La constitutionnalité du verrou de Bercy. Par Kylian Goud, Etudiant.

La constitutionnalité du verrou de Bercy.

Par Kylian Goud, Etudiant.

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Explorer : # fraude fiscale # verrou de bercy # constitutionnalité # loi du 23 octobre 2018

Par une décision QPC, le conseil constitutionnel a affirmé la constitutionalité de l’article L228 du LPF issu de la loi du 23 octobre 2018. Toutefois cette affaire n’est pas encore finie puisque le requérant s’est doté du moyen de l’inconventionalité de ces dispositions avec la combinaison de l’article 14 et de l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme des et des Libertés Fondamentales.

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I. La situation avant la loi du 23 octobre 2018.

L’expression « verrou de Bercy » définit le monopole du Ministère du Budget en matière de poursuites pénales pour fraude fiscale. Jusqu’à présent, seul le ministère de l’Economie et des Finances disposait du droit de déposer plainte contre une personne soupçonnée de fraude fiscale. Toutefois, le ministre du Budget devait saisir le comité des infractions fiscales pour demande d’avis contraignant, cependant en pratique, ce comité suivait presque toujours l’avis du ministre des Finances.

Saisi d’une QPC, le 22 juillet 2016 (2016-555QPC), le Conseil a sauvé le verrou de Bercy en affirmant que le monopole du ministère du budget était conforme à la constitution. L’avocat ayant engagé cette voie contentieuse affirmait que ce monopole était contraire au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire et au principe de séparation des pouvoirs (article 16 DDHC).
Le Conseil Constitutionnel a répondu par la négative en affirmant que ce monopole ne porte pas une atteinte disproportionnée à l’action publique du procureur de la république.

II. La situation après la loi du 23 octobre 2018.

En 2013, l’affaire Cahuzac a mis en lumière certaines failles du verrou de Bercy, en effet s’il n’avait pas démissionné de son poste qui était ministre du budget, alors, il aurait dû décider s’il devait engager des poursuites contre lui-même.

Ainsi la loi du 23 octobre 2018 a quelque peu modifié cela, elle ne remet pas en cause le verrou de Bercy complément, puisque le principe reste le même, cependant, elle admet dans certains cas une transmission automatique des dossiers au procureur de la république. Ainsi, lorsque les droits éludés sont supérieurs à 100 000 euros et que ces droits éludés sont assortis d’une des pénalités listées par l’article L228 du LPF, le dossier sera automatiquement transmis au procureur de la république.

III. La saisine du Conseil Constitutionnel.

Le 2 juillet 2019, l’AFEP, a demandé au Conseil d’Etat de renvoyer une QPC au Conseil Constitutionnel, ce qu’il a admis dans une décision du 2 juillet 2019.

Le Conseil Constitutionnel a rendu sa décision dans une décision du 27 septembre 2019 (2019-804 QPC) en énonçant que les cas de transmission automatique au parquet mis en place par le nouvel article L228 du LPF issu de la loi du 23 octobre 2018 sont conformes à la constitution et notamment à l’article 6 de la DDHC.

Le principe d’égalité devant la loi est bien connu : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte repose sur des critères objectifs et rationnels et soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. »

C’est ainsi un contrôle en plusieurs étages :
- vérifier si les deux contribuables sont dans une situation similaire ;
- si la réponse à la première question est positive, alors il faut vérifier s’il y a un but d’intérêt général qui justifie cette différence de traitement ;
- si la réponse à la première question est négative, alors, il faut passer à l’autre étape ;
- il faut ensuite vérifier que la différence de traitement repose sur des critères objectifs et rationnels ;
- pour enfin vérifier si la différence de traitement est en lien avec le but poursuivi par le législateur.

Dans notre cas, le Conseil Constitutionnel constate bel et bien qu’il y a une différence de situation entre les fraudeurs justifiant un traitement différent, et traitement reposant sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objectif poursuivi qui est de pénaliser les grandes fraudes fiscales.

Conséquences :

Bien que les Sages aient admis la constitutionalité des dispositions contestées, cette décision se doit d’être félicitée puisque le Conseil règle une question qui préoccupait les groupes de sociétés. En effet le troisièmement du I de l’article L228 prévoit que si la majoration de 40% est appliquée, et que lors des 6 dernières années civiles précédant son application, le contribuable a fait l’objet des majorations prévues au premièrement, au deuxièmement et au troisièmement du I de l’article L228, alors le dossier est transmis automatique au procureur. Les sociétés avaient peur que le groupe en entier soit considéré pour les besoins de cette disposition comme un seul et même contribuable, ce qui aurait conduit mécaniquement à la transmission automatique au procureur en cas de contrôle du groupe. Toutefois le Conseil Constitutionnel a déclaré que chaque société est considérée comme un contribuable distinct des autres membres du groupe ; la crainte est ainsi estompée.

Dorénavant il n’est plus possible que leCconseil constitutionnel soit a nouveau saisi dans le cadre d’une nouvelle QPC à l’égard de ces mêmes dispositions et cela, même sur un autre fondement constitutionnel, puisque les conditions de recevabilité de la QPC sont très claires, la loi ne doit pas avoir été jugée dans ses motifs et dans son dispositif conforme à la constitution. Seule une révision de la Constitution ou des changements de circonstances pourront éventuellement donner lieu à une nouvelle saisine du Conseil dans le cadre d’une nouvelle QPC.

Une question en suspens : bien que la critique sur le plan constitutionnel ne soit plus possible, la lecture de la décision de renvoi du Conseil d’Etat, permet de s’apercevoir que le requérant avait également émis un moyen tiré de l’inconventionalité de la loi à la convention européenne. La décision M’rida (N°316734 du 13 mai 2011, CE) qui permet de se placer sur le terrain conventionnel lorsque le justiciable n’a pas eu entière satisfaction sur le terrain constitutionnel. Précisément, l’article utilisé est l’article 14 qui pose le principe de non-discrimination, mais comme de jurisprudence constante, il ne peut être utilisé de façon autonome, l’article combiné est celui de l’article 1 du premier protocole additionnel de la convention.
En effet cet article 14 réprime « les distinctions entre des personnes placés dans une situation analogues si elle n’est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d’utilité publique ou si elle n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi » décision 377207 société Red Bull du 10 avril 2015.

Ainsi dans cette décision de renvoie le requérant n’avait pas oublié d’invoquer un moyen conventionnel, mais caractère prioritaire de la QPC oblige, le juge devait surseoir à statuer, mais maintenant que le conseil constitutionnel a statué, le juge de l’impôt doit reprendre l’instance ou il l’avait laissée et s’interroger sur le moyen tiré de l’inconventionalité de la loi par rapport à la combinaison des articles 14 et premier du premier protocole additionnel de la convention.

En conclusion, là où la voie constitutionnelle n’a pas été efficace pour le requérant, il se pourrait peut-être que la voie conventionnelle puisse porter ses fruits.

Kylian Goud, Etudiant.
M2 droit fiscal de l’université Paris I Panthéon Sorbonne.

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