Extrait de : Tribunes et points de vue

Exploitation économique de l’enfant en République Démocratique du Congo.

Par Hur Asani Mutentu, Juriste.

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Explorer : # exploitation économique de l'enfant # droits de l'enfant # pauvreté # protection de l'enfance

Notre tribune n’est pas une thèse sur la théorie générale des droits des enfants mais une étude croisée du Droit de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples et celui du tribunal pour enfant dans un contexte très difficile de l’application des articles 50 et 54 de la loi portant protection de l’enfant face à certains devoirs dont celui-ci est soumis.

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Tous les instruments juridiques de portée internationale ont toujours affirmé que toute question relative à l’enfant devait être guidée par la notion de l’intérêt supérieur de ce dernier. L’enfant, on le sait par cœur, est défini par la charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant comme étant un être humain âgé de moins de 18 ans. Les autres textes de portée internationale ou nationale ne s’en sont pas largement écartés même si, il faut le reconnaître, quelques instruments juridiques internationaux ont renvoyé la question au législateur national.

En effet, l’enfant jouit de droits qui lui sont reconnus par les instruments juridiques autant qu’il est soumis à des obligations -devoirs également consacrés dans ces mêmes textes. La lecture d’un initié en légistique, c’est que le couple droits-devoirs s’invite lorsqu’il faut analyser la question de l’enfant, être réputé très fragile et donc qu’il faut protéger. Le plus important c’est de veiller à ce que ne cohabite pas un certain rapport de contradiction entre un droit reconnu et une obligation à laquelle on est soumis.
Cependant, l’application de certaines dispositions appelle à réflexion lorsqu’on sait que dans la pratique ; elle passera difficilement surtout dans le contexte qui nous est cher, celui de la République démocratique du Congo gangrené par une crise des services publics, depuis plusieurs décennies, et qui se conclut en une démission totale de l’État dans sa mission providentielle.
En clair, l’article 50 de la Loi portant protection de l’Enfant a, à son alinéa premier, et pris dans l’esprit de l’article 15.2.a du Protocole de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, fixé à seize ans l’âge en dessous duquel l’enfant ne peut travailler et l’article 54 du même texte n’autorise le maintien en service et l’engagement des enfants âgés de seize ans à moins de dix-huit ans que pour des travaux légers et salubres. Mais quelle est leur étendue, puisque le législateur renvoie à un arrêté ministériel ?

Le constat dans la société congolaise est tel que face à la pauvreté galopante due à la faible production et aux faiblesses de l’économie nationale et cela sans compter le manque d’une politique assez bien tracée du développement, le défaut de prise en charge des [parents] chômeurs et/ou sans emplois et le manque d’encadrement des enfants depuis des années, les familles sans ressources aucunes sont parfois obligées de capituler face à une offre modique ou une solution qui clouerait l’avenir de leurs enfants au sol.
On rencontre de plus en plus d’enfants qui travaillent dans la rue.

Quelle lecture faire en Droit positif congolais et Droit Africain ?

Avant d’aborder la question, il convient de distinguer les deux regimes juridiques prévus dans la loi portant protection de l’enfant suivant que l’enfant est âgé de moins de seize ans révolus ou âgé de moins de seize ans à moins de dix-huit ans.

A. Regard critique dans la loi portant protection de l’enfant.

Règles applicables aux enfants âgés de moins de seize ans révolus.

Notre analyse sera axée autour des articles 50, 51, 52 et 53 de la loi portant protection de l’enfant. En effet, il ressort de la combinaison de ces articles que l’enfant de moins de seize ans est sans conteste juridiquement dans l’incapacité de contracter un quelconque contrat de travail. Et l’interdiction s’étend, à lire les dispositions de l’article 52 du même texte, jusqu’à la conclusion d’un contrat d’apprentissage.

Cependant la lecture croisée de l’article 50, alinea 2ème, et de l’article 6a du Code du travail apporte une dérogation concernant les enfants âgés de quinze ans qui peuvent être engagés mais moyennant une dérogation expresse du juge pour enfants, après avis psycho-médical d’un expert et de l’inspecteur de travail.

La tension économique est telle que de plus en plus des enfants sont engagés au mepris de ce qui est prescrit par la loi. Toujours est-il que l’interêt supérieur de l’enfant demeure affirmé par le législateur lorsqu’il proclame le droit de poursuivre les études jusqu’à la majorité légale, mais parallèlement ces dernier continuent de vendre jusque tard dans la nuit pour gagner de quoi survivre. Ils sont nombreux dans des magasins à exécuter des travaux très lourds et parfois dans des conditions insalubres et ce, sous l’oeil impuissant sinon complice de l’inspection du travail.

B. Quelle est la position du Droit communautaire Africain ?

Le Droit communautaire africain, et très precisément la charte africaine des droits et du bien- être de l’enfant, a aussi abordé la question. Nous alons examiner avec minutie les dispositions de l’article 15 en faisant un recours utile, s’il faut, à des recommandations fournies par les organes de protection et de promotion des droits garantis dans ledit instrument juridique international.

Le principe posé est celui de la protection de l’enfant contre toute forme d’exploitation économique et de l’exercice d’un travail comportant probablement de danger ou qui risque de perturber son éducation ou de compromettre sa santé et même son développement dans tous ses aspects.

Le législateur de la charte a renvoyé, après avoir dégagé un principe, toutes les questions aux Etats parties qui ont une certaine obligation de prendre non seulement les mesures législtaives mais surtout administratives pour assurer l’application absolue de la disposition.

C. Existe-il un rapport de contradiction avec les devoirs d’assistance et de respect ?

L’Etat, nous le savons tous, est tenu de créer des services publics dans ses domaines régaliens afin de répondre aux besoins les plus pressants de ses populations. Cependant la crise des services publics, la démission de l’Etat, les failles de l’interventionisme étatique ont créé des monstres difficiles à contrôler. Il y a bien des cas où l’édiction des normes en République démocratique du Congo essuient l’effet d’une lettre morte parce qu’on donne, comme l’a bien dit une chercheure de renom, des mauvaises réponses à de vraies questions. Une inadequation profonde se constate entre la loi et la réalité. L’Etat expose donc au grand jour ses citoyens à des violations des lois.

La charte tout comme la loi portant protection de l’enfant prescrivent des devoirs ou responsabilités auxquels sont soumis les enfants. Ces devoirs se définissent envers ses parents, sa famille, la société, l’Etat, la communauté internationale ainsi que vis-a-vis de lui-même. Citons les devoirs de respect et d’assistance envers les parents prescrits à l’article 45 ; point 1 de la loi portant protection de l’enfant. Comment un enfant suspendu entre l’obligation de respect dans une société très conservatrice où l’autorité parentale pèse de tout son poids et l’obligation d’assister ses parents en cas de besoin peut-il, n’ayant aucun indice sérieux de protection de la part de l’Etat, se retrouver dans une situation confortable à l’application effective des articles 50 et 54 ?

Dans une observation générale sur l’article 31 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant sur les résponsabilités, le Comité prend position en ces termes : "en établissant un lien entre le contenu de l’article 15 et celui de l’article 31 sur les responsabilités de l’enfant, le Comité estime qu’aucun État partie n’est autorisé à imposer aux enfants l’obligation d’effectuer un travail assimilable à un travail infantile sous prétexte d’une quelconque « responsabilité »".

Conclusion

Nous partons de la même observation formulée en 2017 par le Comité d’experts sur les droits et le bien-être de l’enfant reprise en ces termes : Cependant, le Comité affirme que l’article 31(a) ne donne pas une autorité incontestable aux adultes qui s’occupent des enfants. En d’autres termes, il ne doit pas être interprété comme créant un devoir global d’obéissance qui n’admet pas la moindre contestation des ordres ou des instructions que les enfants reçoivent des adultes.
Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre l’autorité exercée par les adultes sur les enfants et la responsabilité correspondante des enfants d’être respectueux et conscients de cette autorité.
Les droits de l’enfant, y compris la liberté d’expression, la liberté de participation et la liberté de développement, entre autres, ne doivent pas être compromis ou violés par référence au « respect des adultes ».

Juriste CD | Chercheur

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