Par une décision du 18 juillet 2018 [1], Ministre de l’Éducation nationale, le Conseil d’État est venu préciser l’étendue du contrôle du juge sur les sanctions disciplinaires.
En l’espèce, un enseignant condamné pour pédophilie [2] a été exclu du service définitivement. Mis à la retraite d’office par un arrêté du ministre de l’Éducation nationale du 17 juillet 2013, le requérant avait attaqué la décision. Le Tribunal administratif lui avait donné raison, en annulant la sanction administrative de radiation [3].
Ayant formé appel du jugement, la ministre de l’Éducation nationale a vu sa requête rejetée par la Cour administrative d’appel qui a confirmé le jugement de première instance, au motif que « la sanction retenue par la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est disproportionnée » [4].
En l’espèce, la ministre s’étant pourvue en cassation, la haute juridiction administrative a quant à elle considérée comme légale la sanction infligée par l’enseignant reconnu coupable d’agressions sexuelles sur mineur car, « eu égard à l’exigence d’exemplarité et d’irréprochabilité qui incombe aux enseignants dans leurs relations avec des mineurs, y compris en dehors du service, et compte tenu de l’atteinte portée, du fait de la nature des fautes commises par l’intéressé, à la réputation du service public de l’éducation nationale ainsi qu’au lien de confiance qui doit unir les enfants et leurs parents aux enseignants du service, toutes les sanctions moins sévères susceptibles d’être infligées à M. A...en application de l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984 mentionné ci-dessus étaient, en raison de leur caractère insuffisant, hors de proportion avec les fautes commises par ce dernier ; que, dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de ses pourvois, le ministre de l’éducation nationale est fondé à demander l’annulation de l’arrêt qu’il attaque » [5].
Mais ce qui retient l’attention n’est pas la position du juge administratif de l’espèce, mais bien l’office du juge concernant le contrôle des sanctions disciplinaires. De la sorte, le Conseil d’État précise « qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ; que si le caractère fautif des faits reprochés est susceptible de faire l’objet d’un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation, l’appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l’appréciation des juges du fond et n’est susceptible d’être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu’ils ont retenue quant au choix, par l’administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises » [6].
Cette décision met non seulement en avant le pouvoir de la haute juridiction de censurer les juridictions du fond en matière de sanction disciplinaire, mais aussi, indirectement, les différentes possibilités offertes au juge en la matière. Outre le contrôle opéré par le juge et précisé dans la présente affaire, il existe de toute manière un encadrement bien défini des sanctions disciplinaires, avec une précision de l’autorité compétente, ainsi qu’une exigence de motivation.
I - L’office du juge dans le contrôle des sanctions disciplinaires.
En tout premier lieu, le juge du fond va opérer un contrôle sur la sanction elle-même, puisque l’autorité administrative ne peut prendre de sanction qui ne serait pas listée dans les statuts généraux des fonctionnaires, cette même liste étant inscrite aussi bien pour la fonction publique d’État [7], la fonction publique territoriale [8], que la fonction publique hospitalière [9].
Cette liste de sanctions se décompose en quatre groupes :
Premier groupe : l’avertissement ; le blâme ; l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours ;
Deuxième groupe : l’abaissement d’échelon ; l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ;
Troisième groupe : la rétrogradation ; l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ;
Quatrième groupe : la mise à la retraite d’office ; la révocation.
Ici, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier la correspondance adéquate entre la faute commise et la sanction disciplinaire. Le juge vérifiera donc la stricte proportionnalité entre la faute commise et la sanction [10], ce qui n’empêche cependant pas la prise en compte de faits antérieurement sanctionnés dès lors que la nouvelle mesure disciplinaire ne sanctionne pas les mêmes faits [11].
En outre, dans son contrôle, le juge du fond pourra aussi vérifier la proportionnalité de la sanction, et peut ainsi estimer qu’une sanction était « hors de proportion » étant donné la faiblesse de ses conséquences [12]. En l’espèce, et eu égard à la gravité de la faute commise par l’agent financier travaillant à La Poste, l’annulation par le juge du fond de la révocation aurait amené La Poste à prendre une sanction disciplinaire qui aurait été trop faible par rapport à la gravité de la faute.
Outre le contrôle de la proportionnalité de la sanction, le juge peut aussi effectuer un autre contrôle, consistant à vérifier que le préjudice d’un agent qui a été évincé irrégulièrement n’est pas fonction de l’écart entre la sanction subie et la sanction que cet agent aurait pu légalement subir [13].
Plus encore, le juge peut se fonder sur des correspondances, sur des procès-verbaux, mais encore des rapports internes ou autres témoignages afin d’établir la matérialité des faits. Tout en sachant que les pièces produites par l’employeur public pour fonder une sanction disciplinaire doivent être tenues par l’obligation de loyauté [14]. A plus forte raison, une autorité territoriale doit avoir rassemblé suffisamment d’éléments pour apporter la preuve qu’une faute a été commise par l’agent en question, puisqu’il appartient à l’autorité administrative d’apporter la preuve de la faute [15].
De la sorte, s’il y a un panel de sanctions disciplinaires, il existe aussi un panel de mesures de contrôle que les juges du fond vont pouvoir opérer, sous réserve d’un contrôle potentiel par le juge de la cassation.
II - L’autorité compétente en matière de sanction disciplinaire.
La sanction disciplinaire est prise par l’autorité administrative qui est hiérarchiquement supérieure à l’agent visé et qui dispose du pouvoir de nomination. Plus encore, alors que l’agent est en détachement, il conserve sa qualité de fonctionnaire, et il appartiendra donc à l’administration d’origine de sanctionner ou non cet agent pour les fautes commises dans le cadre de ces fonctions détachées [16].
Si l’autorité administrative souhaite sanctionner l’agent, il doit néanmoins obligatoirement être reçu dans le cadre d’un entretien préalable qui doit être loyal [17].
Cette procédure est complétée par l’obligation de saisir la Commission administrative paritaire (CAP), pour toutes les sanctions disciplinaires, hors celles du premier groupe [18].
Quoi qu’il en soit, l’agent visé par la sanction disciplinaire doit dans tous les cas avoir accès à son dossier. En effet, l’absence d’information du droit à obtenir la communication intégrale du dossier de l’agent visé par une sanction disciplinaire constitue un vice substantiel [19]. L’agent peut encore avoir droit à une copie de son dossier, avec la réserve, formulée par le juge qu’il n’y a pas d’obligation « à l’Administration d’informer à l’agent son droit à prendre copie de son dossier » [20].
III- L’exigence de motivation de la sanction.
La décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée, comme le prévoient aussi bien l’article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, que l’article L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’administration. Au minimum, la décision doit « comporter l’énoncé des considérations de fait et de droit qui constituent le fondement de la décision » [21].
La décision doit aussi comprendre les griefs portés à l’encontre de l’agent concerné, afin que ce dernier puisse en prendre connaissance et savoir pour quels motifs il a été visé par une sanction disciplinaire [22].
Enfin, et plus récemment, le juge du fond a aussi estimé qu’un défaut de motivation ne pouvait pas être régularisé par un courrier distinct car, encore aurait-il fallu que l’arrêté municipal concernant l’exclusion temporaire soit annexé à la lettre de convocation [23].
Par une jurisprudence assez complète et hétérogène, le juge du fond exerce donc un contrôle approfondi sur ces décisions individuelles défavorables. Tout l’intérêt de la jurisprudence du Conseil d’État est de parvenir à la même fin en cassation, et d’apporter un contrôle proportionné supplémentaire à l’office des juges du fond.
Discussions en cours :
Très bon article,
Précisons également que c’est à l’autorité administrative d’apporter les preuves de ce qu’elle reproche. Un principe de droit pénal applicable à l’ensemble du droit français
J’ai vu des conseils de discipline durer à peine 10 minutes pour absence de preuve... alors que dans le fonds, les reproches faits à l’agent, tout le monde savait qu’ils étaient fondés
Le Professeur de droit Jean LAMARQUE a écrit dans "Études à Jean Marie AUBRY", que la justice administrative était une IMPOSTURE.
J’ai vécu cela au Conseil d’ État sous forme d’ un truquage d’ état pour ne pas dire plus.
Je peux communiquer mon dossier à Mr Alexis Deprau,