C’est sur le fondement juridique du trouble anormal de voisinage et des conclusions issues d’un rapport d’expertise judiciaire contradictoire que le Tribunal judiciaire de Saint-Gaudens a condamné solidairement l’installateur et la propriétaire à déplacer la pompe à chaleur et à verser notamment aux victimes 5 000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral.
Le juge a ordonné, par ailleurs, le déplacement de l’unité extérieure de la pompe à chaleur sur la façade ouest de l’habitation et l’installation d’un caisson acoustique, tout en refusant d’imposer un contrôle acoustique après travaux.
Ce jugement illustre l’application de la théorie des troubles anormaux du voisinage dans le contexte spécifique des pompes à chaleur en milieu résidentiel. Il démontre qu’une installation de chauffage peut coexister avec son voisinage, à condition de prendre les mesures techniques appropriées dès son installation pour limiter les nuisances sonores subies par le voisinage.
Il n’a pas été interjeté appel de ce jugement.
I. Présentation de l’affaire.
1°. Faits.
Les époux X. résidant à A. en Haute-Garonne, subissaient depuis décembre 2018 des troubles de voisinage liés à l’installation d’une pompe à chaleur chez leur voisine, Madame Z. Cette installation, réalisée par Monsieur W., s’était révélée problématique pour plusieurs raisons.
L’appareil générait en effet des nuisances constantes, le fonctionnement de la pompe à chaleur produit des bruits et vibrations importants, de jour comme de nuit ; l’unité extérieure ayant été malencontreusement positionnée face à l’habitation des plaignants, amplifiant ainsi les désagréments sonores.
Cette situation illustre les conséquences d’une installation technique mal pensée au regard de la tranquillité du voisinage, l’emplacement choisi pour la pompe à chaleur s’avérant particulièrement inadapté au regard de la configuration des lieux.
2°. Procédure.
En septembre 2019, les époux X. avaient obtenu la désignation d’un expert judiciaire par le Tribunal de Saint-Gaudens. Le rapport d’expertise rendu en décembre 2021, avait révélé des nuisances sonores importantes :
- un dépassement des seuils habituellement tolérés (7 dB(A) au lieu de 3) ;
- un positionnement inadapté de la pompe à chaleur.
En mars 2022, les époux X. avaient assigné Madame Z., propriétaire de la pompe à chaleur et Monsieur W., son installateur devant le tribunal. Ils demandaient :
- le déplacement de la pompe à chaleur ;
- l’installation d’un caisson acoustique ;
- l’indemnisation de leurs préjudices ;
- le remboursement des frais d’expertise.
Face à ces demandes :
- Madame Z. avait reconnu le trouble mais en avait imputé la responsabilité à l’installateur de la pompe à chaleur ;
- Monsieur W. avait contesté les conclusions de l’expertise, critiquant la méthodologie des mesures acoustiques ;
- Il proposait cependant l’installation d’un caisson acoustique pour 5 519 €.
Les demandes de l’installateur contre la société ayant fourni l’équipement avaient été déclarées irrecevables, celle-là n’ayant pas été appelée à la procédure.
3°. Décision du juge.
Le 13 novembre 2024, le Tribunal judiciaire de Saint-Gaudens a reconnu l’existence d’un trouble anormal de voisinage et a ordonné plusieurs mesures pour le faire cesser et indemniser les préjudices en résultant.
Il a d’abord décidé que des travaux devaient être réalisés dans un délai de deux mois :
- la pompe à chaleur devant être déplacée sur la façade ouest ;
- et un caisson acoustique devant être installé en assortissant ces travaux d’une astreinte de 100 € par jour de retard.
Concernant les indemnisations, le tribunal a accordé aux époux X. :
- 2 500 € chacun pour leur préjudice moral ;
- 2 500 € au total pour leurs frais de justice.
En revanche, le tribunal a rejeté leurs demandes d’indemnisation pour préjudice de santé et de jouissance, estimant que ces préjudices n’étaient pas suffisamment prouvés.
Enfin, bien que la responsabilité ait été partagée entre la propriétaire de la pompe à chaleur et l’installateur, c’est ce dernier qui devra supporter l’ensemble des condamnations et des frais de justice, y compris ceux de l’expertise.
II. Observations.
A) La difficile indemnisation des préjudices de santé et de jouissance : des preuves impossibles à rapporter ?
La décision du Tribunal judiciaire de Saint-Gaudens du 13 novembre 2024 illustre notamment la rigueur particulière avec laquelle peuvent, dans certains cas être appréciées les demandes d’indemnisation en matière de troubles de voisinage. Si le tribunal reconnaît l’existence d’un trouble anormal causé par le bruit excessif de la pompe à chaleur, sa position concernant l’indemnisation des préjudices apparaît en l’occurrence particulièrement sévère.
S’agissant du préjudice de santé, le tribunal fait preuve d’une exigence probatoire exagérée. Bien que les époux X. aient produit des certificats médicaux détaillés attestant de troubles du sommeil, d’asthénie, de céphalées et d’un état de stress chronique, ces éléments ont été jugés insuffisants pour justifier l’indemnisation de 2 000 € demandée par chacun des époux. Le tribunal a exigé en effet une preuve du lien de causalité, considérant qu’aucune des constatations médicales ne permettait pas d’établir « de façon claire et précise » que ces troubles aient leur « cause directe et certaine » dans les nuisances sonores. Cette position apparaît d’autant plus sévère que l’expertise judiciaire avait démontré des dépassements significatifs des seuils acoustiques acceptables.
Concernant le préjudice de jouissance, la position du tribunal est tout aussi rigoureuse. Le juge rejette la demande d’indemnisation de 16 833,98 € en relevant que « les époux n’alléguaient pas et ne justifiaient pas avoir dû quitter leur logement de manière prolongée en raison des nuisances sonores ou de vibrations spécifiques ». Cette motivation révèle une conception particulièrement restrictive du préjudice de jouissance : seule une privation totale de la jouissance du bien, matérialisée par un départ effectif du logement, serait ainsi susceptible d’être indemnisée. Cette exigence crée un paradoxe : les victimes devraient engager des frais considérables de relogement, sans garantie d’indemnisation ultérieure, pour espérer voir leur préjudice reconnu.
Cette décision soulève ainsi une question fondamentale d’accès à la réparation : en imposant un niveau de preuve quasi-impossible à atteindre, cette jurisprudence ne risque-t-elle pas de priver les victimes de troubles de voisinage d’une indemnisation effective de leurs préjudices ? La reconnaissance du trouble anormal de voisinage semble ainsi vidée de sa substance lorsque ses conséquences concrètes sur la santé et la jouissance du bien ne peuvent être indemnisées faute de preuves jugées suffisantes. La solution semble toutefois ne pas refléter la jurisprudence dominante en la matière.
B) L’engagement de la responsabilité du professionnel au titre de son obligation de conseil.
La transition énergétique encourage l’installation de pompes à chaleur, équipements présentant des avantages environnementaux et économiques indéniables. Toutefois, leur installation doit respecter la tranquillité du voisinage, sous peine d’engager la responsabilité du professionnel qui a installé l’équipement sur le fondement du trouble anormal du voisinage.
En l’espèce, le tribunal a relevé que l’appareil, bien que conforme aux normes techniques du constructeur, générait des nuisances sonores excessives du seul fait de son positionnement inadapté. L’expertise judiciaire a démontré que l’unité extérieure, installée contre la façade nord et orientée vers l’habitation des époux X., constituait la source directe des troubles. Cette configuration inadéquate était d’autant plus critiquable que l’expert préconisait une installation sur la façade ouest ou sud-ouest, solution qui aurait évité ces désagréments.
La responsabilité de l’installateur a été retenue sur le fondement de son obligation de conseil. Le tribunal a souligné que l’installateur, en tant que professionnel ayant facturé une prestation de 19 939,50 €, était tenu de « prendre toutes les dispositions utiles pour étudier l’emplacement le plus adapté ». Son manquement à cette obligation était caractérisé en l’espèce par l’absence de toute trace écrite de recommandations alternatives concernant l’emplacement de l’appareil.
Si l’installateur invoquait la difficulté d’anticiper les nuisances sonores, n’ayant disposé que d’une heure de mesures acoustiques, cet argument a été écarté. Le tribunal a considéré en effet que le professionnel devait être en mesure d’évaluer l’impact potentiel de son installation sur le voisinage.
En conséquence, le tribunal a ordonné non seulement le déplacement de la pompe à chaleur et l’installation d’un caisson acoustique, mais a condamné également Monsieur W. à « garantir et relever Madame Z. indemne de toutes les condamnations prononcées à son encontre ». Cette décision rappelle que la conformité intrinsèque d’un équipement ne suffit pas à exonérer l’installateur de sa responsabilité : une installation défectueuse peut transformer un équipement aux normes en source de troubles anormaux de voisinage.
Cette jurisprudence invite donc à la plus grande vigilance dans l’installation des pompes à chaleur : les professionnels devant anticiper les nuisances potentielles sous peine d’engager leur responsabilité, tandis que les propriétaires sont déchargés de leur responsabilité dès lors qu’ils ont fait confiance aux professionnels et qu’ils peuvent le prouver.
Conclusion.
Cette décision du Tribunal judiciaire de Saint-Gaudens du 13 novembre 2024 s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle des juridictions civiles en matière de troubles de voisinage causés par les pompes à chaleur. Si la reconnaissance du trouble anormal de voisinage et la condamnation solidaire de la propriétaire et de l’installateur sont conformes aux solutions habituellement retenues, l’appréciation des préjudices indemnisables marque une sévérité particulière.
En effet, le tribunal adopte une position classique en ordonnant le déplacement de l’installation et l’ajout d’un caisson acoustique, reconnaissant ainsi la nécessité de faire cesser les nuisances sonores excessives révélées par l’expertise judiciaire. La mise en cause de la responsabilité de l’installateur professionnel, condamné à garantir la propriétaire, s’inscrit également dans une jurisprudence constante.
Cependant, la décision se démarque par sa rigueur inhabituelle dans l’appréciation des préjudices. Alors que la jurisprudence admet généralement l’indemnisation des différents préjudices dès lors que le trouble anormal est caractérisé, le tribunal fait ici preuve d’une exigence probatoire particulièrement stricte. Le rejet des demandes d’indemnisation pour préjudices de santé et de jouissance, malgré l’existence de certificats médicaux et la preuve de nuisances sonores importantes, illustre cette sévérité.
Cette solution témoigne d’une volonté de concilier le développement des pompes à chaleur, nécessaire à la transition énergétique, avec la protection de la tranquillité du voisinage. Toutefois, elle soulève la question de l’effectivité de la réparation accordée aux victimes de troubles de voisinage, le tribunal semblant privilégier les mesures correctives pour l’avenir au détriment de l’indemnisation des préjudices déjà subis.