Le Conseil constitutionnel ne s’occupe pas de politique.

Par Pierrick Gardien, Avocat.

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Explorer : # indépendance du conseil constitutionnel # contrôle de constitutionnalité # nomination des membres # impartialité des sages

Le Conseil constitutionnel se prononcera vendredi 14 avril 2023 sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 portant réforme des retraites. Rarement une décision des Sages aura été autant attendue et il est à craindre qu’elle ne satisfasse personne, ni les partisans ni les opposants à la réforme. Sans se prononcer sur le fond du sujet, il est important de rappeler que le Conseil constitutionnel ne fait pas de politique et que son indépendance est absolue.

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C’est le juriste Hans Kelsen qui a fixé au début du XXe siècle les critères permettant de s’assurer d’un contrôle de constitutionnalité des lois efficace et indépendant du pouvoir politique en proposant de :

  • Créer une juridiction spéciale, indépendante et dédiée exclusivement au contrôle de constitutionnalité ;
  • Diluer le pouvoir de nomination de ses membres à plusieurs autorités ;
  • Prévoir une durée de fonctions longue, sans renouvellement des mandats et avec des incompatibilités.

Le Conseil constitutionnel coche toutes ces cases. Il a été créé en 1958 en même temps que la Constitution de la Ve République dont il est le gardien. Il présente toutes les garanties nécessaires à son indépendance.

L’indépendance du Conseil constitutionnel est parfaitement garantie par sa composition, puisque c’est un organe collégial de neuf membres. Si son Président a voix prépondérante en cas de partage, il ne décide pas seul de la position prise par le Conseil, votée en collégialité.

Le mandat des Sages dure neuf ans et n’est pas renouvelable ce qui est un gage supplémentaire d’indépendance (Article 56 de la Constitution). La durée des fonctions excède en effet le quinquennat présidentiel et le Sage nommé n’a pas d’intérêt à chercher à plaire à l’autorité de nomination puisque ses fonctions ne peuvent pas être renouvelées.

De plus, le pouvoir de nomination est dilué, c’est-à-dire que ce n’est pas la même personne qui nomme tous les membres du Conseil constitutionnel, mais trois autorités différentes, à savoir le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat qui nomment chacun trois membres. Le Conseil n’est donc à la main ni à l’image de personne, d’autant plus qu’il n’est jamais intégralement renouvelé, mais que le renouvellement des membres s’opère par tiers tous les trois ans (Article 56 de la Constitution).

Avant d’entrer en fonction, les Sages jurent de bien et fidèlement remplir leurs fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la Constitution, de garder le secret des délibérations et des votes et de ne prendre aucune position publique et de ne donner aucune consultation sur les questions relevant de la compétence du Conseil (Article 3 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel). Il existe tellement d’incompatibilités de fonctions fixées par les textes, que les Sages doivent en pratique se consacrer uniquement à leur mandat pendant neuf ans, sans faire de politique (Article 57 de la Constitution). En cas de difficulté, la démission d’office d’un membre peut être votée en interne (Article 8 du Décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 sur les obligations des membres du Conseil constitutionnel).

Certains de ses détracteurs soulignent une composition politique du Conseil constitutionnel. Il est vrai que des politiques siègent en son sein : Laurent Fabius nommé par François Hollande, Alain Juppé nommé par Richard Ferrand, Jacques Mézard et Jacqueline Gourault nommés par Emmanuel Macron. Mais ces politiques, qui ne représentent pas la majorité des Sages, représentent des sensibilités politiques différentes : le parti socialiste, les républicains, le parti radical de gauche et la République en marche. De plus, un membre du Conseil constitutionnel qui s’estimerait en situation de conflit d’intérêts, pour une loi qu’il aurait déjà eu à connaître en tant que ministre par exemple, dispose toujours de la possibilité de se déporter, c’est-à-dire de ne pas siéger lors de la séance portant sur cette loi.

La politisation du Conseil constitutionnel pourrait davantage résulter du fait que les anciens Présidents de la République en sont membres de droit à vie, mais la pratique a montré qu’ils s’abstenaient pour la plupart d’y siéger (Article 56 de la Constitution). Les anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ne siégeront ainsi pas vendredi 14 avril 2023 pour la séance sur la réforme des retraites.

Les Sages de la rue Montpensier jugent en droit et ne s’occupent pas de politique, leur contrôle de la norme inférieure par rapport à la norme supérieure est dit « abstrait » c’est-à-dire de droit pur. Ils doivent ainsi confronter les dispositions législatives aux droits et libertés que la Constitution garantit, à savoir depuis 1971 la Constitution du 4 octobre 1958, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et la Charte de l’environnement de 2004 (Conseil Constitutionnel, Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971).

Il ne leur appartient donc pas de statuer en opportunité, même si leurs décisions peuvent se teinter de conséquentialisme : « Nous prenons nos décisions sur une base juridique d’abord, mais tout en regardant leurs conséquences » a ainsi pu déclarer le Président Laurent Fabius au journal Le Monde le 18 avril 2016 [1].

Enfin, le Conseil constitutionnel est un organe indépendant des deux ordres juridictionnels, puisque ses décisions s’imposent aux pouvoirs publics, même au Président de la République et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours (Article 62 de la Constitution).

L’Histoire a montré qu’il n’existe pas d’alternative sérieuse : le contrôle de constitutionnalité direct par les citoyens proposé dans la période révolutionnaire est inapplicable en pratique et populiste ; le contrôle par un organe politique comme le Sénat conservateur de la Constitution de l’an VIII et du Second Empire est biaisé par sa partialité.

Le système juridictionnel mis en place en 1958 est donc le plus efficace, dans le respect de l’État de droit. La Constitution de la Ve République garantit l’indépendance absolue de ses gardiens, qu’importe le sujet traité, et tout le reste est littérature.

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Discussion en cours :

  • par Samy Merlo , Le 14 avril 2023 à 03:54

    Je vous trouve bien catégorique, maître. Vous affirmez de manière péremptoire que notre Conseil constitutionnel serait indépendant et que cette indépendance ne serait pas douteuse, au motif que plusieurs autorités sont à l’origine des nominations et que les mandats ne sont pas renouvelables ...

    Quid des conflits d’intérêts avec McKinsey par exemple, chez qui travaille le fils de Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel ?

    Par ailleurs, vous partez d’un postulat très théorique ... comme si les différents mouvements politiques auxquels vous faites référence étaient franchement antagonistes les uns envers les autres ... comme si, en outre, les présidents de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient de sérieux contrepoids les uns envers les autres ... d’aucuns diront que ce ne sont que bonnets blancs et blancs bonnets.

    Est-ce que vous ne pensez pas que le contrôle de constitutionnalité des lois ne mériterait pas d’être confié à d’authentiques professionnels du droit que sont des magistrats - des vrais, ceux qui sortent de l’ENM ! - plutôt que par des gens qui en réalité se tiennent mutuellement par la barbichette dans les coulisses du cirque politicien ?

    Non pas qu’il n’y aurait pas non plus deux ou trois choses à redire au sujet de la formation des magistrats et des ententes secrètes et autres magouilles qui se déroulent dans les loges auxquelles adhèrent bon nombre d’entre eux (un secret de polichinelle s’il en est), mais confier les problématiques juridiques - qui plus est "de pur droit" comme vous le rappelez à bon escient - à des gens de loi me paraît une première étape incontournable.

    C’est ainsi que procèdent nos voisins allemands avec leur Cour constitutionnelle de Karlsruhe ; leur modèle est-il si peu convainquant que seul le nôtre vous paraît "sérieux" ?

    Qu’en pensez-vous ?

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