La sécurité est un droit fondamental, reconnu par le législateur français comme une condition essentielle à l’exercice des libertés individuelles et collectives [1]. Cette disposition législative établit non seulement l’obligation pour l’État d’assurer la sécurité, mais mentionne aussi sa dimension plurielle, impliquant des acteurs publics et privés dans une démarche globale. En précisant que « l’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République, à la défense des institutions et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens », cet article reflète une vision de la sécurité à la fois universelle et contextuelle.
Cependant, au-delà de cette reconnaissance législative, la sécurité, en tant que droit fondamental, ne bénéficie pas toujours d’une consécration explicite dans le texte constitutionnel. Il n’apparaît dans le bloc de constitutionalité que de manière implicite au travers de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789 qui évoque la "conservation des droits naturels" parmi lesquels la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Toutefois, contrairement à ces droits classiques dont la fondamentalisation n’a guère suscité véritablement de débats l’érection du droit à la sécurité au statut de droit fondamental bénéficiant d’une garantie constitutionnelle autonome, demeure très vigoureusement contestée, bien qu’il constitue le socle même de l’exercice des autres droits.
Cette absence soulève des interrogations majeures, particulièrement dans le cadre des défis contemporains tels que le terrorisme transnational, les cybermenaces ou les crises climatiques, qui appellent à une approche renouvelée des politiques de sécurité.
Les enjeux juridiques de la fondamentalisation du droit à la sécurité sont immenses faisant de ce concept une question centrale en droit constitutionnel. Pour en avoir une claire compréhension, il sied de s’interroger sur ce que recouvre le concept de fondamentalisation.
La fondamentalisation d’un droit désigne le processus par lequel ce droit acquiert une protection juridique supérieure au sein d’un ordre juridique donné, lui conférant un caractère universel, imprescriptible et opposable à l’État et aux tiers.
Les critères de la fondamentalisation d’un droit : d’un point de vue méthodologique, la fondamentalisation d’un droit repose sur plusieurs critères essentiels :
- Une reconnaissance explicite ou implicite dans des textes normatifs de valeur supérieure, tels que les constitutions ou les instruments internationaux à vocation universelle. Hans Kelsen définit cette reconnaissance comme l’attribution d’une valeur normative supérieure, permettant à un droit de devenir un élément structurant de l’ordre juridique. Alec Stone Sweet, dans son analyse des constitutions européennes, souligne que cette reconnaissance permet également une plus grande effectivité du droit par l’intervention des juges.
- Une consistance jurisprudentielle, qui assure à ce droit une application cohérente et une opposabilité pratique. Par exemple, le Conseil constitutionnel en France, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ou encore la Cour suprême des États-Unis ont progressivement renforcé le rôle des droits implicites à travers leurs jurisprudences.
- Une justification universelle, c’est-à-dire que ce droit répond à des besoins fondamentaux de toute société démocratique. Jürgen Habermas explique que la légitimité d’un droit fondamental repose sur sa capacité à structurer un ordre démocratique juste, en garantissant un équilibre entre les libertés individuelles et les impératifs collectifs.
- Une capacité d’articulation avec les autres droits fondamentaux, évitant toute logique de primauté absolue susceptible de déséquilibrer l’ordre juridique. Ronald Dworkin insiste sur l’interdépendance des droits, en affirmant que leur coexistence harmonieuse est indispensable à la survie de l’État de droit.
Ces critères permettent d’éclairer les conditions nécessaires pour qu’un droit devienne fondamental et justifient, à cet égard, une réflexion renouvelée sur le statut juridique du droit à la sécurité. Ce droit répond-il déjà à ces critères dans les faits, bien que son statut explicite reste absent ? Et, si tel est le cas, pourquoi et comment justifier juridiquement sa consécration explicite ?
La fondamentalisation du droit à la sécurité est-elle une nécessité juridique ? De quoi la fondamentalisation du droit à la sécurité est-elle le nom et comment peut-elle être mise en œuvre sans risquer de compromettre les principes démocratiques et les droits fondamentaux ?
Pour répondre à ces interrogations, nous démontrerons d’abord en quoi le droit à la sécurité, bien que non consacré expressément, répond déjà dans sa substance aux exigences d’un droit fondamental (I). Ensuite, nous examinerons les enjeux juridiques et démocratiques d’une reconnaissance explicite de ce droit, en montrant qu’une telle démarche est non seulement possible, mais nécessaire pour préserver l’équilibre entre sécurité et libertés (II).
Mais avant, il convient d’identifier clairement l’apport juridique et scientifique de cette analyse.
Le présent article apporte, d’un point de vue juridique, des contributions scientifiquement originales à plusieurs égards :
- Une analyse dynamique et contemporaine de la sécurité : contrairement à une lecture classique et statique de la sûreté ou du droit à la vie, cet article montre que la sécurité doit aujourd’hui être envisagée dans une perspective dynamique et transversale. Elle ne se limite plus à protéger les individus contre des atteintes ponctuelles, mais englobe la création d’un environnement collectif stable permettant l’exercice effectif des droits fondamentaux. En cela, elle répond aux défis spécifiques du XXIᵉ siècle, notamment : la prévention des cyberattaques, qui menacent non seulement la vie privée, mais aussi la stabilité des institutions démocratiques ; La lutte contre le terrorisme transnational, qui nécessite des dispositifs globaux de sécurité publique ainsi que la gestion des crises sanitaires et climatiques, qui posent des défis de sécurité collective inédits.
- Une démonstration de la nécessité juridique de la consécration du droit à la sécurité : cet article établit que, bien que partiellement protégé de manière implicite, le droit à la sécurité ne dispose pas encore d’un cadre juridique clair et autonome en France. Il propose une réflexion originale sur les raisons pour lesquelles cette consécration explicite s’impose : d’une part, clarifier juridiquement les obligations positives de l’État, qui doit protéger ses citoyens contre des menaces globales et systémiques et d’autre part, renforcer le contrôle juridictionnel des politiques sécuritaires, en inscrivant le droit à la sécurité dans le cadre du bloc de constitutionnalité, garantissant ainsi son respect des principes de nécessité et de proportionnalité.
Une approche juridique critique et nuancée évitant l’écueil d’un discours excessivement sécuritaire : cet article se distingue par son approche équilibrée, qui ne prône pas une primauté absolue de la sécurité sur les autres droits, mais une articulation harmonieuse entre sécurité et liberté. Contrairement à certaines critiques doctrinales qui associent sécurité et autoritarisme, il démontre que la fondamentalisation du droit à la sécurité peut au contraire servir de rempart contre les excès sécuritaires, en renforçant les garanties constitutionnelles.
I. Le droit à la sécurité : un droit fondamental implicite dans l’ordre juridique français
La reconnaissance du droit à la sécurité comme droit fondamental repose sur une analyse rigoureuse des textes constitutionnels, des normes internationales et de la jurisprudence. Bien qu’il ne bénéficie pas d’une consécration explicite dans le droit français, sa nature de droit fondamental peut être déduite de son rôle essentiel dans la garantie de la jouissance des autres libertés et de son intégration implicite dans l’architecture juridique française.
A. La sécurité dans les fondements textuels : une reconnaissance implicite mais significative.
La sécurité, en tant que valeur cardinale, puise ses fondements dans les textes constitutifs de la République française. Bien que jamais affirmée de manière explicite dans le cadre constitutionnel, son importance se révèle par une reconnaissance implicite mais néanmoins essentielle. Cette consécration se déploie à travers les principes universels consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que dans les apports enrichissants du Préambule de 1946 et des autres composantes du bloc de constitutionnalité, lesquels prolongent et approfondissent son interprétation.
1. La sécurité dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
L’article 2 de la DDHC énonce que « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme », parmi lesquels figurent « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». Si la "sûreté" est explicitement mentionnée, son interprétation historique et juridique tend à englober des garanties procédurales liées à la protection contre l’arbitraire étatique, sans pour autant exclure des dimensions plus larges de la sécurité individuelle et collective.
Cependant, une lecture contemporaine de cet article, intégrant les mutations sociétales et les défis sécuritaires modernes, permet d’élargir le champ de la sûreté à la sécurité. En effet, comme le souligne Jacques Chevallier, « la sûreté individuelle devient vide de sens en l’absence d’un environnement sécurisé garantissant les droits fondamentaux ». Ainsi, la sécurité, bien que non explicitement nommée, est sous-jacente à l’ensemble de la philosophie de la DDHC.
2. Les prolongements du Préambule de 1946 et du bloc de constitutionnalité.
Le Préambule de 1946 introduit dans le droit français des droits économiques et sociaux, dont le droit à la protection sociale et à la santé, qui s’inscrivent dans une conception élargie de la sécurité. Ces dispositions, reprises dans le bloc de constitutionnalité, traduisent une obligation pour l’État de protéger non seulement les libertés, mais aussi les conditions matérielles et immatérielles nécessaires à leur exercice effectif.
Ainsi, l’interprétation combinée de la DDHC et du Préambule de 1946 conduit à reconnaître que la sécurité, bien que non explicitement consacrée, constitue une composante fondamentale du pacte social républicain.
B. La sécurité dans la jurisprudence française et internationale : vers une protection fondamentale.
La sécurité, en tant que droit essentiel, a progressivement gagné en reconnaissance au fil des évolutions jurisprudentielles, tant sur le plan national qu’international. En France, le Conseil constitutionnel a développé une interprétation dynamique de cette notion, affirmant son rôle central dans la garantie des droits fondamentaux. Parallèlement, la Cour européenne des droits de l’homme a enrichi cette perspective en lui conférant une dimension supranationale, fondée sur une lecture protectrice de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces deux approches, complémentaires, ont contribué à faire de la sécurité une composante incontournable des droits protégés.
1. L’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel, bien que n’ayant jamais consacré formellement le droit à la sécurité, a progressivement reconnu son rôle central. Dans la décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 (Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité), il a affirmé que la sécurité publique constitue une « condition essentielle de l’exercice des libertés » et l’a rattachée à nouvelle catégorie de droits appelés « objectifs de valeur constitutionnelle ». Cette formulation, même prudente, traduit une reconnaissance implicite de la sécurité comme un préalable nécessaire à la garantie des droits fondamentaux.
Par ailleurs, le Conseil a intégré dans sa jurisprudence le principe de nécessité et de proportionnalité des atteintes aux libertés dans le cadre des politiques sécuritaires [2], ce qui témoigne de la centralité de la sécurité dans la conception constitutionnelle française.
2. L’apport de la Cour européenne des droits de l’homme.
Sur le plan international, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a joué un rôle clé dans l’élargissement de la notion de sécurité en tant que droit fondamental. L’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre le droit à la sûreté, interprété par la Cour comme englobant une obligation positive pour les États de protéger les citoyens contre des atteintes graves, y compris celles provenant d’acteurs non étatiques [3].
De plus, la CEDH a affirmé que les États peuvent restreindre certains droits dans le but de garantir la sécurité publique, à condition que ces restrictions soient nécessaires, proportionnées et prévues par la loi [4]. Cette approche démontre que la sécurité est non seulement un droit fondamental autonome, mais également une condition sine qua non de l’équilibre entre les droits individuels et les impératifs collectifs.
L’analyse des fondements textuels et jurisprudentiels révèle ainsi que, bien que le droit à la sécurité ne bénéficie pas d’une consécration explicite en droit français, il répond déjà aux critères de fondamentalisation. Il est implicite dans les textes fondateurs, reconnu dans la jurisprudence et intégré dans le cadre des obligations internationales de la France.
Cette reconnaissance, bien que partielle, appelle une consécration explicite pour en clarifier le statut et en garantir la protection juridique renforcée. Cette consécration, loin de constituer une simple formalité, répond à une double exigence de cohérence juridique et de modernisation démocratique face aux défis contemporains.
II. La consécration explicite du droit à la sécurité : une nécessité juridique et démocratique.
La reconnaissance explicite du droit à la sécurité comme droit fondamental dépasse une simple formalisation. Elle constitue une réponse essentielle aux enjeux de cohérence juridique et de protection des libertés dans une société confrontée à des défis sécuritaires sans précédent. Cependant, cette consécration soulève des interrogations quant à son opportunité et aux risques potentiels qu’elle pourrait engendrer. La rigueur scientifique impose ici d’examiner deux aspects cruciaux : les fondements juridiques et démocratiques de cette reconnaissance (A) et les mécanismes nécessaires pour encadrer le droit à la sécurité afin d’éviter toute dérive sécuritaire (B).
A. Les fondements juridiques et démocratiques de la consécration.
La consécration de principes fondamentaux repose sur des bases juridiques et démocratiques solides, indispensables à la construction d’un cadre normatif cohérent et adapté aux enjeux contemporains. D’une part, une clarification des fondements juridiques s’impose pour garantir une meilleure cohérence du droit, en harmonisant les textes constitutionnels et les interprétations jurisprudentielles. D’autre part, cette consécration répond aux exigences des démocraties modernes, en renforçant les garanties des droits fondamentaux et en affirmant la légitimité des institutions face aux défis sociétaux et politiques actuels.
1. Une clarification nécessaire pour garantir la cohérence juridique.
L’absence de reconnaissance explicite du droit à la sécurité dans l’ordre juridique français génère une incohérence, en particulier dans un contexte où ce droit est implicitement protégé par des normes internationales et par la jurisprudence.
La Convention européenne des droits de l’homme consacre indirectement la sécurité à travers son article 5 (droit à la sûreté et à la liberté) et son article 2 (droit à la vie). La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a renforcé cette protection dans des arrêts clés, notamment Osman c. Royaume-Uni (1998), en affirmant que les États ont une obligation positive de protéger les individus contre des menaces connues ou prévisibles. Cette obligation, interprétée comme une composante du droit à la vie, impose aux États des actions préventives face aux risques pour la sécurité publique.
En France, le Conseil constitutionnel reconnaît indirectement la sécurité comme une condition essentielle de l’exercice des libertés [5]. Cependant, cette reconnaissance reste insuffisante pour en faire un droit opposable. Comme le souligne Dominique Rousseau, une telle incertitude affaiblit la lisibilité et l’autorité des normes constitutionnelles. La consécration explicite clarifierait ainsi le statut du droit à la sécurité, renforçant la hiérarchie normative tout en alignant la France sur les standards européens et internationaux.
2. Une consécration pour répondre aux exigences démocratiques modernes.
La fondamentalisation du droit à la sécurité répond également à une attente démocratique forte. La doctrine américaine a montré, avec des auteurs comme Ronald Dworkin, que les droits fondamentaux ne doivent pas seulement être proclamés, mais aussi justifiés dans leur rôle de garantir la coexistence harmonieuse des citoyens dans une société libre et égalitaire.
De manière similaire, Jürgen Habermas insiste sur la nécessité de protéger juridiquement les conditions structurelles de la démocratie. La sécurité, en tant que garantie de la stabilité sociale et politique, participe de ces conditions. En inscrivant explicitement ce droit dans la Constitution, l’État français réaffirmerait son engagement envers une démocratie résiliente et respectueuse des droits fondamentaux.
B. Les mécanismes d’encadrement nécessaires pour prévenir les dérives sécuritaires.
Afin d’éviter toute dérive sécuritaire susceptible de compromettre les libertés fondamentales, il est essentiel de mettre en place des mécanismes d’encadrement efficaces. La proportionnalité, tout d’abord, constitue une garantie fondamentale contre l’hypertrophie des mesures sécuritaires, en veillant à ce que celles-ci soient strictement nécessaires et adaptées aux finalités poursuivies. Par ailleurs, un contrôle juridictionnel renforcé s’impose comme un rempart démocratique, permettant de s’assurer que les décisions prises dans le cadre de la sécurité respectent pleinement l’État de droit et les principes constitutionnels. Ces deux mécanismes combinés permettent d’instaurer un équilibre entre les impératifs de sécurité et la préservation des droits fondamentaux.
1. La proportionnalité comme garantie contre l’hypertrophie sécuritaire.
Une crainte récurrente liée à la consécration du droit à la sécurité est qu’elle ouvre la voie à une dérive sécuritaire. Cette crainte, bien qu’elle puisse être légitime, résulte souvent d’une confusion entre sécurité et contrôle autoritaire. Comme le souligne Olivier Beaud, la sécurité ne doit pas être confondue avec une simple logique de surveillance ; elle est avant tout un instrument au service de la liberté.
Pour prévenir tout excès, il est impératif d’inscrire explicitement le principe de proportionnalité comme corollaire du droit à la sécurité. Ce principe, largement développé par la CEDH dans des affaires comme Handyside c. Royaume-Uni (1976) ou S.A.S. c. France (2014), impose un équilibre entre les impératifs de sécurité et le respect des droits fondamentaux. La jurisprudence du Conseil constitutionnel s’est déjà approprié ce principe dans le contrôle des lois sécuritaires, comme en témoigne la décision n° 2015-527 QPC sur l’état d’urgence. La consécration constitutionnelle du droit à la sécurité renforcerait cette exigence d’équilibre.
2. Un contrôle juridictionnel renforcé comme rempart démocratique.
Reconnaître la sécurité comme un droit fondamental permettrait de soumettre les politiques sécuritaires à un contrôle juridictionnel renforcé. En l’absence de consécration explicite, ces politiques reposent souvent sur des législations ordinaires qui échappent à une évaluation approfondie de leur compatibilité avec les droits fondamentaux.
La doctrine anglo-saxonne, notamment avec Alec Stone Sweet, montre que l’élévation d’un droit au rang constitutionnel garantit son contrôle rigoureux par le juge. En France, une telle reconnaissance donnerait au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État un levier supplémentaire pour encadrer les dispositifs sécuritaires, tels que la surveillance numérique ou les mesures exceptionnelles.
En outre, le modèle allemand offre un exemple inspirant. La Loi fondamentale allemande consacre explicitement la "dignité humaine" (article 1er) et les "droits fondamentaux" (articles 2 à 19), y compris des garanties implicites de sécurité. La Cour constitutionnelle allemande a démontré dans l’arrêt Luftsicherheitsgesetz (2006) que la sécurité peut être encadrée juridiquement pour prévenir tout excès contraire à la dignité humaine. Ce modèle pourrait être transposé en France, renforçant ainsi l’autorité des juges dans la protection des droits et libertés.
Ainsi, la consécration explicite du droit à la sécurité est une réponse à la fois juridique et démocratique aux défis contemporains. Elle clarifie le statut de ce droit fondamental, renforce la cohérence de l’ordre juridique et garantit un contrôle juridictionnel renforcé des politiques sécuritaires. Loin d’encourager un État sécuritaire, cette démarche permettrait de consolider les principes démocratiques en inscrivant la sécurité dans un cadre normatif respectueux des droits et libertés.
La mise en œuvre de cette reconnaissance exige toutefois une vigilance particulière, notamment à travers le respect des principes de proportionnalité et de nécessité. Ces garanties, inscrites dans la tradition constitutionnelle française et européenne, permettent de concilier efficacement la sécurité et les libertés dans une société démocratique.
En définitive, la consécration explicite du droit à la sécurité comme droit fondamental soulève des interrogations légitimes, notamment chez ceux qui estiment que ce droit est déjà implicitement protégé à travers d’autres droits, ou qui redoutent qu’une telle reconnaissance puisse engendrer des déséquilibres dans l’ordre juridique. Ces objections, bien qu’importantes, méritent d’être examinées à la lumière des réalités juridiques et des défis contemporains - terrorisme, cybermenaces, crises sanitaires - qui imposent une adaptation des outils juridiques.
Premièrement, l’idée que le droit à la sécurité est suffisamment protégé par d’autres droits fondamentaux, tels que le droit à la sûreté ou le droit à la vie, repose sur une confusion conceptuelle. La sûreté, telle qu’elle est envisagée par l’article 66 de la Constitution et par la jurisprudence, est avant tout une garantie procédurale contre l’arbitraire étatique, tandis que le droit à la vie, bien que central, ne suffit pas à couvrir toutes les dimensions préventives et structurelles de la sécurité. La sécurité, dans sa définition contemporaine, englobe non seulement la protection individuelle mais aussi la création d’un environnement collectif permettant l’exercice effectif des libertés. Cette fonction transversale justifie sa reconnaissance explicite, afin de lever les ambiguïtés et d’assurer une protection juridique cohérente et robuste.
Deuxièmement, l’idée que la consécration de ce droit serait perturbatrice repose souvent sur une perception erronée de la hiérarchie des droits. En réalité, inscrire le droit à la sécurité dans le bloc de constitutionnalité ne bouleverserait pas les équilibres existants, mais renforcerait les mécanismes de contrôle des politiques sécuritaires. En élevant ce droit au rang de norme fondamentale, on soumettrait son application aux principes de nécessité et de proportionnalité, garantis par le Conseil constitutionnel et les juridictions administratives et judiciaires. Cette intégration explicite offrirait ainsi une boussole normative pour articuler harmonieusement sécurité et liberté, évitant les dérives sécuritaires que certains craignent.
Enfin, l’argument selon lequel cette consécration pourrait être dangereuse doit être relativisé à l’aune des expériences internationales. Des États comme l’Allemagne, où la sécurité est implicitement reconnue dans la Loi fondamentale, ou encore la jurisprudence développée par la Cour européenne des droits de l’homme, montrent que la reconnaissance du droit à la sécurité ne conduit pas nécessairement à un affaiblissement des libertés. Au contraire, elle fournit un cadre juridique clair et contraignant, limitant les excès possibles tout en répondant aux attentes légitimes des citoyens.
Ainsi, loin d’être inutile, perturbatrice ou dangereuse, la consécration du droit à la sécurité comme droit fondamental répond à une exigence juridique et démocratique. Elle permettrait d’inscrire ce droit dans une logique de progrès, où la sécurité devient un outil au service de la dignité humaine et de la liberté, et non une fin en soi. En affirmant explicitement son rôle dans l’ordre juridique, l’État français renforcerait non seulement sa cohérence normative, mais aussi la confiance des citoyens dans sa capacité à garantir leurs droits dans un cadre démocratique.
Cette réflexion ouvre toutefois la voie à des questions complémentaires : comment formaliser cette consécration dans le cadre constitutionnel français sans perturber les équilibres établis ? Quels mécanismes concrets devraient être mis en place pour s’assurer que ce droit ne soit jamais instrumentalisé au détriment des libertés ? Ces interrogations, loin de remettre en cause la nécessité de cette reconnaissance, invitent au contraire à poursuivre la réflexion avec rigueur et lucidité, afin de faire de la sécurité un pilier pleinement assumé de l’État de droit.
Bibliographie Sources primaires.
Constitution française de 1958
Préambule de 1946.
Articles 1, 34 et 66.
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789
Article 2, sur la conservation des droits naturels.
Décisions du Conseil constitutionnel français
Décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité publique.
Décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018, Détention provisoire prolongée.
Décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015, Loi relative à l’état d’urgence.
Instruments internationaux
Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), articles 2 et 5.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 9.
Jurisprudence internationale
Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, req. n° 87/1997/871/1083.
Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, req. n° 5493/72.
Cour européenne des droits de l’homme, arrêt S.A.S. c. France, 1er juillet 2014, req. n° 43835/11.
Cour constitutionnelle allemande, arrêt Luftsicherheitsgesetz, 15 février 2006, 1 BvR 357/05.
Sources secondaires Ouvrages français.
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Chevallier, Jacques. L’État de droit. Paris : Montchrestien, 5ᵉ éd., 2021
Delmas-Marty, Mireille. Le pluralisme ordonné. Paris : Seuil, 2006
Rousseau, Dominique. Droit du contentieux constitutionnel. Paris : LGDJ, 11ᵉ éd., 2020
Vedel, Georges. Droit constitutionnel. Paris : PUF, 1983
Dworkin, Ronald. Taking Rights Seriously. Cambridge : Harvard University Press, 1977
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Stone Sweet, Alec. Governing with Judges : Constitutional Politics in Europe. Oxford : Oxford University Press, 2000
Renucci, Jean-François. Droit européen des droits de l’homme. Paris : LGDJ, 2021
Grewe, Christophe et Jacqué, Jean-Paul. Les droits de l’homme en Europe : Textes et commentaires. Strasbourg : Éditions du Conseil de l’Europe, 2005
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