Mandat d’arrêt européen, le refus d’exécution est possible.

Par Teddy Francisot, Avocat.

3142 lectures 1re Parution: 4  /5

Explorer : # mandat d'arrêt européen # prescription # droits fondamentaux # extradition

Il est possible d’obtenir un refus d’exécution dans le cas d’un mandat d’arrêt européen [1] sous certaines conditions, tel en a décidé la Cour d’appel de Montpellier dans son arrêt du 10 mars 2020.

-

En l’espèce, une personne faisait l’objet d’un mandat d’arrêt européen établi par un Etat membre de l’Union Européenne, car elle était visée par une enquête pour une infraction équivalente aux violences volontaires avec arme ayant entraîné la mort sans intention de la donner (coups mortels). Les éléments justifiant la poursuite ne figurent pas au dossier, car les juridictions françaises n’ont pas à en connaître. Mais dans certains cas limitativement énumérés, la Chambre de l’instruction doit refuser l’exécution du mandat d’arrêt.

Dans le mandat d’arrêt européen dont s’agit, il était reproché à l’intéressé d’avoir, porté volontairement de multiples coups avec une arme tranchante, ce qui a eu pour effet de causer une hémorragie et le décès de la victime. Ce qui lui faisait encourir l’équivalent d’une réclusion criminelle à perpétuité. Cependant, les faits se sont déroulés plus de vingt ans avant l’émission du mandat d’arrêt étatique.

Dès lors, l’intéressé pouvait-il être remis aux autorités polonaises, alors que les faits qui lui étaient reprochés datait de plus de vingt ans ?

Sur la légalité du mandat d’arrêt européen :

Le mandat d’arrêt est une procédure pénale prévue par la décision-cadre n° 2002/584/JAI du 13 juin 2002 et transposée en droit français dans les articles 695-11 à 695-46 du Code de procédure pénale (CPP).

Par cette procédure, un Etat membre de l’Union Européenne peut interpeller les autres Etats-membres pour les informer qu’il recherche un individu, en exécution d’une mesure d’investigation ou d’une condamnation. Auquel cas, l’Etat membre qui trouve l’individu est tenu de le remettre à l’Etat interpellateur, dans les formes et conditions prévues par les dispositions citées.

Le mandat peut être émis si la privation de liberté est supérieure ou égale à 4 mois [2], s’il contient un certain nombre de renseignements [3], et doit faire l’objet d’une traduction [4].

En l’espèce, la procédure d’exécution du mandat d’arrêt dans des conditions qui auraient permis à l’intéressé de bénéficier de l’effectivité de ses droits et libertés fondamentales auraient pu faire l’objet d’une discussion devant la Cour de cassation, mais la chambre de l’instruction a refusé d’exécuter ce mandat par une motivation au fond.

Sur la cause impérative de refus d’exécution :

En effet, il résulte de l’article 695-22 du Code de procédure pénale que l’exécution du mandat d’arrêt européen est refusée si les faits pour lesquels il a été émis pouvaient être poursuivis et jugés par les juridictions françaises et que la prescription de l’action publique et de la peine se trouve acquise.

En l’espèce, les faits se sont produits il y a plus de vingt ans, l’intéressé a acquis la nationalité française dans l’intervalle, et l’Etat interpellateur n’a décerné un mandat d’arrêt étatique qu’après le délai de 20 ans. Acte sur lequel le mandat d’arrêt européen était fondé.

Or, selon l’article 7 du Code de procédure pénale, dans sa version alors applicable au moment de l’acquisition de la prescription, celle-ci était de 10 ans. Cela faisait donc plus de 10 ans que les faits étaient prescrits en droit français. Ce qui constitue une cause impérative de refus d’exécution du mandat d’arrêt européen.

Sur l’application d’un droit fondamental :

De plus, il résulte de l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH) que :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
 »

La juridiction ayant à appliquer ce droit fondamental devra caractériser la justification de l’atteinte au droit ou liberté concernée, en l’occurrence le droit à la vie privée. Et si elle juge que l’atteinte à ce droit est justifiée, en l’occurrence, par la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, elle devra caractériser la proportionnalité de cette atteinte.

En l’espèce, compte-tenu de l’ancienneté des faits (plus de 20 ans), de la situation stable de l’intéressé désormais français, et domicilié en France depuis une date antérieure aux faits, une remise à l’Etat interpellateur porterait une atteinte disproportionnée à l’article 8 CESDH.

Arrêt :

C’est en conséquence de l’ensemble de ces éléments que la Chambre de l’instruction de Montpellier, le 10 mars 2020 [5], a prononcé le refus d’exécuter le mandat d’arrêt européen qui visait l’intéressé.

Teddy Francisot, Avocat
Cabinet JTF Avocat
cabinet-jtf.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

6 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1695-11 du Code de procédure pénale

[2695-12 CPP

[3695-13 CPP

[4695-14 CPP

[5RG : 2019/00927

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs