Principe : le maintien des contrats de travail.
En effet, conformément à l’article précité, en cas de changement dans la situation juridique (et sous certaines conditions que nous verrons ensuite), un transfert des contrats de travail vers la nouvelle entité s’opère, et ce, de manière automatique.
Ce principe de transfert des contrats de travail en cas de changement dans la situation juridique de l’employeur a été consacré par la loi du 19 juillet 1928 afin de pallier la pénurie de main d’œuvre pour garantir au repreneur de l’activité le maintien de cette dernière.
Aujourd’hui ce principe a moins pour objectif d’assurer au repreneur la pérennité de l’activité reprise que de protéger les salariés en stabilisant leur emploi.
Et ce, quelle que soit la nature des contrats de travail (CDD, CDI, temps partiel, apprentissage, insertion, alternance), peu importe que le salarié soit en période d’essai ou de préavis.
De la même manière, la suspension du contrat de travail au moment où survient le changement n’empêche pas l’application du principe. Ainsi, un salarié en congé parental d’éducation, en congé maternité ou paternité, en congé maladie ou en formation bénéficie du droit au maintien de son contrat de travail.
En revanche, les salariés dont le contrat a été rompu (licenciement, démission…) avant que survienne la modification dans la situation de l’entreprise ne peuvent prétendre au transfert du contrat de travail au nouvel employeur.
Le transfert des salariés est donc automatique et sans formalité. Le salarié ne peut s’y opposer sauf à démissionner, et sauf le cas où le transfert entraînerait des modifications qu’il refuse [1]
1- Conditions du transfert de contrat de travail.
Le principe relatif au transfert des contrats de travail en cas de changement dans la situation juridique de l’entreprise ne vaut pas pour toutes les situations.
L’article L1224-1 du Code du travail, posant ce principe vise notamment les opérations de vente, de fusion, de transformation du fond.
Cette liste n’est toutefois pas exhaustive et la jurisprudence a étendu ce principe du maintien des contrats de travail à d’autres hypothèses telles que la cession totale ou partielle d’entreprise ou encore les apports partiels d’actifs.
Transfert d’une entité économique autonome.
Une entité économique c’est quoi ?
Le maintien des contrats de travail ne vaut qu’en présence du transfert d’une entité économique autonome. L’article L1224-1 du Code du travail ne donnant aucune définition de cette notion juridique, il faut, pour cerner cette notion, prendre lecture de la directive du 12 mars 2001 qui énonce qu’une entité économique est caractérisée par un ensemble organisé de moyens, avec une finalité spécifique : la poursuivre d’une activité économique.
La Cour de cassation considère quant à elle, et ce de manière constante, que « constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre » [2].
Selon la Cour de justice des Communautés européennes [3] « il convient de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont il s’agit, le transfert ou non des éléments corporels, tels que les bâtiments et les biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension de ses activités ».
La Cour de justice énonce par ailleurs que ces éléments ne doivent pas être appréciés isolément par le juge, une évaluation d’ensemble s’imposant afin de déterminer l’existence d’une entité économique.
Une entité autonome, c’est quoi ?
Absente de l’article L1224-1 et de la directive du 11 mars 2001, cette notion a été découverte et mise en place la Cour de cassation qui considère qu’une entité autonome existe lorsque « la branche d’activité reprise par le nouvel exploitant constitue, en elle-même par son importance, une entreprise quand bien même elle n’eut été que l’une des activités du précédent entrepreneur » [4].
Autrement dit, une entité économique doit ainsi être en mesure de fonctionner comme une entreprise à part entière, peu important que l’activité transférée soit principale ou accessoire.
Le maintien de l’identité au sein de l’entité économique transférée.
Le maintien de l’identité c’est quoi ?
Il y a maintien de l’identité si l’activité développée par le cessionnaire est la même que celle qui existait avant la décision d’externalisation.
L’activité doit ainsi se poursuivre chez le repreneur avec les mêmes moyens [5].
L’arrêt Süzen rendu par la Cour de justice le 11 mars 1997 (aff. C-13/95) précise que l’identité d’une entité ressort également d’autres éléments : « le personnel, son encadrement, l’organisation de son travail, ses méthodes d’exploitation ou encore, le cas échéant, les moyens d’exploitation à sa disposition ».
Des difficultés peuvent survenir dans les situations pour lesquelles l’activité transférée subit une modification qui, sans remettre en cause formellement son activité - notamment si les activités exercées par les salariés sont augmentées ou diminuées dans l’entreprise cessionnaire -, ne la laisse pas intacte.
Pour la Cour de cassation, les éléments qui caractérisent l’entité économique autonome doivent se retrouver avec les mêmes caractéristiques chez le repreneur. II a été ainsi jugé que l’éclatement d’une activité entre plusieurs entreprises [6] ou la dispersion du personnel repris entre plusieurs services de l’entreprise [7] faisait perdre le critère d’identité et empêchait la reconnaissance d’un transfert des contrats de travail. Pour autant, un simple changement dans les modalités d’exploitation ou la structure de la clientèle ne suffit pas à caractériser une modification de l’identité de l’entité [8].
Cette condition s’apprécie toutefois au jour du transfert, les modifications ultérieures de fonctionnement de l’entité étant sans influence [9].
2- Conséquences de la mise en œuvre du transfert d’entreprise : le transfert automatique des contrats de travail.
Généralités.
L’article L. 1224-1 du Code du travail dispose que dans l’hypothèse d’un transfert, « tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ».
Le contrat de travail est transféré dans tous ses éléments au nouvel employeur, ce qui entraîne une obligation de reprise de l’ancienneté acquise (pour le calcul des congés payés, des primes d’ancienneté, des indemnités de licenciement ...) et la poursuite du contrat aux conditions antérieures : le salarié conserve sa qualification, sa rémunération et l’ensemble des éléments de son contrat. La modification de ces éléments sera possible a posteriori, par le nouvel employeur, hors les cas de fraude, et si le contrat de travail a commencé à être exécuté chez le repreneur.
Le contrat de travail continue de s’exécuter dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités.
Le salarié conserve donc son ancienneté, sa qualification, sa rémunération et les avantages qu’il a acquis.
Si des salaires, primes, dommages-intérêts demeurent impayés au moment du transfert, c’est au nouvel employeur qu’il incombe de les régler.
Le contrat de travail étant maintenu dans tous ses éléments essentiels, le salarié qui refuse de travailler avec le nouvel employeur ne peut que démissionner.
Toutefois, la démission ne se présumant pas, si le salarié ne se rend pas chez le nouvel employeur, son comportement pourra être considéré comme un abandon de poste qui pourra être sanctionné par le nouvel employeur par un licenciement pour faute .
Par ailleurs, les représentants du personnel (membres élus au comité social et économique - CSE - ou au comité d’entreprise, délégué du personnel, délégué syndical d’entreprise - CE -, délégué du personnel, délégué syndical, représentant syndical au CSE ou au CE, etc.) conservent leur mandat.
Transfert partiel d’entreprise.
En cas de transfert partiel d’entreprise, seuls les salariés affectés exclusivement à l’unité cédée sont transférés [10]. L’intégration au sein de celle-ci doit être pérenne et non occasionnelle [11].
La Cour de cassation admettait toutefois la divisibilité du contrat de travail. La chambre sociale de la Cour de cassation, par un arrêt du 22 juin 1993, avait alors précisé que dans une telle hypothèse, le contrat de travail devait être transféré partiellement (« le salarié devait passer au service de la seconde société pour la partie d’activité qu’il consacrait au secteur cédé »), et qu’il appartenait aux acteurs du transfert (cédant et cessionnaire) de régler la situation sur le terrain (n° 90-44.705).
Cette solution avait été confirmée par la suite par un arrêt de la chambre sociale du 2 mai 2001 (n° 99-41.960), et plus récemment par un arrêt du 8 juillet 2009 [12] : le transfert partiel d’un fonds de commerce à une société implique pour cette dernière le maintien du contrat de travail d’une salariée « dans la limite du temps de travail effectué antérieurement par la salariée au service de la partie de l’entreprise cédée ».
La reconnaissance de la divisibilité avait pour inconvénient d’engendrer beaucoup de difficultés pratiques - modification induite du contrat de travail, passage d’un temps plein à un temps partiel ... - que le cédant et le cessionnaire devaient régler concomitamment au transfert. Face à ces écueils, la Cour de cassation a été amenée à modifier sa jurisprudence par deux arrêts rendus le 30 mars 2010 (n° 08-44.227 et 08.42.065).
Dans le premier arrêt, la Cour de cassation, sans remettre en cause le principe de divisibilité du contrat de travail, s’attache à en régler les conséquences pratiques. De façon plus novatrice, le même jour, la Cour de cassation rend un second arrêt, où elle retient à propos d’un directeur administratif et financier transféré que son « contrat de travail s’exécutait pour l’essentiel dans le secteur d’activité repris par la société TTE », ce dont il se déduisait « que l’ensemble de son contrat de travail avait été transféré à cette société, alors même qu’il avait continué à exercer des tâches dans un secteur encore exploité par la société Thomson ».
La Cour de cassation retient ici le critère de l’« exécution pour l’essentiel », qui permet une application concrète et plus simple pour les juges du fond. La solution retenue facilite le raisonnement : désormais, les salariés affectés exclusivement ou pour l’essentiel à l’entité cédée devront être repris par le cessionnaire, sans que ce dernier ne puisse opposer une divisibilité du contrat de travail.
Suivant une jurisprudence constante [13] le licenciement prononcé par le cédant à l’occasion du transfert est privé d’effet.
Par ailleurs, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue préciser dans un arrêt du 20 mars 2002 [14] que le salarié licencié à l’occasion du transfert et non repris par le cessionnaire bénéficie d’un choix : soit demander au cessionnaire la poursuite du contrat de travail qui est alors censé n’avoir jamais été rompu et, en cas de refus de celui-ci, des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit demander au cédant la réparation du préjudice résultant du licenciement qu’il a prononcé, le cédant pouvant dès lors appeler en garantie le repreneur en cas de refus de celui-ci de poursuivre le contrat de travail.
Le changement d’employeur s’impose toutefois au salarié licencié dès lors que le repreneur l’informe, avant l’expiration du préavis, de son intention de poursuivre, sans modification, le contrat de travail. Dans cette hypothèse, le salarié ne peut prétendre au versement d’indemnités de rupture s’il a été licencié par le cédant [15].
Cette jurisprudence vient atténuer les effets de la solution de 2002, en refusant une indemnisation à un salarié qui aurait refusé la poursuite de son contrat aux mêmes conditions chez le repreneur. Le transfert d’entreprise ne rend cependant pas sans effet le licenciement prononcé par le cédant avant le transfert au motif tenant à la personne du salarié, dès lors qu’aucune collusion ne peut être retenue avec le cessionnaire en vue de faire échec à l’article L. 1224-1 du Code du travail [16].