L’attrait des dispositions du droit du travail dans le droit de la fonction publique : une symbiose réussie.

Par Marc Lecacheux, Avocat.

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Explorer : # droit du travail # fonction publique # protection des droits

Le droit positif français semble avoir posé des cloisons étanches entre d’un côtés le droit privé (droit civil et droit social) et de l’autre le droit public dont les principes ont été dégagés progressivement par le juge administratif. Pourtant une analyse transversale des deux matières nous démontre qu’au fils du temps, s’est mis en place de nombreuses convergences entre le droit civil et le droit administratif. (Pour un exemple récent tiré de l’utilisation par le juge administratif de l’article 372-2 du Code civil, TA paris 13 décembre 2011 n°1002822 M W). Ainsi, dans un arrêt récent, le Conseil d’État se réfère directement aux articles du Code du travail pour admettre la légalité du non versement de l’indemnité de fin de contrat à praticien hospitalier contractuel (CE 22 février 2018 Centre hospitalier de Sainte foi la grande N°409251). A l’inverse, on sait que la jurisprudence administrative Thouzellier du 3 février 1956 (CE sect. 3 février 1956 Ministre de la justice /Thouzellier P 49) concernant la réparation de l’état pour les dommages causés par un pensionnaire d’un établissement d’éducation surveillée ; a joué un rôle important dans la reconnaissance par la Cour de cassation, par son arrêt Blieck du 29 mars 1991, du principe générale de la responsabilité du fait d’autrui fondé sur l’article 1384 du Code civil ((Cass AP 29 mars 1991 BULL ASS n°1).

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Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si cet arrêt a été commenté, en son temps, dans la Revue Française de Droit Administratif (voir RFDA 1991 P 991 note P. Bon)

Ainsi, force est de constater que cette distinction académique ne l’est plus tout à fait et qu’au contraire on doit considérer que ces échanges interdisciplinaires entre le droit social et le droit de la fonction publique ont été particulièrement fructueux.

En effet, ils ont permis d’assurer une protection efficace des droits et libertés des agents titulaires et contractuels au sein de la fonction publique tout en leurs assurant une plus grande mobilité.

Dans ce contexte, il conviendra de mettre en exergue l’affirmation de certains principes généraux du droit (I) pour ensuite aborder deux exemples typiques de cette homologie, l’accident de service survenu en mission (II) et le cas du fonctionnaire mise à disposition par un employeur de droit privé (III).

I) La technique de principe généraux du droit comme interface entre le droit public et privé :

Chronologiquement, on ne peut évoquer ce sujet sans citer des arrêts fondateurs où on voit apparaître, pour la première fois, la notion de principe général de droit du travail (CE Ass 8 juin 1973 Mme Peynet, CE 23 avril 1982 Ville de Toulouse / Mme Aragnou s’inspirant directement de l’ancien l’article L 1412 du Code du travail pour interdire toute rémunération inférieure au salaire minimum de croissance).

Cette tendance jurisprudentielle a trouvé à s’exprimer dans le début du siècle dans le domaine du droit social (CE 27 mars 2000 Mme B rec. p 129 interdiction de résilier le contrat de travail d’un salarié en raison de son sexe ou de sa situation de famille ; CE ass 29 juin 2001 principe subordonnant l’accord des parties lors de la modification des éléments essentiels du contrat de travail).

Plus récemment, le Conseil a imposé l’obligation pour l’administration de reclasser un salarié devenu inapte (CE 2 octobre 2002 Chb de commerce et d’industrie de Meurthe-et-Moselle confirmé récemment).

Cette obligation de reclassement a été confirmée dans un avis rendu par le Conseil d’État concernant la question du droit des agents contractuels recrutés en CDI à conserver leurs emplois ou à être reclassés lorsqu’un fonctionnaire pourrait y être nommé ; la haute juridiction a dégagé un nouveau principe général du droit directement inspiré des dispositions du droit du travail :
« relatives à la situation des salariés dont l’emploi est supprimé que du statut général de la fonction publique qui imposent de donner aux fonctionnaires en activité dont l’emploi a supprimé une nouvelle affectation correspondant à leur grade » (CE section 25 septembre 2013 n°65139).

De même, la haute juridiction administrative a reconnu un droit au reclassement à un agent non titulaire atteint d’une inaptitude physique à occuper son emploi et ceci conformément à un principe général du droit s’inspirant directement des dispositions du droit du travail (CE 13 juin 2016 n°387373 Mme AB /VDP)

En effet, ces jurisprudences font écho à l’obligation légale de reclassement de l’employeur pour inaptitude d’origine professionnelle et non professionnelle des salariés de droit privé (Loi n°81-3 du 7 janvier 1981, Loi n°92-1446 du 31 déc. 1992), disposition reprise dans une décision récente (CASS SOC 7 déc. 2017 1622.276 F-P+B).

Pour autant, si on ne peut que se féliciter de cette évolution favorable au droit des agents publics, il convient de ne pas perdre de vue une précarisation déjà très présente des activités de service public par le recours à l’intérim (voir notre article du 22 janvier 2016 sur le sujet) autorisée par la loi 2009-972 du 3 août 2009 (ex : infirmières dans la fonction publique hospitalière) et à la contractualisation (CDD, CDI).

II) Redéfinition de l’accident de service survenu en mission : Une homologie de revirements jurisprudentiels.

L’accident de service peut être défini comme un accident qui se produit dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice des fonctions.

La jurisprudence administrative a d’ailleurs évolué vers une présomption d’imputabilité pour des accidents survenus dans l’exercice des missions (CE 30 juin 1995) pour autant elle avait toujours refusé de considérer comme accidents de service ceux survenus à l’occasion de tous les actes de la vie courante. C’est désormais chose faite dans un arrêt remarqué de 2004.

En effet, le Conseil d’État a estimé qu’un accident dont avait été victime un agent public dans le cadre de sa mission peut être considéré comme un accident de service même si cet accident est survenu à l’occasion d’un acte de la vie courante sauf interruption pour des motifs d’ordre personnels (CE 3 décembre 2004 n°260786). En cela, ce revirement de jurisprudence rejoint celui effectué par la Cour de cassation trois années auparavant (Cass soc 19 juillet 2001 Mme M/CPAM de Lyon)

III) Sur le fonctionnaire d’État mis à la disposition d’un employeur de droit privé (modification par la loi n°2007-148 du 2 février 2007, décret n°2007-1542 du 26 octobre 2007) :

La mise à disposition est une position où le fonctionnaire en activité demeure dans son corps ou emploi d’origine mais exerce ses fonctions hors du service où il a vocation à servir. Néanmoins, ce dernier continue à percevoir sa rémunération et conserve ses droits à la retraite. Pour autant, lorsqu’il s’agit d’un établissement de droit privé, cette position statutaire implique une interaction permanente entre les règles de droit public et celles de droit privé. Il ne s’agira ici que d’évoquer les mises à dispositions individuelles auprès d’un employeurs de droit privé. D’emblée, il s’agit de mettre en exergue le fait que les conditions de mise à disposition doivent être définies dans le cadre d’une convention de mise à disposition que le fonctionnaire peut refuser. Il conviendra de reprendre les principales spécificités juridiques de cette mise à disposition :
- La détermination des conditions de travail :

Pour ce qui concerne la détermination des conditions de travail une problématique juridique surgie immédiatement : l’agent est-il dans une position statutaire ou contractuelle de droit privé ?

En bonne logique, c’est l’organisme d’accueil qui fixe les conditions de travail du personnel mis à disposition (Article 7 du décret du 16 septembre 1985 issue du décret n°2007-1542 du 26 octobre 2007).
Ce qui implique une nécessaire observation, par ce dernier, des règles présidant au contrat de travail (notion cardinale de subordination à l’employeur) et que tout litige relève de la compétence du juge judiciaire.

C’est d’ailleurs la position prise par la Cour de cassation dans sa formation la plus solennelle, l’Assemblée Plénière, dans un arrêt de principe du 20 décembre 1996 :
« Le fonctionnaire mis à disposition d’un organisme de droit privé et qui accomplit un travail pour le compte de celui-ci dans un rapport de subordination se trouve lié à cet organisme par un contrat de travail » (Cass ass 20 décembre 1996 n°92-40.641).

Toutefois, une restriction malheureuse est apportée par ce même article, dans le cas d’une mise à disposition égale ou inférieures à un mi-temps, les décisions relatives aux congés payés et aux congés maladie appartiennent à l’administration.

- Le pouvoir disciplinaire :

Selon les articles 9 et 10 du décret précité, c’est l’administration d’origine qui exerce ce pouvoir, c’est-à-dire concrètement l’autorité investie du pouvoir de nomination.

- La rémunération :

Le fonctionnaire mis à disposition, demeurant dans son corps d’origine, continue de percevoir la rémunération correspondant à l’emploi qu’il occupe.

- La notation :

L’administration d’origine exerce un pouvoir de notation en application du décret n°2002-682 du 29 avril 2002 relatif aux conditions générales d’évaluation, de notation et d’avancement des fonctionnaires de l’État.

- La réintégration :

Précision qu’en droit de la fonction publique, le fonctionnaire réintègre en principe, son corps d’origine et à un emploi qui correspond à son grade et a une priorité pour être affecté au poste qu’il occupait avant son détachement.

En droit du travail, c’est l’article L 8241-2 du Code du travail qui dispose que le salarié doit retrouver « son poste de travail dans l’entreprise prêteuse sans que l’évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne soit affectée par la période de prêt ».

Ainsi, la réintégration du salarié ne doit pas s’accompagner d’une modification de son contrat de travail.

Marc Lecacheux
Avocat à la cour
marclecacheux.avocat chez yahoo.fr

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