L’arrêt du 25 mars 2014 rendu par la Cour de cassation témoigne, à nouveau, du succès incontestable connu par l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale des relations commerciales.
Depuis son introduction en droit français par le législateur de 1996 [1], la disposition fait les beaux jours des juridictions judiciaires [2] et s’avère un outil efficace de répression pour les opérateurs économiques lésés par la rupture abusive de leur contrat [3].
Ainsi, constitue un délit civil susceptible d’engager la responsabilité délictuelle de son auteur le fait de « rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».
Loin de faire consensus à l’origine [4], ladite incrimination s’est progressivement enracinée dans le paysage juridique français. Si la pratique décisionnelle est copieusement fournie, l’affaire commentée permet de mettre en lumière une facette moins connue de la disposition, à savoir sa confrontation au droit international.
Le contexte de l’affaire. La société de droit chilien FGM distribuait les produits de parfumerie et de cosmétiques de la société Guerlain depuis 1991. Le 1er janvier 1999, elle a conclu un accord de distribution d’une durée de trois ans avec son fournisseur français, renouvelable ensuite pour une durée indéterminée. Le 23 mai 2003, la société Guerlain lui a notifié la résiliation immédiate du contrat de distribution. Jugeant la rupture brutale et reprochant à la société Guerlain des manquements à ses obligations contractuelles, notamment à la clause d’exclusivité dont il bénéficiait, le distributeur Chilien a assigné son partenaire en réparation des préjudices subis sur le fondement de l’article L.442-6, I°, 5° du Code de commerce.
Par un arrêt du 4 octobre 2012, la Cour d’appel a fait droit aux prétentions du distributeur [5] et a rejeté la fin de non-recevoir du fournisseur tirée de ce que les dispositions de l’article L. 442-6, I°, 5° du Code de commerce ne sont pas applicables lorsque le dommage est survenu en dehors du territoire français. Dans le cadre de son pourvoi en cassation, la société Guerlain a donc contesté l’applicabilité de l’article L.442-6, I°, 5° du Code de commerce au présent litige considérant que le dommage s’était non pas produit en France mais bien au Chili.
La nécessaire localisation de la survenance du dommage. La Cour de cassation se devait de trancher clairement entre les positions antagonistes des parties. Celles-ci ne consistaient pas à s’interroger sur la nature de la responsabilité applicable (délictuelle ou contractuelle). Sur ce point, la jurisprudence est bien rodée et il est acquis que l’action en justice, résultant de l’application de l’article L. 442-6, I°, 5°, est bien une action en responsabilité délictuelle [6]. Dès lors, le droit applicable dépend du lieu de réalisation du dommage. En l’espèce, la société Chilienne s’estimait légitime à se fonder sur une disposition du droit français car, selon elle, le dommage s’était produit en France. La société Française prétendaIt l’inverse. Dès lors, la localisation de la survenance du dommage était cruciale pour trancher le désaccord.
La France, lieu de survenance du dommage. Selon la Cour de cassation, la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est « celle de l’Etat du lieu où le fait dommageable s’est produit ».
Ce lieu ne pas doit s’entendre au sens strict et peut être « aussi bien (…) celui du fait générateur du dommage que (…) celui du lieu de réalisation de ce dernier ».
En l’espèce, la Cour de cassation met en évidence la nature « complexe » du délit, c’est-à-dire lorsqu’il est possible de dissocier son fait générateur et le dommage qui en résulte [7]. A cet égard, elle confirme la méthode utilisée par la Cour d’appel, s’agissant des délits complexes, qui consiste à « (…) rechercher le pays présentant les liens les plus étroits avec le fait dommageable ».
Pragmatique, l’analyse permet de localiser, à l’aide de différents indices, le lieu précis de survenance du dommage [8].
En l’espèce, la Cour d’appel avait mis en évidence différents liens résultant de la relation contractuelle entre les parties régie par un contrat de distribution conclu à Paris et dont l’une des stipulations désignait le droit français comme loi applicable et le Tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente. En confirmant la véracité de ces liens, la Cour de cassation reconnaît que le dommage s’est bien produit en France. La société Chilienne était donc légitime à se prévaloir de l’article L.442-6, I°, 5° du Code de commerce.
Synthèse. Si cet arrêt vient alimenter le lourd contentieux relatif à la rupture brutale des relations commerciales, il montre aussi que le droit des pratiques restrictives – injustement qualifié de « petit droit de la concurrence » – ne cesse de défier le « grand droit », celui des pratiques anticoncurrentielles. Même s’il peut s’avérer parfois indigeste [9], il a le mérite d’offrir aux opérateurs économiques une voie de droit rapide et lisible. S’agissant de la rupture brutale des relations commerciales, cette remarque est incontestable.