Maintien et financement des garanties collectives en cas d'invalidité du salarié. Par Arthur Réau, Etudiant.

Maintien et financement des garanties collectives en cas d’invalidité du salarié.

Par Arthur Réau, Etudiant.

2489 lectures 1re Parution: 4.61  /5

Explorer : # protection sociale complémentaire # invalidité du salarié # suspension du contrat de travail # financement des garanties collectives

Nonobstant la publication d’une instruction en juin 2021, la direction de la sécurité sociale entretient un débat non tranché quant à la nécessité de maintenir les garanties de protection sociale complémentaire et le financement desdites garanties dans l’hypothèse où un salarié percevrait une pension d’invalidité.

-

Avec le recours massif à l’activité partielle durant la crise sanitaire, la question du maintien des garanties de protection sociale complémentaire en cas de suspension du contrat de travail a nécessité la mise en place d’un régime dérogatoire. La doctrine administrative a publié une instruction en juin 2021 [1] qui a abrogé la fiche n° 7 de la circulaire du 30 janvier 2009 [2]. L’activité partielle y est présentée comme une hypothèse de « suspension indemnisée du contrat de travail ».

Malgré la considération apportée à l’activité partielle, l’instruction de la direction de la sécurité sociale ne fait pas état de la situation du salarié percevant une pension d’invalidité.

Les questions du maintien et du financement des garanties collectives dans cette hypothèse particulière demeurent incertaines.

L’enjeu est pourtant de taille. Si la pension d’invalidité est reconnue comme une indemnité versée au titre de la suspension du contrat de travail, le maintien des garanties de protection sociale complémentaire (frais de santé, prévoyance) serait obligatoire pour les employeurs, sous peine de perdre le bénéfice du traitement social de faveur. Dans l’hypothèse inverse, le maintien desdites garanties ne serait pas obligatoire pour l’employeur. L’instruction du 17 juin 2021 laisse la faculté pour l’employeur de maintenir les garanties en faveur du salarié avec, dans cette hypothèse, une répartition du financement prévue par l’acte fondateur (pouvant potentiellement contrevenir au financement patronal minimal de 50% en matière de frais de santé [3]).

L’absence de précision adoptée par la doctrine administrative nécessite de présenter les différents arguments en présence. Le débat, non tranché, repose alors sur la question suivante : la pension d’invalidité doit-elle être considérée comme une indemnisation en cas de suspension du contrat de travail ?

1 - Une interprétation téléologique : la pension d’invalidité est une indemnisation liée à la suspension du contrat de travail.

Une première approche - fondée sur « les principes généraux de l’instruction » [4] - peut amener à considérer la pension d’invalidité comme une indemnisation liée à la suspension du contrat de travail. Une telle théorie repose sur trois principaux arguments.

D’abord, au titre des cas où la suspension du contrat de travail est indemnisée, la direction de la sécurité sociale mentionne « les périodes de suspension du contrat de travail liées à une maladie, une maternité ou un accident ». La définition de l’invalidité incite à la rapprocher de celle de suspension indemnisée du contrat de travail. L’invalidité est reconnue, en droit de la sécurité sociale, lorsque le travailleur voit sa capacité de travail ou de gain réduite d’au moins deux tiers à la suite d’un accident ou d’une maladie d’origine non professionnelle. Ainsi, la suspension du contrat de travail de l’invalide a pour origine une maladie non professionnelle ou un accident, comme le mentionne l’instruction au titre des cas de suspension indemnisée du contrat de travail.

Ensuite, on peut considérer que la suspension du contrat de travail d’un salarié bénéficiaire d’une pension d’invalidité est indemnisée dans la mesure où l’invalide perçoit un revenu de remplacement. La source de ce revenu de remplacement est duale. D’une part, au titre de l’article L341-4 du Code de la sécurité sociale, l’invalide perçoit une pension par la Sécurité sociale. D’autre part, au titre du contrat d’assurance groupe souscrit par son employeur, l’invalide perçoit une rente d’invalidité ou, en cas d’invalidité absolue et définitive (troisième catégorie), un capital.

Enfin, à l’aune de la finalité de l’instruction en date du 17 juin 2021, l’invalidité peut être rapprochée des hypothèses où la suspension du contrat de travail est indemnisée. La situation d’un salarié invalide se trouve, objectivement, plus proche de celle d’un salarié en incapacité de travail (qui est un cas de suspension indemnisée du contrat de travail) que de celle d’un salarié en congé sabbatique (qui est un cas de suspension non indemnisée du contrat de travail).

L’interprétation téléologique pouvant apparaître insatisfaisante, une autre lecture de l’instruction semble envisageable.

2 - Une interprétation littérale : la pension d’invalidité n’est pas une indemnisation liée à la suspension du contrat de travail.

Une seconde approche, plus pragmatique, de l’instruction parue le 17 juin 2021 peut amener à considérer que la pension d’invalidité n’est pas une indemnisation en lien avec la suspension du contrat de travail. Cette acception de la doctrine administrative repose sur deux fondements : l’absence de précision relative à l’invalidité et un développement des conditions d’indemnisation en cas de suspension indemnisée du contrat de travail.

Concernant l’absence de précision, au titre des cas où la suspension du contrat de travail est indemnisée, l’instruction ne mentionne pas expressément l’hypothèse où un salarié percevrait une pension d’invalidité. Ce silence laisse légitimement penser que la direction de la sécurité sociale n’a pas souhaité considérer l’invalidité comme une situation susceptible de caractériser une indemnisation du contrat de travail suspendu.

De surcroît, considérer la pension d’invalidité comme une indemnisation du contrat de travail suspendu engendrerait une difficulté pratique non abordée par l’administration : le précompte de la part salariale et de la CSG-CRDS en cas de maintien des garanties. Cette difficulté a été résolue pour les cas où la suspension du contrat de travail n’est pas indemnisée. Dans ces hypothèses, par mesure de simplification, l’instruction prévoit que

« la rémunération mensuelle à prendre en compte dans le calcul de la limite d’exonération est égale au montant moyen des rémunérations perçues au cours des douze mois précédant l’arrêt de travail ».

L’absence de cette mesure de simplification pour les cas où la suspension du contrat de travail est indemnisée constitue ainsi un argument supplémentaire plaidant pour une interprétation littérale.

S’agissant du développement des conditions d’indemnisation ensuite, l’exégèse desdites conditions permet d’écarter la théorie selon laquelle la pension d’invalidité serait une indemnisation liée à la suspension du contrat de travail. L’instruction précise que la suspension indemnisée du contrat de travail concerne les salariés pour la période au titre de laquelle ils perçoivent l’une des trois sources de rémunération suivantes : un maintien total ou partiel de salaire, des indemnités journalières complémentaires ou un revenu de remplacement versé par l’employeur.

Or, un salarié placé en situation d’invalidité ne se voit attribuer aucune de ces sources d’indemnisation. Le salarié invalide perçoit une pension d’invalidité au titre de la Sécurité sociale et une rente voire un capital au titre de son régime de prévoyance. De fait, le maintien partiel ou total de salaire par l’employeur est exclu. De même, dans la mesure où le salarié perçoit une rente voire un capital, les indemnités journalières complémentaires ne concernent pas le salarié placé en situation d’invalidité. Enfin, le salarié placé dans une telle situation ne perçoit aucun revenu de remplacement de l’employeur dans la mesure où la rente d’invalidité est versée par la Sécurité sociale et la rente (ou le capital) issue du régime de prévoyance est attribuée par un organisme assureur.

Qu’elle soit téléologique ou littérale, aucune interprétation de la doctrine administrative ne semble pleinement convaincante. L’absence de précision quant au maintien et au financement des garanties de protection sociale complémentaire dans l’hypothèse où un salarié percevrait une pension d’invalidité place les entreprises et les organismes de recouvrement dans une incertitude. Une précision de la direction de la sécurité sociale semble bienvenue notamment en raison du risque pris par les entreprises, s’agissant de la remise en cause du traitement social de faveur, qui considèrent que la pension d’invalidité n’est pas une indemnisation liée à la suspension du contrat de travail.

Arthur Réau
Etudiant en Master 2 Protection sociale et Rémunérations - Université Paris II Panthéon-Assas
Apprenti juriste en protection sociale complémentaire - Aon

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

44 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Instruction DSS n° DSS/3C/5B/2021/127 du 17 juin 2021 relative au traitement social du financement patronal de la prévoyance complémentaire collective et obligatoire en cas de suspension du contrat de travail.

[2Lettre circulaire n° 2009-027 relative aux contributions des employeurs destinés au financement de prestations complémentaire de retraite et de prévoyance.

[3CSS, art. L911-7.

[4X. Pignaud et L. Benarroche, « Le bénéfice des régimes de protection sociale complémentaire pour les salariés dont le contrat de travail est suspendu » : Semaine sociale Lamy, 6 septembre 2021, n° 1965.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs