Panorama des primes d’objectifs en 2022 (Partie 2/2).

Par Judith Bouhana, Avocat.

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Explorer : # primes d'objectifs # preuve de l'employeur # moyens nécessaires # proratisation du bonus

Cet article fait suite au précédent publié sur le même sujet (Panorama des primes d’objectifs en 2022 (Partie 1/2)).
Nous avons vu que les Juges sont très vigilants à protéger la rémunération du salarié en contrôlant les conditions de fixation de la prime d’objectifs. Voyons maintenant quelles sont les obligations complémentaires mises à la charge de l’employeur en matière de bonus en 2022.

-

1. C’est à l’employeur de prouver qu’il a donné au salarié les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif fixé.

La relation de travail repose sur l’obligation réciproque pour l’employeur de donner un travail et une rémunération au salarié qui en contrepartie doit exécuter les prestations demandées.

Encore faut il que l’employeur lui remette les outils nécessaires…

Ainsi dans une arrêt où un animateur VAD sollicite un rappel de salaire sur commissions non perçues en faisant valoir que « le défaut de remplacement à compter de janvier 2016 de vendeurs salariés dans son équipe a eu une incidence sur sa rémunération, que ces postes n’ont pas été pourvus… ».

La Cour conclut :

« il s’en déduit que la rémunération variable du salarié dépendait majoritairement des résultats de son équipe et était par ailleurs fixée compte tenu de consignes de la direction régionale… les objectifs doivent correspondre à des normes sérieuses et raisonnables, compatibles avec les moyens donnés… le salarié justifie que sur une équipe de cinq vendeurs à domicile, l’un a été licencié… sans être remplacé, deux ont été en arrêt maladie… sans être remplacés, le quatrième vendeur ayant été absent pendant six mois pour maladie sans être non plus remplacé… en date du 6 janvier 2017…son équipe ne comportait plus aucun effectif… Ces éléments conduiront à faire droit à un rappel de commissions… » [1].

Dans le même sens [2] : « En ce qui concerne les primes trimestrielles… l’employeur ne verse aucun élément suffisant à remettre en cause les allégations du salarié selon lesquelles il ne lui aurait pas attribué les moyens d’atteindre ses objectifs ».

2. C’est à l’employeur de prouver que le salarié n’a pas réalisé les objectifs fixés.

La prime d’objectifs repose sur l’atteinte d’objectifs fixés, en conséquence l’employeur qui ne règle pas la prime d’objectifs au salarié doit être en mesure d’établir que le salarié n’a pas atteint l’objectif fixé :

« Il incombe à l’employeur qui allègue que les objectifs ainsi définis n’ont pas été atteints en totalité par le salarié de justifier du non paiement de la prime annuelle sur objectif, d’en rapporter la preuve » [3].

Deux décisions illustrent cette obligation mise à la charge de l’employeur :

- Première décision [4] :

Le contrat de travail d’une salariée vendeuse prévoit une prime d’objectifs fixée à 0,2% du chiffre d’affaires HT généré par son point de vente. Sur la base du chiffre d’affaires TTC elle réclame un solde de primes d’objectifs.

La société s’y oppose en faisant valoir que la salariée ne démontre pas « le chiffre d’affaires sur lequel elle fonde sa demande, n’établit aucun décompte… ».

La Cour de son côté relève que dans un courrier signé par la responsable des ressources humaines, le chiffre d’affaires avancé par la salariée n’est pas critiqué et en conclut que la salariée « établit son droit au versement de la prime réclamée (que) son montant n’est pas sérieusement critiqué par la société Y qui dispose de tous les éléments comptables pour déterminer le montant du chiffre d’affaires de la salariée et ne les produit pas ». La Cour condamne donc la société à payer la somme réclamée ».

- Deuxième décision [5] :

Le salarié contestait l’appréciation par son employeur du critère qualitatif de la prime d’objectifs fixée. La Cour constate que la société « ne rapporte pas la preuve… que le salarié n’aurait pas atteint les objectifs qui lui aurait été fixés » et que la Cour juge irréalistes.

De longue date, les juges écartent les objectifs fixés non réalistes et exigent de l’employeur qu’il apporte la preuve de leur caractère réalisable (en savoir plus Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectifs en 2022).

C’est ce que la Cour rappelle dans cet arrêt où le salarié explique qu’

« il avait déjà doublé le résultat opérationnel… mais qu’on lui a imposé un objectif de croissance de plus de 55% par rapport à l’année précédente, ce qui était un objectif irréaliste…l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe du caractère réalisable des objectifs assignés… selon une progression des ventes de plus de 5% alors que la société indique elle-même que son chiffre d’affaires avait baissé de 9%... ».

3. L’employeur doit prouver le paiement de la prime d’objectifs.

La preuve du paiement de la rémunération variable au salarié représente un grand nombre de décisions.

Voici deux décisions explicites :

- Première décision [6] :

Le salarié percevait une rémunération liée à une partie quantitative sur marge et un bonus sur objectif lié à la qualité du travail fourni. Ce dernier était payable en fin d’année selon ce qui était mentionné sur les documents contractuels.

Or, le salarié contestait son règlement, et les bulletins de salaire ne permettaient pas d’identifier clairement le règlement de cette prime sur objectifs qualitatifs.

Ainsi, une « prime sur objectifs » était mentionnée comme telle sur un bulletin de salaire mais selon la Cour (elle) « ne saurait correspondre à la prime qualité qui n’était pas en vigueur à cette date et qui en tout état de cause ne peut être versée qu’en fin d’exercice ou en début d’exercice suivant vu sa nature ».

Les autres bulletins de salaire mentionnaient « une prime exceptionnelle et une prime sur objectifs ».

Au regard de ces divergences, la Cour juge

« que la charge de la preuve du versement des éléments de rémunération du salarié incombe à l’employeur, la somme figurant sur le bulletin de salaire intitulé commissions ne sauraient s’apparenter à la prime en question ni dans son montant ni dans son libellé, aucune autre somme sur les bulletins de salaire de fin d’année ou début d’année suivants n’étant désignée par l’employeur comme étant la prime qualité… Et l’employeur ne donnant pas de réponse au salarié près de 6 mois après la fin d’exercice sur cette prime, la Cour estime qu’il n’apporte pas la preuve qu’elle était payée... la société reste redevable (du bonus) ».

- Deuxième décision [7] :

« Il sera observé que la somme de 20 000 euros perçue par le salarié en 2013 et présentée par l’employeur comme ledit bonus est une prime exceptionnelle et non un bonus ainsi que cette somme est désignée sur le bulletin de salaire ».

Ce libellé imprécis doublé d’une absence de fixation d’objectifs annuels ne pouvait qu’entraîner la condamnation de l’employeur au règlement du bonus intégral.

4. Quand l’employeur doit-il proratiser le bonus dû au salarié ?

La question de la proratisation du bonus intervient lorsque le salarié quitte l’entreprise et sollicite son bonus (En savoir plus : Obtenir votre prime d’objectif : ce qu’il faut retenir en 2021).

Une décision éclaire cette question [8].

Rappelons le principe selon lequel lorsque le salarié est dispensé de préavis, il ne doit subir aucune diminution des salaires et avantages qu’il aurait perçus s’il avait accompli son travail [9].

Le salarié en dispense de préavis demandait le rappel de son bonus 2018 refusé par l’employeur aux motifs que le salarié « ne justifierait pas avoir travaillé en 2018 ».

La Cour rappelle que le salarié doit

« percevoir toutes les primes et gratifications qui viennent à l’échéance pendant la période de préavis, y compris les primes d’objectifs, même si le salarié n’a pas été en mesure de réaliser l’objectif qui lui a été assigné compte tenu de la dispense d’exécution de préavis ».

Ainsi, même si le salarié en dispense de préavis est absent de l’entreprise, il doit percevoir sa prime comme s’il avait réalisé cet objectif.

Le préavis de 6 mois du salarié expirait le 30 janvier 2018. L’employeur avait dispensé le salarié de l’exécution de son préavis ses commissions devaient lui être versées à 100% prorata temporis du 1er au 30 janvier 2018.

En 2022, nous constatons que la protection de la rémunération du salarié par les Juges est une priorité qu’ils font respecter à travers plusieurs obligations mises à la charge de l’employeur : la preuve de la fixation des objectifs, de l’absence de réalisation des objectifs réalistes fixés et du paiement de la prime au salarié.

Partie 1 à lire ici.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Cour d’Appel de Versailles 6ème ch. 2 juin 2022 RG n°19/02261.

[2Cour d’Appel de Versailles 22 sept. 2022 RG n°20/00841.

[3Cour d’Appel de Reims 23 février 2022, RG n°20/01222.

[4Cour d’Appel de Paris, Pôle 6 – Ch. 5, 29 sept. 2022 RG n°19/12194.

[5Cour d’Appel de Lyon 19 janvier 2022 RG n°19/01203.

[6Cour d’Appel d’Aix-en-Provence 21 janvier 2022 RG n°18/05411.

[7Cour d’Appel de Paris Pôle 6 - Ch.3, 18 mai 2022 RG n°19/00213.

[8Cour d’Appel de Versailles du 18 mai 2022 RG n°19/03896.

[9Cour d’Appel de Lyon 29 juin 2022 RG n°18/08095.

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Discussion en cours :

  • par redinger , Le 26 mai 2023 à 16:15

    Bonjour Maître,
    Merci pour vos publications toujours très instructives.
    Dans notre hôpital, le service est continu bien sûr même le 1er mai.
    Les infirmiers titulaires qui travaillent ce jour là sont payé double et récupèrent une journée
    Les vacataires qui travaillent ce jour là s’attendraient à être payés triple puisse qu" ils ne peuvent récupérer cette journée sous forme de repos.
    La direction de l’hôpital refuse en disant qu’il ne peut payer plus du double.
    Est ce légal ?
    cela induit une discrimination ?
    merci de votre éclairage

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