L’expertise médicale du dommage corporel.

Par Meryam Sablon, Docteur en médecine.

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Explorer : # expertise médicale # dommage corporel # indemnisation # procédure judiciaire

L’indemnisation du dommage corporel repose d’une part sur un principe général de l’indemnisation en droit civil, la réparation intégrale et d’autre part sur la preuve de l’atteinte de l’intégrité physique qui doit être apportée par les médecins à la demande des juges.

L’expertise médicale est alors un acte technique, procédant à la description des lésions, à l’évaluation médico-légale du dommage corporel, voire du handicap, et permettant de répondre à des questions purement techniques, au-delà des compétences des juges.

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L’expertise médicale peut se dérouler dans un cadre amiable ou être ordonnée par une juridiction.

Dans les deux hypothèses, elle est réalisée par un médecin expert qui évalue au plan médico-légal le dommage subi par une victime.

L’expertise médicale du dommage corporel dans un cadre amiable.

La très grande majorité des expertises médicales se déroule dans un cadre amiable. Un médecin conseil est désigné par une société d’assurance pour réaliser l’expertise.

La conférence de consensus sur l’expertise judiciaire civile de novembre 2007 réunissant des magistrats de la Cour de cassation, des juges du fond et des experts judiciaires, a souligné ce point dans ses recommandations de bonnes pratiques juridictionnelles et a reconnu la spécificité des expertises médicales, précisant que la plupart sont réalisées dans un cadre amiable, voulu par le législateur, l’expertise judiciaire y faisant figure d’exception (loi du 5juillet 1985 sur les accidents de la circulation).

Dans le cadre de la loi Badinter du 5 juillet 1985 sur l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation, c’est le médecin-conseil de l’assureur qui réalise ce que les textes appellent« l’examen médical » (qui est une véritable expertise médicale) et, en cas de dommage peu important, donne un avis médical sur pièces.

La victime dispose toutefois de la possibilité de récuser le médecin conseil désigné par l’assureur pour l’examiner et à l’instar du cadre judiciaire civil ; la victime peut se faire assister au cours de l’expertise par le médecin de son choix.

En pratique, les victimes se rendent souvent seules aux expertises et c’est le médecin conseil de l’assureur qui évalue unilatéralement le dommage corporel subi par la victime.

Sur la base du rapport d’expertise établi par son médecin conseil, l’assureur (ou, le cas échéant, le juge) détermine l’indemnisation des préjudices.

L’expertise médicale du dommage corporel dans un cadre judiciaire civil.

L’expertise est une mesure d’instruction ordonnée d’office par le juge à la demande de l’une ou plusieurs des parties.

L’article 232 du Code de procédure civile dispose : « Le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien ».

Le droit commun de l’expertise confère au juge un rôle déterminant dans la désignation de l’expert.

La loi n° 2004-130 du 11 février 2004 modifiant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques et des experts judiciaires en a repris l’essentiel dans son article 46 : « sous les seules restrictions prévues par la loi ou les règlements, les juges peuvent désigner pour procéder à des constatations, leur fournir une consultation ou réaliser une expertise, une personne figurant sur l’une des listes établies en application de l’article 2. Ils peuvent, le cas échéant, désigner toute autre personne de leur choix ». Cette loi a fait l’objet d’un décret d’application en date du 23 décembre 2004.

L’inscription initiale en qualité d’expert sur la liste dressée par la cour d’appel est faite, dans une rubrique particulière, à titre probatoire pour une durée de deux ans. À l’issue de cette période probatoire et sur présentation d’une nouvelle candidature, l’expert peut être réinscrit pour une durée de cinq ans. À cette fin, sont évaluées l’expérience de l’intéressé et la connaissance qu’il a acquise des principes directeurs du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien. Par la suite, l’expert devra adresser une demande de réinscription tous les cinq ans.

La mission d’expertise médicale est rédigée par la juridiction qui ordonne l’expertise médicale.

Le médecin expert doit s’en tenir aux termes de la mission que le juge lui a confiée. S’il estime que sa mission est incomplète, il doit saisir le juge, lequel pourra éventuellement l’étendre après avoir entendu les parties.

Les parties peuvent aussi prendre l’initiative de demander une extension de mission, soit dans son objet, soit dans la détermination des personnes appelées à y participer.
L’expertise médicale ne peut avoir lieu que si l’expert médical désigné par la juridiction accepte la mission qui lui est proposée et si les parties l’acceptent comme expert.
Dès le prononcé de la décision nommant l’expert, le secrétaire de la juridiction lui en notifie copie par tout moyen.

L’expert doit faire connaître sans délai au juge son acceptation ; il doit commencer les opérations d’expertise dès qu’il est averti que les parties ont consigné la provision mise à leur charge.

Cependant, l’acceptation de sa mission par l’expert ne suffit pas toujours à permettre la réalisation de l’expertise. Il faut encore que l’expert ne soit pas récusé. Il peut l’être pour les mêmes causes que les juges.

La partie qui entend récuser l’expert doit le faire devant le juge qui l’a commis ou devant le juge chargé du contrôle avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation.

Si l’expert s’estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l’a commis ou au juge chargé du contrôle.

Dans le cadre de l’expertise médicale judiciaire de droit commun, l’expert, une fois sa mission accomplie, doit remettre au juge qui l’a désigné un rapport où il donne son avis en répondant aux questions que ce magistrat lui avait posées. Dès lors, il importe de savoir quelle attitude le juge doit adopter à l’égard de ce rapport d’expertise médicale.
Le Code de procédure civile affirme que le juge n’est pas lié par les constatations ou les conclusions de l’expert.

Il appartient donc au juge de rechercher dans les rapports d’expertise tous les éléments de preuve de nature à établir sa conviction sans être tenu de suivre l’expert dans ses conclusions.

Toutefois, face à des avis motivés, donnés par des experts médicaux compétents qu’il a lui-même désignés, la liberté réelle du juge est la plupart du temps illusoire. Un contre avis établi par expertise privée est souvent nécessaire pour obtenir la désignation d’un autre expert.

En conséquence, les parties devront être attentives au cours des opérations d’expertises médicales judiciaires et ne pas hésiter à faire établir un dire motivé par un médecin conseil en cas de désaccord avec les conclusions de l’expert.

Meryam SABLON
Docteur en Médecine
Diplômée de la réparation juridique du dommage corporel
Master II Droit de la santé
Médecin conseil
SELAS COMPENSEO
http://www.compenseo.fr
http://www.medecin-dommage-corporel.expert

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Discussions en cours :

  • Vous dites que la plupart des victimes se rendre sans l’assistance d’un médecin "contre expert" à l’expertise amiable, c’est souvent dû au manque d’information des victimes sur leur droit. Quand au rôle du juge, vous parlez d’une liberté illusoire bien qu’il ait le pouvoir de ne pas suivre aveuglément les conclusions de l’expertise amiable ou judiciaire. C’est humblement mon avis mais je pense que le juge dès lors qu’il peut s’appuyer sur des éléments de preuves tangibles a parfaitement la liberté de déterminer l’étendue du préjudice et surtout le montant de sa réparation ; croire que l’expertise contient toute la vérité et lui donné une importance qu’elle n’a pas, c’est de la naïveté vous le faite d’ailleurs remarquer. La polémique sur la réparation du préjudice corporel et son évaluation par expertise ne date pas d’hier et à été bien mis en évidence lors de l’élaboration de la nomenclature « dintilhac ». La vérité médicale et la vérité judiciaire sont distincte même si elle se rejoigne parfois.

    • par Meryam SABLON , Le 9 septembre 2015 à 11:43

      Effectivement, les victimes ne sont pas suffisamment informées de la possibilité et de l’intérêt d’une assistance par un médecin expert de leur choix.

      L’expertise amiable devrait systématiquement se dérouler dans un cadre contradictoire ; cela permettrait outre une indemnisation juste de tous les préjudices subis, un raccourcissement des délais d’indemnisation, parfois de plusieurs années...

      Je partage votre avis sur la latitude dont dispose le juge ; il faut toutefois que les médecins qui assistent les victimes les aident à apporter toutes les preuves médico-légales permettant une juste reconnaissance des préjudices subis.

    • par SENEGAS , Le 30 octobre 2015 à 17:27

      Bonjour. Lorsque la personne examinée par le médecin expert conteste le rapport (rédigé par ce même expert), comment peut elle saisir le juge chargé du contrôle des expertises médicales ?
      D’avance merci pour votre réponse.

    • par Meryam SABLON , Le 8 novembre 2015 à 18:00

      Pour contester un rapport d’expertise médicale, il convient de s’adresser à un médecin diplômé de la réparation du dommage corporel afin qu’il rédige un rapport critiquant le rapport de l’expert désigné par une société d’assurance ou par une juridiction.

      Bien cordialement

      Meryam SABLON

    • par CHOCAT , Le 29 août 2019 à 08:08

      Vous dites que dans le cas d’une contestation , il faut en référer à un médecin conseil. S’agit-il de celui qui vous a assisté lors de l’expertise et si oui, peut-il rédiger un rapport annexe pour dénoncer certains points mensongers ou irréfutablement faux avant de signer le rapport d’expertise établi par son confrère, puisqu’il est obligatoire que les deux médecins le signent pour que la victime soit indemnisée ? ou faut-il faire appel à un autre médecin de recours ? Merci.

  • par Mouries , Le 21 janvier 2019 à 11:56

    Bonjour madame, monsieur,
    un employé ayant subi un harcèlement moral important et une charge de travail anormal de par une désorganisation de service a été victime d un avc lors d un dep’acements Professionnel alors qu il se rendait à un rdv en voiture.
    l employeur demande la reconnaissance de l accident du travail , l employé demande également la reconnaissance de l accident du travail et le médecin conseil , a lui refusé la recaonnaissance en tant qu accident du travail.
    la victime fait donc appel de cette décision et demande une expertise.
    afin de préparer au mieux son dossier la victime a fourni plusieurs témoignages écrits de ses collègues et ex collègues ayant assisté à la fois au menaces subies par la victime avant son avc et aux différents malaises que la victime avait pu avoir pendant ces moments de harcèlement. Elle joint également un courrier de l employeur qui demande également à ce que la victime soit reconnue en accident du travail.
    elle joint également les dernières études cliniques démontrant l impact du stress sur les victimes d AVC et les liens de causes à effet ainsi que les copies de jugement reconnaissant en jurisprudence l avc comme accident du travail.
    a la vue des éléments, que conseillez vous à la victime en terme de préparation à l expertise ? Et que peut elle faire pour faire reconnaître son avc comme un accident du travail de la faute de l employeur , dites moi ?
    merci

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