La deuxième sanction patrimoniale prévue par le droit marocain consiste dans l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire aux dirigeants de l’entreprise en difficulté. À la différence de l’action en comblement du passif qui repose sur la commission d’une faute ayant contribué à l’insuffisance de l’actif, cette sanction se concrétise par la commission de l’un des faits énumérés limitativement par les articles 705 et 706 du Code de commerce. Le déclenchement et l’exercice de cette action ont été confiés au syndic en vertu de l’article 708 du Code de commerce.
Le ministère public, comme dans le cas de l’action en comblement du passif, n’a pas le droit de saisir le tribunal de commerce pour demander l’application de cette sanction patrimoniale. Il devra là aussi se contenter de constater, sans pouvoir agir. Néanmoins, il aura toujours la possibilité de solliciter la saisine d’office par le tribunal de commerce en communicant officieusement au président du tribunal du commerce, ou officiellement au juge-commissaire les faits constitutifs de cette sanction patrimoniale. Il peut également, lorsqu’il intervient en tant partie jointe, jouer un rôle positif en fournissant au tribunal de commerce un avis réfléchi.
Il est à souligner que l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire soulève des difficultés particulières en raison des conditions de sa mise en œuvre et de son exercice. Le syndic auquel le législateur marocain en a confié le déclenchement et l’exercice ne dispose pas des moyens juridiques indispensables pour s’acquitter de cette mission. L’intervention du ministère public à cet égard s’avère inévitable. Nous allons essayer à travers cet article de démontrer que le syndic ne peut pas en pratique mettre en œuvre cette sanction patrimoniale aussi bien dans le cas prévu par l’article 705 du Code de commerce, que dans les cas prévus par l’article 706 du Code de commerce.
I- le cas prévu dans l’article 705 du Code de commerce
La mise en œuvre de l’extension de la procédure suppose dans ce cas que les dirigeants de l’entreprise aient été déjà condamnés au paiement d’une partie du passif dont ils ne se sont pas acquittés. Cela exige alors l’existence d’un jugement exécutoire et le refus des dirigeants d’en exécuter. On se demande : comment le syndic aura-t-il connaissance de ce jugement ? Sinon est ce que le syndic est-il habilité à en assurer l’exécution ? Et quelle est la procédure à suivre pour exécuter un tel jugement ? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’examiner tout d’abord les conditions de fond de la mise en œuvre de cette sanction conformément aux dispositions de l’article 705 du Code de commerce, et d’examiner ensuite le déficit de l’implication du syndic dans le déclenchement de cette action.
A- les conditions de fond de la mise en œuvre de l’action
Les conditions de fond nécessaires pour l’application de la sanction prévue dans l’article 705 du Code de commerce consistent d’abord dans le prononcé d’un jugement ayant force de la chose jugée condamnant les dirigeants de l’entreprise au paiement de tout ou partie du passif social. Il consiste ensuite dans l’établissement de la preuve que les dirigeants de l’entreprise en difficulté ne se sont pas acquittés de leurs dettes.
La procédure de l’exécution des jugements redus par le tribunal de commerce est soumise, en principe, aux règles relatives à l‘exécution des jugements prévues dans le Code de procédure civile. Le refus d’exécuter donne lieu normalement à l’application des voies d’exécution forcée des jugements. Nous pensons que l’article 705 précité déroge à cette règle dans le sens ou le refus d’exécution constitue, dans ce cas, le fondement de l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire aux dirigeants de l’entreprise. Est-ce dire pour autant que le jugement condamnant les dirigeants de l’entreprise au paiement du passif social comporte une option d’exécuter ou de ne pas exécuter ? Il ressort de la lecture de l’article précité que les dirigeants de l’entreprise peuvent refuser de s’acquitter des dettes sociales. Ce qui veut dire que les règles d’exécution forcée, ne sont pas applicables à leur encontre concernant l’obligation du passif social.
Bien que le législateur marocain ait été inspiré du droit français, ce cas d’extension de la procédure n’a pas été inclus parmi les autres cas énumérés par l’article 182 de la loi du 25 janvier 1985. Il constitue ainsi un cas propre à la législation marocaine. Cependant, il n’est pas sans intérêt de constater que ce cas là, en plus qu’il constitue une exception aux règles générales d’exécution des jugements, il crée une double sanction à l’encontre des dirigeants de l’entreprise en difficulté. D’abord, les dirigeants sont condamnés au paiement du passif social, ensuite, s’ils ne s’acquittent pas de leurs dettes, ils doivent être condamnés à l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. La procédure de mise en œuvre de cette sanction paraît ainsi extrêmement compliquée.
La décision de condamnation doit être notifiée à la partie condamnée par l’agent du greffe chargé de l’exécution, c’est-à-dire aux dirigeants de l’entreprise. Ces derniers ont un délai de 10 jours à compter de la date de dépôt de la demande d’exécution pour acquiescer ou manifester leurs intentions. Ensuite, l’agent d’exécution est tenu de dresser un procès-verbal de saisie-exécution ou un exposé des motifs l’en ayant empêché. Nous pensons que la possibilité d’opérer une saisie-exécution sur les biens des dirigeants est exclue, l’agent doit se contenter de mentionner les intentions des dirigeants. Ainsi en cas de refus de paiement, l’agent est supposé, en principe, aviser le syndic, qui doit procéder au déclenchement de l’action en extension de la procédure. Toutefois aucun texte n’exige expressément que l’agent chargé du greffe doive informer le syndic du refus des dirigeants de s’acquitter du jugement. En l’absence de cette information, le syndic sera, donc, dans l’impossibilité d’agir.
En plus, si les dirigeants usent de leurs droits de recours, la mise en œuvre de cette action risque d’être bloquée. Bien que les jugements en matière de sanctions patrimoniales soient exécutoires de plein droit, la décision condamnant les dirigeants de l’entreprise risque d’être infirmée par la Cour d’appel postérieurement au déclenchement de l’action en extension de la procédure.
Nous concluons alors que le syndic, en plus de l’inadéquation de son statut et de ses qualifications professionnelles, ne dispose pas de moyens juridiques pour mettre en œuvre l’action en extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire aux dirigeants de l’entreprise. Il aurait été souhaitable que le législateur marocain ait confié le déclenchement de cette action au ministère public. Ce dernier, par sa présence permanente auprès du tribunal de commerce, les moyens logistiques dont il est doté et la formation juridique de ses membres aurait joué un rôle positif dans la mise en œuvre et l’exercice de cette action.
B- le déficit de l’implication du syndic
Si la demande en comblement du passif peut s’analyser comme une action en responsabilité destinée à réparer un préjudice par une condamnation pécuniaire, la lecture des faits énumérés dans l’article 705 du Code de commerce fait ressortir que cette cause particulière d’ouverture de la procédure s’applique aux dirigeants qui sont condamnés au paiement de tout ou partie du passif de l’entreprise en difficulté. Les dirigeants de l’entreprise sont donc sanctionnés par l’ouverture d’une procédure personnelle qui leur fait supporter outre leur passif personnel, celui de la société. Cette action, constitue, sans doute, une sanction qui tend à punir les dirigeants récalcitrants. Ainsi, en fonction de son caractère sanctionnateur, la mise en mouvement de cette action exclusivement par le syndic nous paraît, là aussi, inadaptée. Ni le statut, ni les qualifications professionnelles du syndic ne le qualifient pour assurer cette mission. La tâche de punir, comme on l’a souligné plus haut, revient à l’état à travers ses représentants. Le ministère public apparaît à cet égard comme l’organe dont le profil correspond parfaitement à la mission de déclencher et d’exercer l’action en extension de la procédure.
En outre, la spécificité de cette sanction telle qu’elle est prévue par l’article 705 précité exige une certaine relation de collaboration entre le syndic et le service de l’exécution des jugements. Or le statut du syndic, lorsqu’il est désigné parmi les experts comptables, ne facilite pas cette collaboration. L’agent chargé de l’exécution n’est pas habilité de communiquer spontanément à un organe ne faisant pas partie de l’autorité judiciaire des informations à propos de la procédure de l’exécution. En l’absence d’un texte juridique explicite en la matière, le syndic ne peut pas exiger de cet agent la communication du sort de la procédure d’exécution. Ce qui suppose une très grande vigilance de la part du syndic qui doit, par ses propres moyens, chercher à connaître toutes les procédures en cours à l’encontre des dirigeants de l’entreprise en difficulté afin de pouvoir agir le temps voulu. Or, en pratique, l’encombrement du syndic par des taches multiples et variées l’empêche de s’acquitter de cette mission.
II- les cas prévus dans l’article 706 du Code de commerce
Le législateur marocain a énuméré dans cet article un certain nombre de faits donnant lieu à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard de dirigeants de l’entreprise en difficulté. L’étude de ces faits révèlera les difficultés du déclenchement et de l’exercice de cette action par le syndic. Ces difficultés tiennent d’abord à la qualification juridique des faits donnant lieu à cette sanction patrimoniale et à la saisine du tribunal (A), elles résultent ensuite de l’absence du ministère public (B). Nous allons découvrir, à travers l’analyse de ce paragraphe, l’inadaptation de la position du syndic par rapport à la mise en œuvre de cette action. Le législateur marocain, en excluant le ministère public du droit de demander l’application des sanctions patrimoniales, à tout simplement minimiser les hypothèses où les dirigeants de l’entreprise en difficulté peuvent en être condamnés.
A- difficultés relatives à la qualification juridique
Pour prononcer l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à l’égard des dirigeants des sociétés commerciales, il faut que ceux-ci commettent l’un des faits énumérés à l’article 706 du Code de commerce. Le tribunal de commerce, comme en matière de comblement de passif, peut être saisi d’office, ou par le syndic conformément aux dispositions de l’article 708 précité. L’application de cette sanction nécessite que les faits perpétrés par le ou les dirigeants tombent sous l’une des qualifications juridiques imposées par la loi. En dehors de la saisine d’office par tribunal, la seule partie habilitée à déclencher cette action demeure le syndic. Or celui-ci devra procéder, comme le feraient les magistrats du ministère public, à un travail de qualification juridique des faits commis par les dirigeants. Cette tache ne correspond pas, il faut le reconnaître, ni à son statut, ni à sa formation. Le recours, par le syndic, à cette procédure d’application de l’extension de la procédure, en pratique, serait alors rarissime. Pour démontrer combien serait difficile pour le syndic de procéder à la qualification juridique des faits avant la saisine du tribunal, nous proposons d’examiner brièvement les différentes qualifications énumérées par l’article 706 susmentionné. Celui-ci a recensé sept hypothèses ou la procédure de redressement ou de liquidation judicaire doit être étendue aux dirigeants de la société commerciale. Ces hypothèses correspondent exactement à celles ayant été énumérés par l’article 182 de la loi du 25 janvier 1985. Elles forment, en quelque sorte, sept qualifications juridiques dont les faits commis par les dirigeants peuvent en constituer une cause de l’extension de la procédure.
Une fois les conditions de la « poursuite » sont réunies, le tribunal, contrairement à ce qui se passe en matière de l’action en comblement du passif, n’a pas le pouvoir souverain de décider la condamnation ou le non-lieu, il à seulement l’obligation de décider l’extension de la procédure aux dirigeants de la société commerciale.
On constate alors que le syndic a été érigé par le législateur marocain en maître de la poursuite, encore une fois, en matière d’application de cette sanction. S’il décide de ne pas en requérir l’application, aucune autre partie ne peut y parvenir, y compris le ministère public ! Nous allons mieux cerner cette réalité en exposant les différentes qualifications.
La première consiste à avoir disposer des biens de la société comme des siens propres. Le syndic qui choisit de saisir le tribunal au chef de cette qualification, doit faire ressortir les éléments juridiques de celle-ci, c’est-à-dire procéder à l’analyse et à l’interprétation des mots cités dans le texte juridique. La demande de l’application de l’extension de la procédure constitue un acte dont les conséquences peuvent être dangereuses non seulement pour le dirigeant, mais aussi pour l’entreprise en difficulté. Si par exemple, le syndic requiert l’application de cette sanction à l’encontre d’un dirigeant d’une entreprise soumise à une procédure de redressement judiciaire, en l’absence des conditions imposées par la loi, il mettra certainement en danger la réputation de ce dirigeant, et par vois de conséquence celle de l’entreprise elle-même. C’est pourquoi, le syndic est tenu de comprendre parfaitement les composantes de chaque qualification juridique avant tout recours au tribunal de commerce. Ainsi, il doit savoir exactement ce que le texte entend dire par « disposer des biens de la société comme des siens propres ».
Cette première qualification juridique se concrétise en fait par la commission de deux actes : D’abord le dirigeant doit disposer des biens meubles ou immeubles composant le patrimoine de la société. Ensuite, le dirigeant doit se comporter en maître ou en propriétaire de la chose alors qu’en réalité il s’agit d’un bien faisant partie du patrimoine de la société. Le texte n’exige pas que l’acte ait été accompli dans l’intérêt du dirigeant, ce qui importe c’est l’irrégularité de l’acte de disposition.
La mise en relief de ces éléments dépasse de loin les fonctions habituelles du syndic en tant qu’expert comptable ou greffier. Cette tache relève des fonctions des praticiens de droit que sont les magistrats et les avocats. On regrette que le législateur marocain ait privé les magistrats du ministère public d’intervenir convenablement en cette matière.
La deuxième hypothèse d’extension de la procédure se réalise lorsque le dirigeant, sous le couvert de la société masquant ses agissements, fait des actes de commerce dans un intérêt personnel. Le syndic doit alors, dans ce cas, rapporter la preuve de l’existence de trois éléments différents. En premier lieu, il doit démontrer que le dirigeant de la société se dissimule derrière la société, c’est-à-dire qu’il l’utilise comme un écran derrière lequel il se cache pour commettre des agissements. Cette condition se matérialise lorsque la société est fictive. En deuxième lieu, il doit établir la preuve que le dirigeant ait accompli des actes de commerces. L’utilisation du pluriel par l’article 706 précité ne permet pas de retenir l’acte isolé, il en faut plusieurs pour établir le mauvais usage que le dirigeant ait fait de son pouvoir pour justifier l’application d’une mesure aussi grave que l’extension de la procédure. En fin, le syndic est tenu d’établir l’intérêt personnel du dirigeant poursuivi, cet intérêt peut être direct ou indirect par l’intermédiaire d’une personne morale.
Nous constatons là aussi la complexité de la tache à laquelle le syndic doit apporter sa diligence et son savoir juridique, et nous pensons que la situation actuelle du syndic est loin d’être adaptée à ce genre de mission.
La troisième hypothèse se matérialise lorsque le dirigeant fait des biens ou du crédit de la société un usage contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement. La première observation à formuler à propos de cette qualification juridique est qu’elle ressemble au délit d’abus de biens sociaux tel qu’il est réglementé par le droit des sociétés. En effet, selon l’article 384 de la loi 17-95 relative aux sociétés anonymes, les administrateurs encourent une peine d’emprisonnement d’un à six mois et d’une amende de 100 000 à 1000000 de dirhams ou l’une de ces deux peines lorsqu’ils auront fait, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’il savaient contraire aux intérêts économiques de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement.
La seule distinction entre les deux qualifications juridiques consiste dans l’existence ou non de la mauvaise foi. En fait celle-ci marque la frontière entre la poursuite pénale et la poursuite civile. On ne voit pas alors comment le syndic, expert comptable ou greffier, pourra réussir à mettre en relief les éléments d’une infraction aussi complexe que le délit de biens sociaux. Habituellement la découverte des faits constitutifs de ce délit se fait à travers les enquêtes diligentées par les services de la police judiciaire sous la supervision du procureur du Roi. Le fait donc d’attribuer au syndic la mission d’établir la preuve de la commission par les dirigeants de sociétés commerciales d’un abus de bien sociaux relève de l’irraisonnable, voire de l’irréel.
Cette hypothèse vise en fait le dirigeant qui, sans être en mauvaise foi, abuse du crédit de la société en utilisant sa capacité financière, son renon ou ses moyens à des fins personnelles. On peut citer à titre d’exemple la caution ou l’aval donnés par la société commerciale pour garantir les engagements du dirigeant, ou de ses proches envers les tiers, ou encore les administrateurs qui font acquitter au moyen de fonds sociaux le montant des honoraires dus aux conseils dans une action intentée contre eux par le ministère public, alors que les poursuites exercées sont dirigées non pas à l’encontre de la société, mais contre les administrateurs de cette société.
La quatrième qualification est constituée lorsque le dirigeant poursuit abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la société. Elle a pour objectif, tout d’abord, de sanctionner la faute du dirigeant voulant maintenir abusivement la vie sociale dans un intérêt personnel, et, ensuite, elle incite les dirigeant à déclarer la cessation des paiements au tribunal pendant le délai légal, et avant qu’il en soit trop tard.
Pour demander l’application de l’extension de la procédure au dirigeant de la société commerciale, le syndic devrait établir la preuve de l’existence de trois éléments. Si l’établissement du premier et du deuxième élément consistant dans le caractère déficitaire des résultats, et la poursuite de l’exploitation déficitaire entraînant la cessation des paiements, sont à la portée du syndic particulièrement lorsqu’il est expert comptable, l’établissement du troisième élément consistant à démontrer l’intérêt personnel du dirigeant peut s’avérer difficile. Cet élément ne peut être établi qu’à la suite d’une enquête judiciaire diligentée par le ministère public. Celle-ci devrait mettre la lumière sur le but de la poursuite de l’exploitation déficitaire. Est-ce le but est de servir un intérêt personnel du dirigeant ou bien un intérêt de la société ? Dans le premier cas, le dirigeant doit être poursuivi pour une extension de la procédure, alors que dans le second cas l’entreprise est soumise seulement à la procédure de redressement judiciaire.
La cinquième qualification juridique retenue par l’article 706 précité survienne lorsque le dirigeant de la société tient une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables ou s’abstient de tenir toute comptabilité conforme aux règles légales. Il est vrai que cette qualification correspond parfaitement au profil du syndic lorsqu’il est désigné parmi les experts comptables. Celui-ci est le mieux placé pour déterminer le caractère fictif de la comptabilité, son absence ou la disparition de certains documents. Toutefois cette qualification s’interfère avec le délit de banqueroute dont les faits constitutifs sont carrément identiques. Aucune ligne de démarcation n’existe entre les deux qualifications, civile et pénale, dans la mesure où la mauvaise foi n’est pas exigée comme condition de la poursuite pénale.
Le syndic se trouvera alors en face de faits qui constituent à la fois un délit pénal et un cas d’extension de la procédure. Que devrait-il faire alors ? En principe, le syndic devrait dénoncer, en tant qu’organe de la procédure, les faits incriminés au ministère public près le tribunal de première instance, et discuter avec lui l’éventualité d’une poursuite pénale, car en raison du principe, selon lequel le pénal tient le civil en l’état, la poursuite pénale du ministère public mettrait en veilleuse l’action du syndic. Toutefois, en pratique, il est inenvisageable que le syndic, en l’absence de texte juridique imposant une obligation d’information à sa charge, dénonce les fais délictueux au ministère public. Il est également quasiment impossible, en raison de l’absence de texte juridique, que le ministère public puisse discuter avec le syndic l’éventualité d’une poursuite pénale. Il aurait été alors préférable d’impliquer le ministère public près le tribunal de commerce dans l’exercice de l’action en extension de la procédure. La communication du procureur du Roi à procureur du Roi serait plus constructive et plus facile.
La sixième hypothèse de l’extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire se matérialise lorsque le dirigeant de la société commerciale détourne ou dissimule une partie de l’actif ou frauduleusement augmente le passif de la société. Les faits de cette qualification juridique constituent deux cas de la commission du délit de banqueroute. Tout d’abord le fait de détourner ou de dissimuler une partie de l’actif. Ensuite, le fait d’avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur. On rencontre là aussi les mêmes problèmes que nous avons soulevés à propos de la précédente qualification. Toutefois, l’actuelle qualification implique d’autres difficultés pour le syndic. Il s’agit en l’occurrence de l’utilisation de certaines expressions entièrement pénalistes comme « détourner ou dissimuler » et « détourner frauduleusement ». Cette terminologie relève certainement du droit pénal, et seuls les magistrats du ministère public rodés aux poursuites pénales peuvent en déterminer le sens et la portée. Attribuer au syndic le pouvoir de déterminer les éléments de cette qualification relève, là aussi, de l’irraisonnable.
La dernière qualification juridique se concrétise lorsque le dirigeant tienne une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière. En raison de l’importance de la comptabilité de l’entreprise, le législateur marocain a sanctionné, non seulement son absence, mais aussi le fait de tenir une comptabilité incomplète ou irrégulière. Le syndic, lorsqu’il est expert comptable, est tout à fait habilité à établir les éléments de l’irrégularité ou de la défectuosité de la comptabilité. Cependant, le syndic aura des difficultés quant à la procédure de saisine du tribunal. Sa requête devra établir, de manière articulée, la preuve de l’existence des faits. En tant que demandeur à l’instance, le syndic doit répondre aux défenses du dirigeant poursuivi, et convaincre le tribunal de la sincérité de sa demande. Or cette tache est loin d’être celle que le syndic, en l’état actuelle des choses, peut accomplir.
B- l’absence du ministère public
Nous avons relevé, lors de l’étude des cas prévus à l’article 706 du Code de commerce, que la plupart des faits constituent des infractions pénales, et que l’établissement de ces fait nécessitent l’ouverture d’une enquête judiciaire dont seul le parquet en est le maître. Cette situation est due au fait que le législateur marocain s’est inspiré largement de la législation française en vertu de laquelle le ministère public joue un rôle très important en matière d’extension de la procédure de redressement ou de liquidation aux dirigeants de la société commerciale.
Le fait pour le législateur marocain d’attribuer au syndic les attributions, qui devraient être celles du ministère public, a crée des anomalies quant à la compréhension et à l’application des dispositions de l’article 706 précité.
En France, le ministère public qui participe aux procédures collectives est celui du tribunal de grande instance. Il est compétent aussi bien en matière civile, qu’en matière pénale. C’est la raison pour laquelle le ministère public constitue une source d’information essentielle pour le tribunal de commerce. Il peut posséder, à travers les enquêtes préliminaires et de flagrances effectuées en matière pénale, des informations précieuses sur la conduite des dirigeants d’entreprises soumises aux procédures collectives, et peut, selon les conditions particulières de chaque espèce, choisir la poursuite pénale, ou opter simplement pour l’application d’une sanction patrimoniale ou personnelle. Cela explique pourquoi certains faits sont passibles au mêmes temps de qualifications, pénale et civile.
Au Maroc, le législateur a écarté le ministère public près le tribunal de commerce de l’ouverture et de l’exercice de l’action en extension de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Le ministère public ne serait alors informé des faits commis par les dirigeant que lorsque le tribunal se saisirait d’office ou par le syndic. Dans cette hypothèse, le ministère public interviendrait simplement en tant que partie jointe, et n’aurait pas le droit de formuler des demandes nouvelles lors de l’audience, il devrait ainsi se contenter de fournir son avis.
Le ministère public près le tribunal de première instance n’est pas, lui aussi, impliqué dans cette action d’extension de la procédure, dès lors où le syndic n’est pas obligé de lui communiquer les faits constitutifs de délits pénaux. Cette situation bloque toute intervention du ministère public, et par voie de conséquence limite considérablement la poursuite des dirigeants de l’entreprise que se soient sur le plan des sanctions patrimoniales, ou sur le plan de sanctions pénales.
Mustapha El Baaj
Docteur en droit