L’organisation frauduleuse d’insolvabilité.

Par Stéphane Babonneau, Avocat.

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Explorer : # insolvabilité frauduleuse # délit financier # créances protégées # sanctions pénales

Le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité a récemment fait l’actualité, suite notamment aux propos tenus par la Ministre de la Justice visant le polémiste Dieudonné, soupçonné d’avoir planifié son insolvabilité dans le but d’échapper au paiement de diverses amendes. Dans quels cas une personne peut-elle être condamnée pour avoir organisé son insolvabilité ? Quelles sont les sanctions de ce délit ?

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Le délit d’organisation ou d’aggravation frauduleuse d’insolvabilité a été introduit dans le Code pénal aux articles 314-7 et suivants en 1983.

A l’origine, il visait principalement dans l’esprit du législateur à lutter contre le non-paiement des pensions alimentaires, mais aussi des dommages et intérêts dus aux victimes d’infractions pénales.

Aujourd’hui, l’incrimination vise le fait d’organiser frauduleusement son appauvrissement, dans le seul but d’échapper au paiement de certaines condamnations de nature patrimoniale.

Les contours de l’infraction sont strictement définis par l’article 314-7 du Code pénal, et seules certaines créances bien spécifiques sont ainsi protégées contre le risque d’insolvabilité frauduleuse du débiteur.

Le délit subit par ailleurs la concurrence de certaines procédures civiles permettant aux créanciers de lutter efficacement contre les actes passés en fraude de leurs droits, comme l’action paulienne prévue par l’article 1167 du Code civil.

Ces raisons contribuent à expliquer le nombre relativement limité de condamnations pour organisation frauduleuse d’insolvabilité prononcées par les juridictions pénales.

Lorsque les éléments constitutifs du délit sont caractérisés (I), l’organisation ou l’aggravation frauduleuse d’insolvabilité est sévèrement sanctionnée (II).

I Les éléments constitutifs du délit d’organisation ou d’aggravation frauduleuse d’insolvabilité.

Pour être constitué, le délit implique en premier lieu l’existence d’une condamnation de nature patrimoniale (A), ainsi que celle d’actes d’organisation ou d’aggravation de l’insolvabilité (B). L’infraction étant intentionnelle, il est par ailleurs nécessaire d’établir que les actes d’appauvrissement sont motivés par la volonté d’échapper au paiement des condamnations concernées (C).

A/ L’existence d’une condamnation de nature patrimoniale

Si toutes les condamnations de nature patrimoniale prononcées par les juridictions pénales sont protégées contre l’organisation frauduleuse d’insolvabilité (1), seules les condamnations prononcées par les juridictions civiles en matière délictuelle, quasi délictuelle ou d’aliments le sont (2).

(1) Les condamnations de nature patrimoniale prononcées par les juridictions pénales

Commet le délit prévu par l’article 314-7 du Code pénal toute personne qui, bien que condamnée à payer une somme d’argent par une juridiction pénale, ne s’exécute pas en raison du fait qu’elle a frauduleusement organisé son insolvabilité.

Il est ainsi pénalement répréhensible d’organiser son insolvabilité dans le but de ne pas payer à la victime d’une escroquerie, d’un vol, de blessures involontaires ou de toute autre infraction pénale contre les biens ou les personnes, les dommages et intérêts qui lui ont été alloués par la juridiction pénale.

La protection de l’article 314-7 du Code pénal couvre également les amendes, frais de justice, pénalités fiscales et, de manière générale, toutes les condamnations financières prononcées par les juridictions pénales.

(2) Les condamnations de nature patrimoniale prononcées par les juridictions civiles

Seules sont protégées par l’article 314-7 du Code pénal les condamnations de nature patrimoniale prononcées par les juridictions civiles en matière délictuelle et quasi délictuelle{{}} (a) ainsi que celles prononcées en matière d’aliments (b).

a) Les condamnations en matière délictuelle et quasi-délictuelle

Les créances délictuelles et quasi-délictuelles protégées sont celles issues de condamnations prononcées en matière de responsabilité civile sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil. Par extension, sont également protégées les condamnations prononcées sur le fondement des articles 1384 à 1386 du Code civil.

A titre d’exemple, si un passant est blessé par la chute d’un objet provenant d’un chantier de construction, les dommages et intérêts qui lui seront dus par la société responsable du chantier seront protégés contre l’organisation frauduleuse d’insolvabilité. La responsabilité en cause étant ici de nature délictuelle ou quasi délictuelle, selon la nature de la faute commise, les condamnations qui en découleront entreront donc dans le champ de protection de l’article 314 -7 du Code pénal.

En revanche, le non paiement d’une condamnation relative à une créance contractuelle ne pourra en aucun cas donner lieu à une condamnation pour organisation frauduleuse d’insolvabilité.

Ne sera ainsi pas protégée la créance issue de la condamnation d’un débiteur en qualité de caution solidaire d’une société, le fondement de cette créance étant contractuel et donc exclu du champ d’application de l’article 314 -7 du Code pénal (CA., Aix-en-Provence, 31 janv. 2001 : JurisData n° 2001-144339).

La distinction ainsi opérée par le Code pénal s’explique par le fait que le législateur a estimé qu’il existait suffisamment de moyens pour se prémunir contre le risque d’insolvabilité d’un débiteur contractuel, en recourant par exemple à des sûretés telles que la caution, le gage ou le nantissement.

A l’inverse, la victime d’un dommage délictuel ou quasi-délictuel n’étant pas en mesure de se protéger efficacement contre l’insolvabilité frauduleuse du responsable de son préjudice, qui lui est le plus souvent inconnu avant la survenance du dommage, il y a lieu de protéger sa créance contre ce risque.

b) Les condamnations en matière de créances d’aliments

Les "aliments" désignent en droit les besoins essentiels permettant à une personne d’assurer sa subsistance quotidienne (alimentation, logement, soins etc.).

Les créances d’aliments protégées par l’article 314-7 du Code pénal sont donc, par exemple, celles résultant de condamnations au paiement de pensions alimentaires (Cass., crim., 25 avril 2001, n°00-86428, CA Toulouse, 24 févr. 1999, n°07/01439)

Sont également protégées les créances issues de conventions judiciairement homologuées portant obligation de verser des prestations, subsides ou contributions aux charges du mariage (art. 314-9).

B/ Existence d’actes visant à organiser ou aggraver l’insolvabilité

Ces actes sont au cœur du délit. Le but de l’auteur est en effet d’atteindre un niveau d’appauvrissement tel qu’il lui permette de créer l’illusion que, s’il ne paye pas les sommes auxquelles il a été condamné, ce n’est pas parce qu’il est de mauvaise foi et qu’il ne le veut pas, mais tout simplement parce qu’il n’en a pas les moyens.

L’article 314-7 du Code pénal décrit, en termes précis, les actes d’organisation ou d’aggravation d’insolvabilité susceptibles d’être réprimés.

Sont ainsi incriminés par le texte les actes visant à :

- augmenter le passif ou diminuer l’actif de son patrimoine ;

Exemple : souscriptions d’emprunts, donations, destruction de biens personnels etc.

- diminuer ou dissimuler tout ou partie de ses revenus ;

Exemple : non perception volontaire de revenus, dissimulation de salaires, de dividendes, d’indemnités chômage etc.

- dissimuler ses biens ;

Exemple : virement de fonds sur des comptes à l’étranger, déménagement sans communication de la nouvelle adresse, cession fictive de biens, utilisation de prête-noms.

Sont ainsi couverts par l’article 314-7 du Code pénal pratiquement tous les actes pouvant être mis en œuvre par une personne en vue d’organiser ou d’aggraver frauduleusement son insolvabilité.

Naturellement, pour être répréhensibles, les actes en cause doivent avoir eu pour effet d’empêcher le paiement, même partiel, des créances protégées.

C/ Caractérisation de l’intention frauduleuse du débiteur

Pour que le délit soit constitué, il faut enfin que soit établie une relation certaine entre les actes d’appauvrissement volontaire, ou de dissimulation, et la condamnation de nature financière concernée.

Il faut donc démontrer que les actes d’appauvrissement sont motivés par la volonté de leur auteur de ne pas payer les sommes auxquelles il a été condamné.

De ce point de vue, peu importe que ces actes soient antérieurs (art. 314-7 al. 1) ou postérieurs à la condamnation (art. 314-8 al. 3) dès lors qu’un lien peut être établi entre les deux.

Le débiteur qui, anticipant sur sa probable condamnation à payer une amende et/ou des indemnités, organise son insolvabilité avant que le tribunal saisit ne rende son jugement, pourra ainsi voir sa responsabilité pénale engagée au même titre que celui qui a attendu d’être condamné pour se séparer de ses actifs ou les dissimuler.

Pour caractériser la volonté frauduleuse, le juge tiendra compte de multiples éléments. Il examinera ainsi la nature des actes litigieux et le moment auquel ils ont été passés. Il recherchera également si ces actes étaient motivés par la volonté d’échapper au paiement des créances protégées, ou bien s’ils pouvaient être justifiés par d’autres objectifs.

II Les sanctions du délit d’organisation ou d’aggravation frauduleuse d’insolvabilité.

Le délit d’organisation frauduleuse d’insolvabilité est passible de peines principales et de peines complémentaires (A). En outre, sont également passibles de sanctions les complices de l’auteur du délit (B).

A/ Les peines principales et complémentaires

A titre principal, l’organisation ou l’aggravation frauduleuse d’insolvabilité est punie d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000€ d’amende (art. 314-7 al.1).

Le délit est également passible des peines complémentaires que sont, d’une part, la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction, ou de la chose qui en est le produit (à l’exception des objets susceptibles de restitution) et, d’autre part, l’affichage ou la diffusion du jugement (art. 314-11).

Des sanctions spécifiques sont en outre prévues pour les personnes morales, qui encourent une amende d’un montant maximal égal au quintuple de l’amende prévue pour les personnes physiques (soit 225 000€), ainsi que la confiscation et l’affichage et la diffusion du jugement (art. 314-13).

B/ Peines applicables au complice du délit

A titre principal, le complice est passible des mêmes peines que l’auteur du délit. A ce titre, il sera donc solidairement responsable, avec ce dernier, du montant des dommages et intérêts alloués à la victime de l’infraction.

De manière plus spécifique, le complice ayant aidé l’auteur principal à organiser son insolvabilité en recevant, à titre gratuit ou onéreux, des biens ou des fonds de sa part dans le but de les dissimuler, pourra être déclaré solidairement responsable, avec ce dernier, du montant de la condamnation principale à laquelle il a tenté de se soustraire.

La solidarité sera cependant limitée, dans ce cas, au montant des biens ou des fonds reçus (art. 314-8).

Cette solidarité renforcée vise à augmenter les chances de la victime de recouvrer le montant des créances protégées, en lui permettant de saisir directement dans le patrimoine du complice les éléments d’actif dont l’auteur du délit aura tenté de se séparer frauduleusement.

Conclusion

En prévoyant de lourdes sanctions contre les débiteurs organisant frauduleusement leur insolvabilité, le législateur a entendu protéger certaines créances jugées particulièrement sensibles.

Toutefois, la voie pénale étant généralement longue, il arrivera fréquemment que le débiteur fautif soit finalement condamné après avoir eu largement le temps de mener à son terme l’organisation de son insolvabilité.

Dans ce cas, la sanction pénale du débiteur n’apparaîtra qu’à moitié satisfaisante pour la victime si, en parallèle, elle ne parvient pas à obtenir le paiement de ce qui lui était dû à l’origine.

C’est pourquoi, au moment d’agir contre un débiteur soupçonné d’organiser son insolvabilité, il est indispensable d’examiner si les voies civiles ne seront pas, au cas particulier, plus efficaces et surtout plus rapides pour obtenir le paiement des créances protégées.

Stéphane BABONNEAU
Avocat au Barreau de Paris

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www.sba-avocats.com

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Discussions en cours :

  • par zenazelah@gmail.com , Le 15 décembre 2019 à 23:23

    Bonjour
    Une personne jugé coupable de violence volontaire aggravé peut elle échappé a ses créance judiciaire en injectant ses fonds dans une société ?
    Cordialement

  • Un entrepreneur du sud de la France a pour gérance une dizaine de société. Tous ses biens sont au nom de sa femme et bien des personnes ont été abusés par des emprunts jamais restitués. La personne est insolvable malgré un train de vie aisé. Y a t il une possibilité de pouvoir poursuivre en justice ces méfaits ?

    • par ALAIN Bougeard , Le 30 juillet 2019 à 20:15

      Je sort moi même de 10 annees de procédure contre mon bailleur et Après avoir tout gagne ju qu’à la cassation je suis au jours hui perdu car il est condamné a me dédommager a la hauteur de 400000 euros mai il a organiser son insolvabilité et je perd 14 annees de travai si vous voulez me repondre voici mon adrsse mail alainyvette chez yahou.frl

    • par ALAIN Bougeard , Le 31 juillet 2019 à 16:53

      J ai tout gagne devant les tribunaux ju qu’à la cassation et pourtant mon bailleur pourtant condamné a me dédommager a la hauteur de 400000 euros a organiser son insolvabilité et continue a vivre normalement moi je n ai plus rien que faire s il vous plaît répond et moi. Voici mon adresse mail alain chez yahoo.fr

  • par Line , Le 27 mai 2019 à 13:01

    Je suis actuellement en instance de divorce, donc séparés de biens et de corps. Une séparation du moins très compliqué avec une enquête pénale et récidive.
    Six mois avant notre séparation, mon époux m’a offert la voiture qu’il avait acheté a crédit. Nous avons du donc changer la carte d’immatriculation, l’assurance pour y faire stipulé mon nom propre. Nous sommes mariés sous la séparation de biens. À ce jour, J’ai su qu’il n’aurais pas du me cédez le véhicule sans autorisation de la maison de crédit. D’autre part, je suis co emprunteur de ce dit crédit à la consommation. Étant handicapé depuis notre séparation, et étant à la retraite depuis plus de 10 ans je ne sais comment faire. Lui étant de nationalité française, il a pu faire un dossier de surendettement où il a été accepter avec un effacement partiel. Concernant le véhicule il ne resterait pas grand chose et je serais prête à le payer. 18000 euros. Le bémol de l’histoire la maison de crédit à la consommation, ou la Banque de France stipule bien ce crédit, puisqu’il m’ont expliquer que c’était des courriers en recommandé, la maison de crédit continue à dire qu’ils n’ont pas été au courant. Comment la Banque de France puisse avoir des documents avec acceptation de la maison de crédit, et que cet même maison de crédit ne soi pas informé ? Ceci dit, nous avons tous deux été assignés au tribunal. J’ai pris un avocat, mais lui est parti à l’étranger et ne répond à rien.
    Puisque ce véhicule est à mon nom propre, puis-je le vendre ? avant notre séparation, nous devions beaucoup d’argent à des particuliers avec des attestations de prêt d’argent et devrais commencer à les rembourser.
    En vous remerciant

  • par Isabelle Guichenal , Le 13 mars 2019 à 23:52

    Bonjour
    Mon ex employeur et moi sommes en conflit aux prud’homme le délibéré et pour le 26 Mars 2019 3mois et demi après le tribunal il a donc eu tout son temps...mon ex employeur...je vois que il a vendu son commerce dans lequel j’étais la seule employée et licenciée pour Inaptitude sans reclassement possible et en AT jusqu’au 15/10/2018 pour AT par la Médecine du travail le 30 novembre 2017.....je vais récupérer comment mon argent avec mes indemnités prudhommal si il dépense tout et qu’il dit ne pas avoir d’argent pour me payer....?

  • par dede , Le 29 janvier 2019 à 10:33

    Bonjour,

    J’ai prêté énormément d’argent à mon ex qui m’a fait croire qu’il allait me rembourser en me faisant des reconnaissances de dettes. Jusqu’au jour ou j’ai enquêté sur lui et découvert qu’il était marié et sans emploi (tout était faux, un vrai faussaire). j’ai pris un enquêteur qui vient de m’indiquer qu’à part une voiture pourrie, il n’avait rien. Pourtant il vit dans une magnifique maison. L’enquêteur m’indique qu’il vit avec le RSA. Je ne sais pas ce que fait sa femme (qui était au courant de notre vie commune). Je veux déposer plainte pour escroquerie et voir comment récupérer mon argent (plus de 50 000€). Il a des enfants dont un majeur (à qui j’ai du payer de belles vacances sans le savoir)et un père qui a beaucoup d’argent. Je ne sais pas ce que fait sa femme. Ai je un recours ?

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