Un (faux) client est revenu dans une parfumerie de Cannes suite à son achat qu’il avait effectué quelque jours plus tôt et pour lequel il avait omis de réclamer la détaxe.
Le client ayant réglé en espèce, la caissière n’a pas pu satisfaire la demande du client. Cependant la directrice du magasin, travaillant habituellement à Aix-en Provence, se trouvait (exceptionnellement ?!) présente au moment des faits et accepté de faire droit à la demande de ce fameux client.
Suite à cela, la salariée a été licenciée pour faute grave par lettre du 1er octobre 2009, l’employeur reprochant à la caissière « de n’avoir pas respecté la procédure d’encaissement des achats en vigueur au sein de la parfumerie située à Cannes ». La salariée a été licenciée pour des faits liés au non-respect des directives de l’employeur quant à l’encaissement des produits vendus et au défaut d’enregistrement de deux ventes.
La salariée a alors contesté son licenciement et la Cour d’appel d’Aix en Provence a condamné l’employeur à 12 200 € au titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation a confirmé le jugement en estimant : « sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de défaut de base légale, le moyen ne tend qu’à remettre en cause l’appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve par lesquels les juges du fond ont constaté, sans avoir à entrer dans le détail de l’argumentation des parties, que les deux témoins n’étaient pas dans le magasin par hasard et que leur présence résultait d’un stratagème mis en place par l’employeur afin de contrôler à son insu les pratiques de la salariée ; que le moyen qui manque en fait en sa deuxième branche, n’est pas fondé pour le surplus ».
Ce qu’il faut retenir de cette décision :
Le mode de preuve doit être obtenu loyalement
Ce qui implique la prohibition des stratagèmes, de mode de contrôle à l’insu des salariés
En d’autres termes, dès lors que l’employeur tente de piéger le salarié pour obtenir une preuve, ce mode de preuve peut être écarté par les tribunaux car jugé comme déloyal au sens de l’article 9 du Code de procédure civile.
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité parfaite de la jurisprudence antérieure
- Un mode de preuve loyal
L’employeur ne peut avoir recours à des modes de preuve illicites pour convaincre le juge. Cela veut dire qu’un mode de preuve recueilli à l’insu du salarié ne pourra pas être produit en justice.
Ainsi il a été jugé que l’enregistrement du salarié à son insu est un mode de preuve illicite : le licenciement fondé sur des faits recueillis par ce mode de preuve est sans cause réelle et sérieuse [1].
A l’inverse la récente jurisprudence relative au SMS que le juge déclare recevable car l’auteur du SMS ne pouvait ignorer que ce message était enregistré par l’appareil récepteur [2].
- Une décision qui s’inscrit dans la parfaite continuité de la jurisprudence antérieure
En l’espèce, il résulte que cette jurisprudence s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure puisque :
• La Cour de cassation a estimé que « les deux témoins n’étaient pas dans le magasin par hasard et que leur présence résultait d’un stratagème mis en place par l’employeur afin de contrôler à son insu les pratiques de la salariée ».
• La Cour de cassation s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond sur les éléments de fait et de preuve ayant conduit à la qualification du stratagème
D’une manière plus large, cela nous amène à nous interroger à la question suivante :
Sous quelles conditions, l’employeur peut-il surveiller les salariés ?
L’employeur a la possibilité de surveiller l’activité des salariés mais il doit les prévenir au préalable (principe de loyauté) et ne pourra en aucun cas installer un système de vidéosurveillance/contrôle à leur insu.
1. Respect du principe de proportionnalité
En vertu de l’article L.1221-1 du Code du travail, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Cela veut dire que l’employeur doit justifier le recours à la surveillance des salariés et ne peut pas surveiller les salariés sans une raison objective par exemple sécurité, risques particuliers de vols dans l’entreprise, preuve des transactions commerciales passées par téléphone, etc.
2. Information et consultation des représentants du personnel
D’après l’article L.2323-32 du Code du travail, « le comité d’entreprise est informé, préalablement à leur utilisation, sur les méthodes ou techniques d’aide au recrutement des candidats à un emploi ainsi que sur toute modification de celles-ci.
Il est aussi informé, préalablement à leur introduction dans l’entreprise, sur les traitements automatisés de gestion du personnel et sur toute modification de ceux-ci.
Le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés ».
A défaut d’information – consultation des représentants du personnel, l’employeur s’expose à la caractérisation du délit d’entrave à un mandat représentatif.
En tout état de cause, ce mode de preuve s’il est produit en justice sera directement écarté par le juge prud’homale.
3. Information individuelle de l’ensemble des salariés
Selon l’article L.1222-4 du Code du travail, « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
L’employeur devra donc informé chaque salarié de l’existence d’un dispositif de surveillance. Par quel moyen ?
Un écrit qui décrit les moyens mis en œuvre, et les garanties accordées (durée de conservation, cadre de diffusion…). En cas d’utilisation de systèmes informatiques, il est concevable de faire apparaître l’information à l’écran lors de l’ouverture de l’ordinateur par l’utilisateur. Si le salarié n’a pas été préalablement informé, la preuve résultant du moyen de surveillance « clandestin » sera considérée comme illicite et rejetée par le juge prud’homal.
Qu’en est-il des salariés qui font l’objet de surveillance chez le client de l’employeur ?
La Cour de cassation a estimé en 2011 que les salariés doivent être spécifiquement informés de l’existence de caméras au sein de l’entreprise cliente dans laquelle ils interviennent et savoir que ces vidéos peuvent être utilisées pour surveiller l’activité des salariés chez ce client. En cas de non-respect de cette obligation d’information, les preuves obtenues par ces vidéos sont inutilisables [3].
4. Une déclaration à la CNIL est obligatoire avant la mise en place « système de traitement automatisé de données à caractère personnel ».
Lorsque l’employeur omet d’effectuer cette déclaration :
– il encourt une peine pouvant aller jusqu’à 300 000 € d’amende et cinq ans d’emprisonnement [4] ;
– le système de surveillance est inopposable au salarié qui peut donc refuser de s’y soumettre sans encourir aucune sanction. Par exemple, l’employeur qui ne déclarerait pas la mise en place d’un dispositif de contrôle des entrées et sorties des salariés par l’utilisation de badges électroniques, ne pourrait reprocher aucune faute à un salarié qui persiste à ne pas badger ; le licenciement serait déclaré sans cause réelle et sérieuse par les juges [5] ;
– la preuve du fait fautif obtenue par ce moyen de contrôle sera rejetée par le juge prud’homal.
Discussions en cours :
Bonjour Maître,
Votre article est très intéressant.
Cependant, il me faut vous signaler deux choses :
(1) Vous parlez d’un « arrêt rendu le 19 novembre 2014 » par « la Chambre sociale de la Cour de cassation ».
> Après recherche sur Légifrance, il semblerait que ledit arrêt soit le n°13-18.749.
(2) Dans le paragraphe « 2. Information et consultation des représentants du personnel », vous citez l’article L2323-32 du Code du travail.
> Sachez qu’il a été abrogé le 22/09/2017.
Voir à https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006901962
Vous serait-il possible de procéder à une mise à jour de votre article ?
Merci d’avance,
Benoit
Bonjour, votre article est très intéressant ce qui est recevable ou pas en justice en matière de mode de preuve. Actuellement en justice, j’ai eu un entretien avec l’employeur, et devant un témoin que l’employeur a lui-même sollicité, je ne connaissais pas cette personne. Le témoin a assisté à tout l’entretien du début à la fin, ce témoin a produit une attestation de témoignage à l’employeur, mais l’employeur ne l’a jamais produit en justice car cette attestation prouvée sa culpabilité. Mais le témoin a voulu, de lui-même, m’en fournir une copie, et me l’a adressée par voie postale, j’ai bien évidemment gardé l’enveloppe. Est-ce que le témoin à le droit de m’en fournir une copie à sa propre initiative alors que ce témoin a été appelé par l’employeur s’il vous plait ? est-ce que j’ai le droit de produire l’attestation de ce témoin en sachant que c’est lui qui m’en a fait une copie s’il vous plait ? cordialement ;