Droit de la santé et Médiation : un alliage gagnant.

Par M. Kebir, Avocat et Camille Thinard, Juriste Stagiaire.

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Explorer : # médiation # droit de la santé # modes alternatifs de règlement des différends # conflits internes

De par ses spécificités et missions, le secteur médico-sanitaire est propice à l’accroissement de longs contentieux, couteux et à plus forte raison éprouvants. D’évidence, aux fins d’une offre de soins de qualité, la préservation du lien thérapeutique entre le patient et son médecin, le maintien de la cohésion interne, sont autant d’enjeux majeurs du droit de la santé. Promue par le législateur, la médiation, mode amiable de règlement des différends, loin d’être une panacée, peut être un outil nécessaire à l’apaisement des relations interpersonnelles. Dans un environnement où la tension est permanente, à l’origine de souffrances, de RPS et des manquements.

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L’entrée en vigueur de la Loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de sortie de crise sanitaire [1] n’est pas sans rappeler la gestion problématique des conflits, caractéristiques d’une exigence légitime de reconnaissance.

De surcroit, les tribunaux, paralysés au printemps dernier, peinent à garantir la célérité des procédures. De sorte que le droit du justiciable à un « délai raisonnable » [2] interroge, dans un contexte marqué par un engorgement des saisines sans précédent.

Dans ces circonstances, les Modes Alternatifs de Règlement des Différends (MARD), apparaissent comme une alternative à la voie contentieuse. Un choix salutaire d’autant plus flexible, accessible, moins onéreux, rapide. Qui plus est, évite au surplus l’aléa judiciaire.

En cela, la médiation, à l’initiative du juge [3] ou des parties - conventionnelle [4], place la volonté des parties, artisans de la solution négociée, au centre de la résolution du conflit. Le médiateur, soumis aux obligations de diligence, compétence, impartialité, neutralité, indépendance et confidentialité [5], intervient es qualité de tiers accompagnateur, encadrant le processus structuré. Ses outils ? L’altérité, l’écoute active, la confiance, l’ingénierie relationnelle, la négociation raisonnée.

A fortiori, du point de vue relationnel et humain, la médiation – et les MARD en général-, est privilégiée, en vertu du dialogue restauré, la libre décision, la solution pérenne.
En considération de ces indéniables avantages, les MARD s’imposent au titre de préalable amiable obligatoire. Devant précéder le recours juridictionnel [6] dans certains domaines.
Ceci conformément aux stipulations de l’Article 750-1 du Code de procédure civile :

« A peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ».

Secteur aux prises avec les difficultés de saturation et alourdissement de la responsabilité, l’urgence et les fortes attentes inhérentes au fonctionnement des établissements de santé fortifient, indirectement, le déclenchement du conflit. Et, partant, le réflexe procédural.

De là, il est ainsi permis de penser que, parmi les secteurs à même de développer les MARD, le secteur sanitaire se hisse au premier rang. Néanmoins, le recours aux MARD requière, a priori, une pédagogie en amont. Outre un changement de paradigme, à la fois chez l’usager et l’organisme de soins.

De façon générale, deux types de contentieux y sont coutumiers. Le premier type de litige est susceptible de survenir en interne, entre le personnel de l’établissement. Le second opposerait, quant à lui, la structure médicale au patient (ou ayants droit de ce dernier). C’est pour ainsi dire que la gestion de ces différends, par la médiation, a vocation à limiter la nécessité de submerger le juge, par une saisine souvent inopportune.

MARD et la nécessaire information de l’usager.

Le Pacte de confiance pour l’hôpital envisage la médiation-conciliation comme un outil privilégié de gestion des conflits et des blocages [7] internes à la structure hospitalière. Le recours au tiers conciliateur ou médiateur ne vise pas, ici, à prévenir le conflit. Il se propose d’en limiter la durée et le coût. En plus de prévenir tout impact négatif sur la réputation et les relations internes de l’établissement.

Il en résulte que le recours à la médiation-conciliation, en cas de conflit interne, est largement entendu.

A ce titre, l’article 2 du Décret n° 2019-897 du 28 août 2019 dispose que :

« La médiation pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux s’applique à tout différend entre professionnels, opposant soit un agent à sa hiérarchie soit des personnels entre eux dans le cadre de leurs relations professionnelles dès lors qu’ils sont employés par le même établissement, au sein d’une direction commune ou d’un même groupement hospitalier de territoire et que ce différend porte une atteinte grave au fonctionnement normal du service ».

Précédée d’une phase de conciliation interne et la transmission de la demande à la commission régionale paritaire, la médiation est menée par un médiateur régional (ou interrégional) [8]. Lequel, tenu à l’obligation de confidentialité, pourra accéder aux dossiers des parties [9] et, ce faisant, les assister à l’élaboration d’un accord conjoint.

À cet égard, indépendamment de la nature des parties et de l’objet du différent, les litiges internes déclarés dans un établissement public hospitalier, ou au sein d’une entreprise privée proposant des services médicaux, ne font l’objet d’aucun traitement particulier lié au caractère médical de l’établissement. Il s’agit, en somme, de trouver une issue amiable, négociée et satisfactoire.

Au fond, ces procédures de médiation ou de conciliation s’inscrivent dans une démarche plus globale : préserver l’intérêts des travailleurs de santé et la performance de la structure médicale.

Par ailleurs, il convient de relever que l’élargissement du recours aux MARD doit s’accompagner, aux fins d’une pleine efficacité, de la formation des acteurs aux techniques de l’ingénierie relationnelle [10], aux outils de la QVT (Qualité de vie au travail). C’est dire que le renouvellement des relations de travail conduit à repenser la cohésion sociale et le bien-être salarial dans l’établissement de santé.

Dans le même ordre d’idée, le recours aux MARD et sa mise en œuvre restent peu connus des potentielles parties au litige interne. Cela étant, un réel effort de promotion des figures clé (telles que le médiateur régional) et des modes de règlement amiable – la médiation, la conciliation, le droit collaboratif - relève d’un impératif pratique.

Si l’efficacité des MARD en matière de conflits internes est constatée, il n’en demeure pas moins que, pour ce qui concerne les litiges externes, un chemin reste à parcourir.

CDU, Médiateurs médecins : instruments de protection du lien thérapeutique.

Les différends susceptibles de voir le jour entre les patients et les institutions médicales et hospitalières trouvent, historiquement, leur issue sur le terrain juridictionnel. Ces longs contentieux donnent lieu, en parallèle, à une « justice médiatique », à l’aune de laquelle carrières et réputations sont, du même coup, mises en péril. Sur fond de surenchère, de nombreux scandales médicaux et pharmaceutiques illustrent une gestion pour le moins désordonnée du contentieux : les affaires Perruche [11], Mediator [12], Distilbène [13]...

Procédés vertueux, les MARD dans le cadre de conflits opposant les patients aux établissements de santé sont, in fine, perçus comme un recours raisonnable.

Pour y parvenir, des instances telles que la commission des usagers (CDU) sont instituées au sein d’établissements de santé. Habilitées à étudier « les réclamations et plaintes » qui leur seraient adressées [14] par d’autres usagers de l’institution médicale, les CDU veillent également à y améliorer la qualité de la prise en charge des malades et de leurs proches [15].

En d’autres termes, cette commission ad hoc offre aux usagers la possibilité de faire remonter leurs griefs relatifs à l’accueil, le traitement, et l’information reçue au sein de la structure auprès des « responsables de l’établissement » [16].

Les plaintes et réclamations portées devant la CDU peuvent, par ailleurs, donner lieu à l’intervention d’un médiateur- médecin. En effet, dès lors que celles-ci mettent en cause « les soins et le fonctionnement médical du service » [17], une rencontre entre l’auteur de la plainte et ledit médiateur doit être organisée. À son issue, un compte-rendu exposant les solutions à apporter au conflit, ou les voies de droit ouvertes à l’usager doit être communiqué au président de la CDU et au patient [18]. Une procédure similaire, lorsque la plainte ne met pas directement en cause la qualité des soins, est, en outre, envisagée. Celle-ci suppose l’intervention d’un médiateur non-médecin.

L’institutionnalisation de la médiation constituerait le point d’orgue de l’enracinement de ce mode amiable dans le panorama contentieux. A bien des égards, c’est dans cette lignée que s’inscrit la proposition de création d’un Conseil National de la Médiation [19].

Dialogue inclusif : Outil de Médiation.

Ralentie par l’insuffisance des actions de sensibilisation aux techniques des recours amiables, l’efficacité pratique de ces institutions médiatrices reste nuancée. À ce titre, une enquête de 2012 publiée par l’Agence Régionale de Santé d’Ile de France révèle que le taux de médiation correspondrait environ à « 6% des réclamations » [20]

Or, le lien entre un patient et son personnel soignant repose sur la confiance, la proximité et le dialogue entre les parties. Sa préservation devient, de facto, un enjeu de promotion de la santé du patient.
Il va de soi qu’un réel effort sur le plan de la communication doit, dans un premier temps, être engagé par les établissements de santé. En clair, le développement des modes amiables de règlements des conflits dans le secteur médical nécessite une visibilité améliorée de ces mécanismes. Comment fonctionnent-ils ? Quelles démarches effectuer pour pouvoir y accéder ?

Droits des usagers et Médiation.

Informer les patients sur les voies de droit juridictionnelles, et non-juridictionnelles, susceptibles de leur être ouvertes, à l’issue des soins, constitue ainsi un complément nécessaire aux informations produites par le médecin se rapportant à leur état de santé et risques médicaux.

Dans une approche comparative de la médiation en milieu de santé, des enseignements peuvent être tirés des expériences belge et canadienne.

En effet, ces deux précurseurs de la médiation ont développé dans les années 2000 la figure du « Comité Patient Partenaire » [21]. La création de cette institution répond à une volonté d’impliquer davantage le patient dans la vie de l’hôpital, tendant à transformer le patient en partenaire de l’amélioration de la qualité de ses accueil et séjour à l’hôpital.

En d’autres termes, il s’agit de promouvoir le dialogue entre d’un côté « l’expert de la vie avec la maladie », et, de l’autre, « l’expert de la maladie », à l’effet d’améliorer la satisfaction de la collectivité de santé. Ainsi, le patient qui reçoit un accueil et des soins qui lui conviennent davantage est moins enclin à engager un contentieux.
Autre avantage, non des moindres : un tel mécanisme a ceci de vertueux qu’il permet de renforcer les liens avec le personnel soignant.

En substance, dans un secteur médical où la convergence d’intérêts entre les parties est indispensable à la préservation du lien thérapeutique, la médiation relève d’un outil œuvrant à la qualité de soins et la cohésion du groupe. Efficaces dans le contentieux interne aux établissements de santé, les MARD demeurant peu ou prou connus, donc accessibles aux patients et leurs ayants droit.

En dernière analyse, une meilleure communication sur les vertus et avantages des MARD, relativement à l’entente durable, une plus grande implication du patient dans les procédures, la promotion du dialogue inclusif, sont les attributs de la Médiation en milieu de soins. Des instruments opérationnels à la portée du grand public, pour peu que les acteurs, l’usager et les politiques publiques en fasse un credo : un outil confortant l’intérêt du patient.

Me. KEBIR
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA
Camille THINARD, Juriste stagiaire.
CABINET KEBIR AVOCAT
E-mail : contact chez kebir-avocat-paris.fr
Site internet : www.kebir-avocat-paris.fr
LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

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Notes de l'article:

[1Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

[2Article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

[3Article 127 du Code de procédure civile.

[4Article 1530 du Code de procédure civile.

[5Article 1531 du Code de procédure civile.

[6Décr. no 2019-1333, 11 déc. 2019 réformant la procédure civile

[7§3.4.6, Pacte de confiance pour l’hôpital, 4 mars 2013.

[8ibid

[9Article 6 du décret n° 2019-897 du 28 août 2019.

[10Formule empruntée à Jean-Louis Lascoux, à consulter sur : https://www.lascoux.com/ingenierie-relationnelle/

[11Cass AP, 17 novembre 2000, n 99-13.701.

[12T. Corr Paris, 29 mars 2021.

[13Cass. Civ.1ère, 19 juin 2019, n°18-10.380.

[14Article L. 1112-3, §6 du Code de la Santé Publique.

[15Article L.1112-3 §2 du Code de la Santé Publique.

[16Ibid

[17Article R. 1112-92 du Code de la Santé Publique.

[18Article R.1112-94 du Code de la Santé Publique.

[20Agence régionale de Santé d’Ile-de- France, 2012. La médiation en établissement de santé.

[21La lettre des médiations, « Médiations dans le domaine de la santé », n°8, décembre 2019. Consultable sur : https://mediateursante.public.lu/dam-assets/fr/publications/mediationsante/LettreMediations-2019-mediation-sante.pdf

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