’État dans la mise en œuvre de mesures de police permettant de lutter contre la pollution) et le préjudice (impact sur la santé) devra être démontré. Au regard de l’ensemble des mesures disponibles, et qui n’ont pas été mises en œuvre par les pouvoirs publics, il ne sera pas difficile de le démontrer, sans que la force majeure, ou l’obligation de moyens ne puissent y faire obstacle.

Le litige sera porté devant le tribunal administratif de ressort. Une demande indemnitaire précise, chiffrée et fondée juridiquement devra à cette fin être adressée au Préfet, afin de lier le contentieux, au besoin en cours d’instance.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, des mesures de fond sont indispensables à moyen et long terme pour enrayer le phénomène chronique de pollution d’ampleur : interdiction du diesel, renouvellement du parc automobile, interdiction du chauffage au bois, décarbonisation de l’économie et transition écologique en sont autant d’exemples.

À défaut, le risque de multiplication, voire de banalisation de ces phénomènes est existant. Notre responsabilité à l’égard des enfants, et des générations futures serait alors incommensurable.

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Discussions en cours :

  • par Sophie Pelé , Le 16 février 2017 à 12:37

    Comment établir un lien de causalité lorsque l’Etat peut minorer sa responsabilité ? Car 50% des pollutions sont exogènes et proviennent d’une autre ville ou d’un autre pays, et ce sont les conditions météorologiques qui provoquent en partie ces pics de pollution, donc incontrôlables par les pouvoirs publics. Est-ce que les arguments avancés seraient suffisants face au juge ?

  • par pierre , Le 31 janvier 2017 à 19:30

    Non seulement l’état a favorisé le diesel pendant des années ET CONTINUE (le malus sur le CO2 favorise injustement les motorisations essence au point que c’est quasiment comme si elles étaient interdites à la vente, à part sur des modèles style C1...

    Mais il y a pire l’état subventionne à grand coup de réduction de TVA les chaufferies bois en zone urbaine sans se soucier des émissions de particules et de Nox générées.
    Sans parler des incitations pour que les particuliers se chauffent au bois y compris en zone urbaine (meme un poele à granulé ou poele verte rejette plus de particules qu’un diesel sans filtre à particules !)

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