Dialectique des impératifs d'efficacité et de légalité de l'action douanière : cas du Sénégal. Par Mamadou Gueye, Inspecteur Principal des Douanes.

Dialectique des impératifs d’efficacité et de légalité de l’action douanière : cas du Sénégal.

Par Mamadou Gueye, Inspecteur Principal des Douanes.

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Explorer : # action douanière # légalité administrative # réglementation douanière # efficacité des mesures

Depuis plus de 12 mois, les huiles végétales raffinées, importées au Sénégal, sont interdites d’entrée en entrepôt de stockage. Cette mesure pouvant s’analyser comme une prohibition ou une restriction aménagée en matière d’entrepôt de stockage, reste différemment perçue et/ou appréciée par les acteurs de la matière douanière.

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La présente réflexion, invite à une posture scientifique qui oblige à examiner, le cadre juridique de la mesure, la conformité de cette dernière audit cadre ainsi que les propositions permettant de résoudre la dialectique des impératifs d’efficacité et de légalité, qui se pose, visiblement, à l’action du service des douanes.

Introduction.

Par lettre en date du 28 janvier 2019 , Monsieur le Ministre de l’Economie des Finances et du Plan (MEFP) a instruit le Directeur général des douanes (DGD) de prendre les dispositions utiles « pour l’arrêt temporaire de la mise en entrepôt des huiles importées et la définition d’un programme de contrôle renforcé des entrepôts installés à travers le territoire ».

Faisant suite aux instructions contenues dans ladite lettre, le DGD a, par Note De Service (NDS) [1], décidé de la « suspension provisoire de I’entrée en entrepôt de stockage des huiles végétales raffinées » importées au Sénégal.

A titre de rappel, l’entrepôt de stockage est le régime douanier en application duquel les marchandises importées ou destinées à l’exportation sont stockées sous contrôle de l’administration des douanes, pour une durée déterminée, dans un lieu désigné à cet effet, en suspension des droits et taxes à l’importation.

Selon la nature des marchandises à stocker et/ou de la personnalité des concessionnaires, l’entrepôt peut être public, privé ou spécial.

Quel que soit le type d’entrepôt, aucune marchandise ne peut en être extraite sans avoir fait, au préalable, l’objet d’une déclaration en détail, lui assignant un régime définitif.

Ainsi, lorsque les marchandises sont déclarées pour la consommation, les droits de douane et les taxes exigibles à l’importation sont perçus d’après l’espèce tarifaire et sur la base des quantités qui sont constatées à la sortie d’entrepôt.

S’agissant du cas spécifique des huiles végétales raffinées, le service des douanes a constaté des abus récurrents de l’utilisation du régime de l’entrepôt, consistant à vendre lesdites huiles, sur le marché national, sans déclarations en détail couvrant leur sortie d’entrepôt de stockage ; donc sans paiement des droits et taxes au Trésor public.

Pour arrêter le phénomène et préserver les intérêts du Trésor public, la « mesure d’inspiration ministérielle » y afférente a été prise par le Directeur général des douanes (DGD).

Au-delà de sa pertinence et de son opportunité qui ne sont guère l’objet de notre analyse, cette mesure de suspension pose l’épineuse question de sa conformité au cadre légal du régime de l’entrepôt de stockage.

Sous ce rapport, l’examen détaillé du cadre législatif et réglementaire relatif aux entrepôts de stockage permet de constater que la mesure de suspension d’entrée en entrepôt de stockage, bien que consacrée par les textes légaux, [2] demeure une compétence strictement encadrée tant du point de vue des autorités compétentes, des motifs devant la justifier que de sa limitation dans le temps.

Toutefois, l’étude de la NDS sus évoquée, à la lumière du cadre législatif et réglementaire, révèle des points de non-conformité relativement aux conditions de validité de la suspension . Dans le même sens, elle contient des particularités qui laissent présager d’une application maladroite de la clause transitoire et d’un amalgame risqué entre les règles de l’entrepôt public et celles de l’entrepôt privé.

Assurément, il s’agit d’imperfections notées dans l’application de la règlementation, qui risqueraient, si l’on n’y prend garde, de faire basculer l’action du service des douanes, hors du champ de la légalité administrative.

Une telle étude présente dès lors, au moins, un double intérêt pratique et actuel :

Au plan pratique, il s’agira d’analyser la conformité d’un acte administratif au cadre juridique qui le gouverne. Pareil exercice appelle nécessairement une démarche qui oblige à convoquer des dispositions relevant d’ordres juridiques différents allant du national à l’international, en passant par le communautaire.

L’intérêt actuel réside dans le fait que l’analyse porte sur un acte administratif encore en vigueur ; donc sur une norme vivante qui continuerait à produire ses effets, malgré ses imperfections. Ainsi, les résultats de l’analyse pourraient, au-delà de leur portée scientifique, aider les décideurs à corriger les faiblesses notées et à réorienter plus utilement l’action du service.

Compte tenu des implications d’une mesure de cette nature et de ses répercussions possibles pour l’administration des douanes, il parait opportun de s’intéresser à l’étude scientifique de la NDS, sous l’angle de sa conformité au cadre légal gouvernant la suspension d’entrée en entrepôt de stockage d’une marchandise.

Ainsi, dans une démarche bipartite, nous nous proposons de démontrer que la suspension d’entrée en entrepôt de stockage demeure une compétence bien réglementée (I) mais dont l’application qui en a été faite, récemment, au Sénégal, reste encore problématique (II).

I- La suspension d’entrée en entrepôt de stockage : une prérogative bien réglementée.

A la lumière de toutes les dispositions légales et réglementaires, la suspension d’entrée en entrepôt demeure une compétence reconnue aux autorités nationales (A) mais dont l’exercice est strictement encadré (B).

A. Une compétence reconnue aux autorités nationales.

La compétence des autorités nationales est prévue d’une part, par les textes internationaux et communautaires (1) et, d’autre part, par des textes nationaux (2).

1- Reconnaissance internationale et communautaire de la compétence.

Au niveau international, c’est l’Annexe spécifique D de la Convention de Kyoto révisée (CKR) qui constitue la référence de base.

En effet, si la norme 4, dispose qu’il appartient aux administrations douanières des parties contractantes de fixer les exigences relatives à l’établissement, à la conception et à la gestion des entrepôts de douane, la pratique recommandée n°5, elle, précise les admissions et les exclusions au régime de l’entrepôt.

Sur le plan communautaire, le Code des douanes de la CEDEAO (CDC), tout comme celui de l’UEMOA (CDU), posent le principe de la suspension d’entrée en entrepôt, désignent les autorités compétentes pour décider de son application et déterminent les conditions d’exercice d’une telle compétence.

Ainsi, aux termes de l’alinéa premier de l’article 218 CDC « des interdictions ou restrictions d’entrée dans les entrepôts de stockage peuvent être prononcées à titre permanent ou temporaire à l’égard de certaines marchandises… ». Toutefois, ledit article précise que les interdictions temporaires relèvent de la compétence des autorités nationales tandis que les interdictions permanentes sont du ressort des autorités communautaires.

Sous ce rapport, le législateur communautaire de l’UEMOA, avait déjà adopté cette posture depuis 2001, au regard l’article 121 CDU qui, dans sa lettre et son esprit, demeure une réplique presqu’identique de l’article 218 CDC.

La lecture combinée des dispositions internationales et communautaires permet, dès lors, de constater aisément que le pouvoir de suspension d’entrée en entrepôt est une prérogative reconnue aux autorités nationales.

C’est certainement, ce qui explique que le législateur sénégalais ait emboîté le pas à ses homologues communautaires et internationaux.

2- Consécration nationale de la compétence.

La loi portant Code des douanes du Sénégal (CDS) prévoit, à l’alinéa premier de l’article 177 que « des interdictions ou restrictions d’entrée dans les entrepôts de stockage peuvent, à l’égard de certaines marchandises, être prononcées à (…) titre temporaire par les autorités nationales ».

Dans ce sens, l’alinéa 5 dudit article, identifie clairement le Directeur général des douanes comme l’autorité compétente à cet effet, lorsqu’il précise que « Les restrictions d’entrée, de séjour et de sortie des marchandises en entrepôts de stockage font l’objet de décision du Directeur général des douanes ».

Dans le même sillage, l’article 09 de l’arrêté n°13707/MEFP/DGD du 14 juillet 2015 relatif aux entrepôts de stockage (AES) dispose que « les restrictions d’entrée, de séjour et de sortie des entrepôts de stockage font l’objet de décisions du Directeur général des douanes », lesquelles peuvent notamment « exclure certaines marchandises, à titre temporaire, de l’entrepôt de stockage ».

En procédant de la sorte, les dispositions nationales se conforment donc aux dispositions communautaires et internationales, tant du point de vue de la légalité du principe de la suspension d’entrée en entrepôt que des autorités compétentes pour prendre une mesure de suspension.

Toutefois, même si la suspension d’entrée en entrepôt est une prérogative expressément reconnue aux autorités nationales, il n’en demeure pas moins que son exercice reste strictement encadré par les différents législateurs.

B. Un exercice doublement limite par les législateurs.

L’analyse des dispositions communautaires et nationales permet de constater que l’exercice du pouvoir de suspension d’entrée en entrepôt connaît une double limitation relative au nombre des motifs pouvant justifier le recours à la mesure de suspension (1) et à la durée des effets de celle-ci (2).

1- Limitation du nombre des motifs pouvant justifier la suspension.

En consacrant la compétence de suspension d’entrée en entrepôt au profit des autorités nationales, le législateur communautaire n’a pas manqué de poser les conditions de son exercice. En effet, l’Article 218 CDC dispose que les interdictions temporaires ou permanentes doivent être justifiées :
- « par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes, des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété intellectuelle, industrielle et commerciale ;
- par des raisons tenant soit aux caractéristiques des installations d’entreposage, soit à la nature ou à l’état des marchandises
 ».

Autrement dit, la mesure de suspension doit, pour être fondée en droit, trouver sa justification dans l’une des raisons citées ci-dessus.

L’autorité règlementaire nationale semble s’inscrire dans la même dynamique que le législateur communautaire, lorsque qu’à l’alinéa 2 de l’Article 09 précité , elle précise que les restrictions temporaires ou permanentes peuvent être prononcées lorsqu’elles se justifient :
- « par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes, des animaux ou de préservation des végétaux, de protection de trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale ;
- par des raisons tenant soit aux caractéristiques des installations d’entreposage, soit à la nature ou à l’état des marchandises
 ».

Il en résulte donc, qu’en dehors des raisons indiquées ci-dessus, aucune autre ne saurait fonder, ou à tout le moins, fonder légalement, la suspension d’entrée en entrepôt d’une marchandise.

Outre le défi de la motivation, la mesure de suspension doit être limitée dans le temps.

2- Limitation de la durée de la suspension, par le législateur national.

Dans l’encadrement de la compétence, le législateur sénégalais renvoie à l’autorité réglementaire nationale la prérogative de déterminer les modalités d’application des dispositions relatives aux conditions d’agrément et d’exploitation des entrepôts de stockage.

C’est dans ce sens que l’Arrêté n°13707/MEFP/DGD va plus loin que la loi portant code des douanes, en énumérant, de façon limitative, les restrictions temporaires reconnues au DGD et pouvant consister, notamment, à exclure certaines marchandises, à titre temporaire, de l’entrepôt de stockage.

Ainsi, lorsque la restriction appliquée par le DGD consiste en l’exclusion de certaines marchandises, à titre temporaire, de l’entrepôt de stockage, la période d’exclusion sera limitée à trente (30) jours. Au-delà de ce délai, la mesure doit être régularisée par un arrêté du Ministre en charge des finances.

Du point de vue scientifique, c’est ce qui semble se dégager de la lecture de l’alinéa 3 de l’article 09 de l’AES, libellées ainsi :« Les décisions du Directeur général des douanes visées au paragraphe 2 du présent article, peuvent (…) exclure certaines marchandises, à titre temporaire, de l’entrepôt de stockage. La période d’exclusion ne peut toutefois excéder trente (30) jours. Passé ce délai et lorsque le maintien des exclusions se justifie, les décisions du Directeur général des douanes doivent être régularisées par des arrêtés du Ministre chargé des finances ».

A la lumière des prescriptions légales et règlementaires ci-dessus, la note de service n°987/DGD/DRCI/BRD du 15 février 2019, semble comporter des points de non-conformité au cadre légal, qui pourraient s’analyser comme autant de prémices d’une application problématique de la règlementation.

II- La suspension d’entrée en entrepôt : une application problématique.

Le caractère problématique de l’application de la mesure de suspension est relatif d’une part, au non-respect de certaines conditions légales (A) et, d’autre part, à la non prise en compte des huiles végétales en souffrance dans le port (B).

A. Un non respect de certaines conditions légales.

Il s’agit de l’invocation de motifs non prévus par la réglementation (1) et de l’absence de limitation, dans le temps, des effets de la mesure de suspension (2).

1- Invocation de motifs non prévus par la réglementation.

Pour justifier la mesure de suspension, la lettre du Ministre et la note de service évoquent « des errements notés dans le fonctionnement du régime de l’entrepôt de stockage relativement aux huiles végétales raffinées importées….qui auraient pour effets d’entraîner des dysfonctionnements de nature à porter préjudice aux intérêts du Trésor public et à compromettre le développement des entreprises du secteur d’activité ».

Quoi que légitimes et certainement justifiés par l’impératif d’efficacité, de tels motifs sont, cependant, inconnus du cadre légal examiné ci-dessus.

Néanmoins, une lecture plus souple permet de penser, qu’en insistant sur les conséquences que de tels errements pourraient avoir sur les intérêts du Trésor, la NDS fait référence à des raisons d’ordre public, notamment « d’ordre public économique », pour fonder la mesure de suspension. Pour une bonne partie de la doctrine , l’ordre public est présenté comme appartenant à ces notions juridiques dont l’indétermination ne semble avoir d’égal que leur place centrale dans le fonctionnement du système juridique. L’ordre public économique n’échapperait pas à ce constat. C’est dire, à la suite de certains auteurs, qu’il s’agit d’une notion juridique aussi floue qu’indispensable.

Sans verser dans le débat conceptuel relatif à la notion « d’ordre public », il convient de rappeler qu’en l’espèce, la NDS a été prise pour faire face à des sorties frauduleuses d’huiles végétales raffinées déclarées en entrepôt de stockage mais vendues sur le marché national, sans acquittement préalable des droits et taxes ; donc en violation de la réglementation en vigueur.

De tels faits, constitutifs d’infractions douanières qualifiées d’importations sans déclaration, sont érigés en délits de 2ème classe prévus et sanctionnés par le code des douanes du Sénégal.

A ce propos, la diversité des moyens de répression est telle que le service des douanes pourrait envisager, à l’encontre des personnes reconnues coupables de telles infractions, d’appliquer des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait de leur agrément au régime, sans préjudice de la régularisation intégrale des droits et taxes compromis et du paiement de l’amende prévue à cet effet.

La persistance de telles pratiques traduirait donc, plus, une défaillance de l’action du service dans l’application de son arsenal de répression, qu’un problème insoluble susceptible de troubler « l’ordre public économique ».

En conséquence, il semblerait difficile de trouver, à travers « des errements constatés » et même à travers leur impact négatif sur les intérêts du Trésor, un fondement légal à la mesure de suspension, sans risquer de fouler aux pieds, un principe fondamental du droit selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

Par ailleurs, et quand bien même on admettrait le bien fondé des motifs invoqués, la NDS ne donne aucune indication précise sur la durée des effets de la mesure de suspension.

2- Absence de limitation dans le temps des effets de la mesure.

En application de l’article 09 de l’arrêté 13707, la mesure de suspension instituée le 15 février 2019 ne devrait normalement pas dépasser 30 jours, c’est-à-dire, la date du 16 mars 2019.

Dans le cas contraire et si son maintien se justifie toujours, la NDS en cause devait faire l’objet de régularisation par un arrêté du Ministre en charge des finances, dès le 17 mars 2019.

A ce jour (10/03/2020), il est donné de constater que depuis sa signature, la note de service n°987/DGD/DRCI/BRD du 15 février 2019 n’a pas encore été rapportée et qu’à sa suite, aucun arrêté ministériel n’a été pris pour maintenir ses effets au-delà du délai réglementaire de 30 jours.

Quelle que soit la posture envisagée dans l’analyse pour expliquer cette situation, il demeure constant que sur le plan de l’orthodoxie juridique, un tel état de fait semble avoir entrainé deux conséquences de droit, toutes dommageables, du reste, au service des douanes :
- la caducité de la NDS depuis le 17 mars 2019 ;
- l’absence de base légale à l’action du service, depuis près de douze (12) mois.

En plus de ces faiblesses, la note de service prévoit d’exclure de son champ d’application, les huiles végétales en souffrance dans le Port.

B. Une non prise en compte des huiles en souffrance dans le port.

Le paragraphe 2 de la NDS, prévoit que les huiles végétales raffinées actuellement en souffrance dans le Port peuvent, à titre exceptionnel, être admises en entrepôt de stockage, sous réserve que l’entrepositaire et/ou le concessionnaire disposent d’un local avec une double fermeture dont l’une est détenue obligatoirement par le Bureau des Douanes compétent.

Au-delà de la catégorie d’huiles concernées, deux aspects techniques méritent d’être évoqués. Il s’agit d’une part, de l’application maladroite de la clause transitoire (1) et d’autre part, de l’institution d’un amalgame risqué entre deux catégories d’entrepôt (2).

1- Application maladroite de la clause transitoire.

Le premier aspect de l’analyse du paragraphe 2 de la NDS est la tentative d’application de la clause transitoire qui est une technique douanière permettant à des dispositions réglementaires anciennes plus douces de continuer à régir une situation née sous leur empire, malgré l’avènement de nouvelles dispositions plus sévères. A ce titre, elle est considérée, à tort ou à raison, comme une exception au principe de la non rétroactivité.

Même si, dans la conception de cette technique, des particularités peuvent être décelées entre le législateur communautaire et celui national, il reste constant qu’en dehors des autres conditions, le bénéfice de la clause transitoire est subordonnée de façon irréfragable à la mise à la consommation directe des marchandises concernées, sans avoir été placées en entrepôt ou constituées en dépôt.

Autrement dit, quelle que soit la qualité du demandeur, toute demande d’application de la clause transitoire doit tenir compte du régime douanier de destination des marchandises, qui ne peut être que la mise à la consommation directe.

En application donc des dispositions pertinentes de la législation douanière, la destination de cette catégorie d’huile aurait dû être, la mise à la consommation directe, sans aucune possibilité de pouvoir être admise en entrepôt ou constituée en dépôt.

Ainsi, en excluant les huiles végétales en souffrance dans le Port, hors du champ de la mesure de suspension d’entrée, la NDS admet le contraire et s’inscrit en faux contre la lettre et l’esprit de la clause transitoire tels que prévus par les articles 28 CDC et 11 CDS.

C’est également la même posture que la NDS semble adopter, lorsque qu’elle prescrit l’application, à l’entrepôt privé, de règles normalement dévolues à l’entrepôt public ; favorisant ainsi un amalgame risqué entre deux catégories d’entrepôts.

2- Amalgame risqué entre deux catégories d’entrepôts.

Le second aspect de l’analyse du paragraphe 2 de la NDS, est la fermeture des entrepôts de stockage, à double clé dont l’une est détenue obligatoirement par l’administration.

Même si cela devrait permettre de renforcer, à coup sûr, les mesures visant à éviter tout déversement frauduleux, de cette catégorie d’huiles, dans le marché national, il n’en demeure pas moins que la NDS risque de transformer, dans leur fonctionnement, les entrepôts privés concernés en entrepôts publics dont l’une des particularités s’avère, justement, être, la fermeture à double clé détenue séparément.

En effet, loin de constituer une simple formalité supplémentaire, cette mesure propre à l’entrepôt public est le soubassement d’un partage de responsabilité qui fait qu’en cas de non représentation, de vol ou de sinistre, le concessionnaire de l’entrepôt public peut se soustraire à toute responsabilité.

En important une telle formalité en entrepôt privé, la NDS y consacre inévitablement ce même partage de responsabilité sur la garde des marchandises entre le service des douanes et l’exploitant, avec comme corollaire logique, la possibilité offerte à l’exploitant de se soustraire à toute responsabilité, en cas de non représentation, de vol ou de sinistre constatés sur les marchandises.

Le cas échéant, cet amalgame serait contraire à l’esprit et à la lettre de l’Article 43 de l’arrêté 13707 qui veulent, qu’en entrepôt privé, le paiement des droits et taxes suspendus à l’entrée soit toujours garanti, même en cas de vol ou de sinistre.

En tout état de cause, les conséquences juridiques qui découlent logiquement de cette situation seraient, à coup sûr, préjudiciables aux intérêts du Trésor public, si elles venaient à se réaliser.
Pour parer toutes ces éventualités, pareilles faiblesses devraient être rattrapées, à défaut de pouvoir être corrigées. C’est tout le sens des recommandations qui figurent en conclusion.

Conclusion.

La compétence reconnue aux autorités nationales pour faire recours à la suspension d’entrée en entrepôt, ne souffre pas de base légale tant au niveau international, communautaire que national.

Toutefois, cette prérogative demeure bien encadrée au regard des dispositions évoquées plus haut. En effet, l’analyse effectuée a permis de démontrer la faiblesse des fondements de la mesure de suspension, tant du point de vue des motifs qui la justifient que des mesures d’accompagnement qui y sont contenues.

De ce point de vue, l’image du service et sa réputation avec, pourraient être fragilisées, si d’aventure, cette mesure venait à être contestée ou attaquée par les opérateurs économiques.
Pour mettre l’Administration à l’abri d’éventuels désagréments qu’il serait difficile de réparer, et pour plus d’efficience dans la gestion des entrepôts de stockage, il semblerait plus judicieux d’envisager les mesures suivantes, pouvant aider résoudre la dialectique des impératifs d’efficacité et de légalité, qui se pose à l’action du service des douanes :

Dans le court terme et dans l’hypothèse où le maintien de la mesure se justifie :
- Préparer, sans délai, un projet d’arrêté à la signature du Ministre en charge des finances, en vue de reconduire la mesure d’exclusion, conformément à l’article 09 de l’arrêté 13707 ;
- Annuler l’institution de la fermeture des entrepôts privés, à double clé dont l’une est détenue obligatoirement par l’administration ;

Dans le court terme et dans l’hypothèse où le maintien de la mesure ne se justifie plus :
- Préparer, sans délai, un projet de note de service, à la signature du DGD, portant levée de la mesure d’exclusion ;
- Renforcer les contrôles sur les entrepôts de stockage ;
- Procéder, pour quelques cas notoires, au retrait des agréments comme sanction aux non représentations récurrentes constatées par le service ;
Dans le long terme et pour mieux rationaliser la gestion des entrepôts de stockage :
- Recenser tous les entrepôts de stockage et procéder à la mise à jour de leur adressage précis ;
- Géolocaliser la position de chaque entrepôt agréé et établir une cartographie des magasins de douane (MAD-TC) ;
- Faire de la disponibilité d’un système de vidéo-surveillance placée à demeure, une condition d’éligibilité du local proposé à l’agrément d’entrepôt de stockage ou de magasins douane (MAD-TC).

Bibliographie.

1. Textes internationaux et communautaires.
- Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers signée à Kyoto, le 18 mai 1973 (CKR) ;
- Acte Additionnel n°A/SA.2/12/17 du 16 décembre 2017, portant Code des douanes de la CEDEAO ;
- Règlement n°09/2001/CM/UEMOA du 26 novembre 2001 portant Code des douanes de l’UEMOA ;
- Règlement n°13/2008/CM/UEMOA fixant la liste de marchandises interdites à titre permanent des entrepôts de stockage.

2. Textes nationaux.
- Loi n°2014-10 du 28 février 2014 portant code des douanes du Sénégal, JORS n°6787 du 26 avril 2014 ;
- Arrêté n°13707/MEFP/DGD du 14 juillet 2015 déterminant les conditions d’agrément et d’exploitation des entrepôts de stockage ;
- NDS n°987/DGD/DRCI/BRD du 15 février 2019, portant suspension provisoire de I’entrée en entrepôt de stockage des huiles végétales raffinées ;
- Lettre n°0840/MEFP/CAB/CT/B.KA du 28 janvier 2019 portant arrêt temporaire de la mise en entrepôt des huiles importées.

3. Articles.
- T. Pez, « L’ordre public économique », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n°49 (dossier : l’entreprise) - octobre 2015 - p. 44 à 57 ;
- Ch. Vautrot-Schwarz, « L’ordre public économique », in C.-A. Dubreuil (dir.), L’ordre public, Cujas, 2012, p. 187 et s.

Mamadou GUEYE, Inspecteur Principal des Douanes, Formateur à l’Ecole Nationale des Douanes du Sénégal.

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Notes de l'article:

[1NDS n°987/DGD/DRCI/BRD du 15 février 2019, portant suspension provisoire de I’entrée en entrepôt de stockage des huiles végétales raffinées.

[2Il s’agit notamment de la Convention de Kyoto Révisée (CKR), du Code des douanes de la CEDEAO (CDC), du Code des douanes de l’UEMOA (CDU), du Code des douanes du Sénégal (CDS) et de l’arrêté n°13707/MEFP/DGD du 14 juillet 2015 déterminant les conditions d’agrément et d’exploitation des entrepôts de stockage (AES).

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