Utilité de la plaidoirie, contraction du temps et engorgement des tribunaux.
"Je différencierai l’utilité de la plaidoirie en fonction de la matière.
La plaidoirie paraît en effet de moins en moins utile dans des dossiers techniques (par exemple en droit de la construction), d’autant plus que les jugements dans ce type de matière sont souvent rendus à distance de la plaidoirie : le magistrat ne s’en souvient pas nécessairement, c’est presque du temps perdu pour tous.
S’interroger sur l’avenir de la plaidoirie c’est aussi s’interroger sur l’avenir de la justice, et la contraction du temps !
Robert Badinter, entendu devant une récente commission d’enquête parlementaire, ne dit-il lui-même pas que l’éloquence judiciaire est un art voué à disparaître pour l’essentiel ?
Les audiences sont surchargées et c’est une question centrale : notre justice est très "humaine", on parle beaucoup, mais cela se fait au détriment de l’évacuation des affaires.
Du côté des magistrats nous savons apprécier les plaidoiries, même si nous redoutons les plaidoiries trop longues. Les réquisitoires trop long peuvent de la même manière lasser les juges et les avocats. La parole fatigue autant celui parle que celui qui écoute !
Doit-on imposer un temps maximum à l’instar du Conseil Constitutionnel ? Les sages limitent ainsi le temps de plaidoirie dans le cadre des QPC. Mais la liberté de parole et l’exercice des droits de la défense n’interdisent-ils pas une restriction de l’expression orale ? Aux magistrats et aux avocats d’y réfléchir ensemble. La pandémie nous invite inévitablement à le faire.
La parole de l’avocat essentielle pour la société.
N’oublions pas toutefois le rôle cathartique de la plaidoirie pour les clients, et notamment pour les victimes (comme dans le cadre du procès des attentats de Charlie hebdo) : il y a une théâtralité de l’audience, chacun joue un rôle, et l’avocat doit alors exprimer la souffrance des parties assises dans la salle d’audience. L’avocat est la voix du justiciable silencieux, plongé dans sa douleur et ses interrogations.
La parole judiciaire peut être aussi pédagogique en ce qu’elle permet d’expliquer la loi et le droit. A ce titre, la plaidoirie de l’avocat viendra confirmer, infirmer ou compléter les propos du juge ou du procureur. La communication de la justice, dans ses différentes composantes, est toujours nécessaire au débat démocratique.
Rendre intelligible le langage juridique, complexe et abscons, est d’utilité sociale, me semble-t-il. La parole de l’avocat a donc toute sa place dans ce processus collectif."
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