Illustration avec un récent arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2011 (n°09-72054) qui arbitre entre une mention de reprise d’ancienneté sur des bulletins de paie et un contrat de travail qui est silencieux par rapport à ce même engagement de l’employeur.
Les faits
Dans cette affaire, un salarié exerce les mêmes fonctions de gardien / employé de maison dans les mêmes locaux mais pour deux employeurs qui possèdent successivement les locaux.
Cependant, il y travaille d’abord du 1er octobre 1989 au 31 janvier 2001 au service de l’employeur A. Puis, après avoir arrêté de travailler pendant 12 mois, jusqu’au 31 janvier 2002, il est engagé avec effet au 23 février 2002 par l’employeur B, qui reprend l’entreprise de l’employeur A.
Chez B, le salarié exerce donc les mêmes fonctions de gardien/employé de maison jusqu’à son licenciement en avril 2007.
D’un côté, le contrat de travail signé par le salarié avec B en février 2002 ne contient aucune clause de reprise volontaire par B de l’ancienneté acquise par le salarié au service de A.
De l’autre côté, les 63 bulletins de paie remis par B au salarié portent comme date d’entrée au service de B « 23 février 2002 » et comme date d’ancienneté chez B « 1er octobre 1989 ».
Après son licenciement pour faute grave, le salarié revendique de B le versement d’un complément d’indemnité de licenciement qui prend en compte l’ancienneté totale acquise depuis le « 1er octobre 1989 ». Il soutient que la mention d’ancienneté au 1er octobre 1989 sur ses bulletins de paie vaut engagement de reprise par B de son ancienneté acquise au service de A.
La Cour d’appel refuse cette explication car son contrat de travail avec B ne contient aucun engagement de B de reprendre au titre de l’ancienneté les années de travail effectuées au service de A. Autrement dit, seul le contrat de travail est retenu par les juges dans leurs débats.
La décision de la Cour de cassation
La Cour de cassation désavoue les juges d’appel d’avoir uniquement examiné le contrat de travail. Son raisonnement tient dans les phrases suivantes :
« La date d’ancienneté figurant dans le bulletin de paie vaut présomption de reprise d’ancienneté sauf à l’employeur à rapporter la preuve contraire ;
La Cour d’appel n’a pas recherché comme il lui était demandé si des mentions figurant dans les bulletins de paie ne faisaient pas présumer l’ancienneté revendiquée par le salarié… »
Dans l’affaire examinée, la demande du salarié devant la Cour d’appel était justement étayée par les bulletins du salarié qui mentionnaient une ancienneté au 1er février 1989.
(1) La Cour d’appel aurait donc dû admettre qu’il y avait là une présomption de reprise d’ancienneté, telle que le revendiquait le salarié, et non pas se contenter de regarder le contenu du contrat de travail.
(2) Puis, elle aurait dû se tourner vers l’employeur pour lui demander de détruire cette présomption en apportant la « preuve contraire », et dans ce cas, selon nous, la preuve qu’il avait convenu avec son salarié de ne pas reprendre son ancienneté acquise chez A.
L’employeur doit, en effet, apporter la preuve de l’étendue réelle de son engagement envers son salarié afin de convaincre les juges. Or, on a vu que le contrat de travail signé par le salarié avec B ne mentionne pas de reprise d’ancienneté mais, pour autant, il ne précise pas non plus qu’il « ne reprend pas » l’ancienneté acquise par le salarié au service de A… L’employeur convaincra-t-il ?
Conclusion et conseil RH
Voici donc une affaire dont le dénouement paraît aléatoire… et où l’employeur est à la peine de devoir démontrer quel engagement il a réellement pris envers un salarié qui dispose de nombreux bulletins de paie laissant présumer une reprise d’ancienneté.
D’où mon conseil de prudence : employeurs, soyez rigoureux dans les écrits remis à vos salariés et vérifiez-les, y compris les bulletins de paie peut-être établis en sous-traitance par un tiers...