Obtenir votre prime d’objectif : ce qu’il faut retenir en 2021.

Par Judith Bouhana, Avocat.

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A l’analyse des décisions rendues en 2021 sur la rémunération variable on retient une double priorité pour les Juges : protéger la rémunération du salarié (I) et sanctionner les clauses contractuelles non respectées (II).

-

I. Protéger la rémunération du salarié.

1. Le paiement de la prime d’objectifs est dû même en cas de licenciement pour faute.

Peu importe que le salarié ait été licencié pour faute, le règlement de la rémunération variable est indépendant d’un licenciement disciplinaire [1].

S’agissant d’un salarié mis à pied conservatoire et licencié pour faute lourde (finalement non retenue par les juges), l’employeur s’opposait au règlement de la prime d’objectifs au motif « qu’il est particulièrement malvenu de solliciter le versement de cette prime alors même qu’il est l’auteur d’une faute d’une particulière gravité ».

Mais la Cour relève l’absence de fixation des objectifs assignés au salarié ainsi que le mode de calcul de sa part variable et condamne l’employeur au paiement de la totalité de la part variable sur les années défaillantes [2] :

Il en est de même pour ce salarié Directeur licencié pour faute grave (retenue par les juges) dont l’employeur s’opposait au paiement de sa prime sur objectifs car « du fait du licenciement pour faute grave, il ne pourrait y prétendre ».

La Cour n’est pas de cet avis et juge que :
« … La faute grave prive le salarié du droit à paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité de licenciement mais non pas d’autres indemnités ou primes accessoires de son salaire.
L’existence même de cette prime d’objectif et les conditions de son paiement ne sont pas autrement remises en cause par l’employeur
.
Il est justifié du paiement régulier d’une prime sur objectifs, et notamment en 2012, 2013 et 2014 pour, respectivement, 15 828,71 euros, 15 502,72 euros et 16 144,70 euros.
Faute pour l’employeur de justifier d’un calcul différent, ou de la non-réalisation des objectifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a condamné à payer la somme de 16 200 euros…
 ».

2. La maladie du salarié n’est pas un obstacle au règlement de la prime d’objectif.

Un Responsable régional est licencié pour motif économique. Dans son contrat de travail est stipulé un bonus non versé par son employeur dont il réclamait le paiement devant le Conseil de Prud’hommes. Pour s’y opposer, l’employeur se prévalait notamment « d’un tableau détaillé des « nombreuses absences » (sic) du salarié sur l’année 2017 » [3].

Rejetant cette argumentation, la Cour d’Appel réplique : « argument qui ne saurait être retenu ainsi que le soutient à juste titre le salarié dès lors qu’il apparaît que ces absences correspondent à des congés payés ou RTT ou sont justifiées pour maladie et ne peuvent dès lors constituer un critère d’appréciation de la performance du salarié dont dépend sa rémunération variable ».

3. Une indemnité pour perte de chance de percevoir la prime d’objectifs peut être fixée en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

La situation est la suivante : vous avez fait l’objet d’un licenciement injustifié qui vous a privé de ce fait de votre droit à percevoir vos commissions en suite d’un contrat signé avant votre licenciement, ou bien comme dans cet arrêt, l’application d’une clause permettant au salarié de percevoir une prime calculée sur la valeur de l’action d’entreprise [4].

Un salarié Directeur support et de service de formation licencié pour cause réelle et sérieuse bénéficiait en plus de sa rémunération mensuelle forfaitaire d’un bonus versé sous la forme d’un « Plan incitatif à Long Terme ».

Le salarié indiquait « que s’il n’avait pas été abusivement licencié, il aurait eu obligatoirement droit au bénéfice de ses LTIP » calculé en fonction de la valeur de l’action.

La société objectait qu’il appartenait au salarié d’être présent dans l’entreprise au moment du versement, argument non retenu par la Cour qui précise que la demande de salarié « ne tend pas au paiement des sommes dues mais à l’indemnisation de la perte de chance subie par suite de son éviction injustifiée de l’entreprise ».

Comme l’indique la Cour, pour permettre au salarié de bénéficier d’une indemnisation pour perte de chance il faut déterminer « si les éléments produits établissent de manière certaine que l’intéressé aurait dû percevoir les versements réclamés, s’il n’avait pas été licencié », ce que le salarié a réussi en l’espèce à justifier obtenant la condamnation de l’employeur à lui verser la prime sollicitée.

N’hésitez donc pas à solliciter l’indemnisation de votre perte de chance de percevoir votre prime si la rupture de votre contrat de travail est prononcée aux torts de votre employeur et que vous pouvez prouvez que si vous étiez resté dans l’entreprise vous l’auriez perçu (produisez tous les documents utiles : contrat, avenant, facture, mais aussi vos échanges par mails, sms, sur les réseaux sociaux etc.).

4. La clause de présence du salarié à la clôture de l’exercice n’est pas applicable en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Les contrats prévoient parfois une clause conditionnant le paiement de la prime à la présence du salarié dans l’entreprise à la clôture de l’exercice. Les juges considèrent que la prime est due prorata temporis lorsque le salarié quitte volontairement l’entreprise (en savoir plus : 11 décisions à connaitre pour obtenir le paiement de sa prime d’objectif en 2021).

Qu’en est-il en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse ?

Un Directeur logistique et division est licencié pour insuffisance professionnelle jugé sans cause réelle ni sérieuse en appel, et il sollicite un rappel de rémunération variable. L’employeur lui oppose une clause exigeant sa présence à la clôture de la période financière de l’exercice pour le paiement de sa prime.

En toute logique, la Cour d’Appel de Paris [5] n’est pas de cet avis, puisqu’elle juge que :

« La partie variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité s’acquiert au fur et à mesure de l’année.
Même si X… ne faisait plus partie des effectifs à la fin de l’exercice 2012/2013, la condition de présence de X… à la clôture de la période financière pour l’exercice 2012/2013 est réputée accomplie dès lors que c’est la société Y qui en a empêché l’accomplissement en licenciant X… de manière illicite.
Celui-ci peut donc prétendre à la perception de cette rémunération sur l’entière année de référence de sorte qu’il n’y a pas lieu de limiter ses droits prorata temporis
 ».

II. Sanctionner les clauses du contrat de travail non respectées.

1. Quand les objectifs ne sont pas fixés : La prime est due au salarié.

Lorsque le contrat de travail stipule une rémunération variable, l’employeur doit fixer chaque année les objectifs au salarié à défaut, les juges fixent la prime d’objectifs due au salarié.

« L’employeur ne justifie pas avoir fixé un quelconque objectif au salarié… la Cour condamne la société Y à payer à X la somme de 40 000 euros à titre de rappel de prime pour l’année 2017 » [6].

Et même si le salarié n’a pas rempli l’objectif fixé [7] : « faute pour l’employeur de justifier avoir précisé à la salariée les objectifs à réaliser, la rémunération doit être payée intégralement, alors même qu’il est constant que X n’a pas rempli l’objectif tardivement dévoilé ».

Un attaché commercial licencié pour insuffisance professionnelle sollicitait entre autres le règlement de sa prime semestrielle [8].

La Cour fait droit à sa demande en constatant que « l’employeur n’a jamais fixé d’objectifs à atteindre pour le déclenchement de cette prime … il n’est pas utilement contesté que la société Y n’a jamais fixé d’objectifs à atteindre pour le déclenchement de cette prime. La Cour rappelle que l’employeur ne peut se prévaloir du défaut de détermination des objectifs à réaliser pour échapper au paiement d’un élément de la rémunération contractuellement prévue ».

Dans le même sens [9] : un Cadre expert informatique sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur notamment au motif que certaines de ses primes d’objectifs ne sont ni fixées ni réglées, ce que la Cour constate :

« Si la société Y communique ici des documents internes faisant état du défaut de budget affecté aux primes SEA au titre de l’année 2013… et du troisième trimestre 2014… elle ne produit aucun élément concernant les autres périodes…
S’agissant de la prime variable annuelle 2016 et 2017…il n’est justifié de la fixation d’aucun objectif pour les années 2016 et 2017 non plus que des conditions d’éligibilité pour percevoir cette dernière prime.
Dès lors et sur la base des moyennes des primes dont le salarié avait reçu le paiement pour les années antérieures, la société Y sera condamnée à lui régler à ce titre la somme de 2 991,60 euros outre congés payés afférents…
 ».

Et aussi [10], concernant un Directeur logistique division distribution France licencié pour insuffisance professionnelle qui sollicitait le rappel de rémunération variable de l’exercice 2021 et 2013.

La Cour constate que la société « ne produit qu’un courriel… relatif à des propositions de grille pour 2013… lequel ne saurait valoir notification à X (le salarié) des objectifs financier…

L’employeur ne justifie pas plus de la notification à X de ses objectifs individuels… en l’absence de fixation d’objectifs pour l’année 2012/2013, ceux-ci sont réputés atteints de sorte que X a droit à l’intégralité de la rémunération variable prévue au contrat et sur l’intégralité de l’exercice 2012/2013… en conséquence la société Y est condamnée à payer X la somme de 133 889 euros de rémunération variable au titre de l’exercice 2012/2013 et la somme de 13 338,89 euros de congés payés y afférents ».

Et dans le même sens [11], concernant un Responsable d’Agence démissionnaire de ses fonctions qui sollicite en justice entre autres le règlement de ses primes variables :

En analysant les pièces produites, la Cour déduit qu’il « ne résulte aucunement du document relatif à la prime d’objectif produit par l’employeur, dont il y a lieu d’observer qu’il ne comporte ni en-tête, ni date, que les objectifs qui y sont portés ont été communiqués à la salariée, qui le conteste et précise que le mode de calcul de cette prime n’a jamais été transparent. En effet, l’employeur ne produit aucune pièce susceptible de démontrer que chaque année, en début d’exercice, il a été porté à la connaissance (de la salariée) ses objectifs pour l’année, le tableau reprenant l’historique des primes versées ne rapportant pas plus cette preuve.

Par conséquent, compte tenu des données de la cause, il convient d’allouer à l’appelante la somme de 6 500 euros à titre de rappels de primes sur objectifs pour les années 2014 à 2016, outre les congés payés y afférents, eu égard à la moyenne perçue ».

Les juges font donc une analyse minutieuse des pièces communiquées par les parties pour juger si le salarié a bien été ou non informé des conditions de fixation de sa prime d’objectifs.

2. Quand les modalités de calcul du bonus ne sont pas communiquées ou ne sont pas claires : la prime est due au salarié.

C’est une seconde sanction très lourde du non respect par l’employeur les clauses contractuelles (en savoir plus : Salariés, sachez obtenir le paiement de votre prime d’objectif en 2017 (1)).

Un Directeur adjoint saisit les Juges d’une demande de résiliation judiciaire notamment pour non fixation et non paiement de la rémunération variable contractuelle. La société lui rétorque « qu’en raison de son comportement le salarié n’était pas éligible au versement d’une prime sur objectif qualitative » [12].

Mais la Cour constate que la société n’a pas « justifié avoir fixé comme le contrat de travail le stipulait, les objectifs qualitatifs devant servir de base au calcul d’une partie de la rémunération variable… (qu’elle) a manqué à ses obligations contractuelles à son égard » et condamne l’employeur au règlement d’une prime d’objectifs qu’elle fixe selon les données de la cause (en savoir plus : Salariés, sachez obtenir le paiement de votre prime d’objectif en 2018).

3. Quand l’employeur ne prouve pas le paiement de la prime : la prime est due au salarié.

Comme tout élément lié au salaire du salarié, il appartient à l’employeur de justifier le règlement du salaire incluant les primes variables. A défaut, la prime sera payée au salarié.

C’est ce que rappelle la Cour d’Appel de Douai [13].

Un Superviseur commercial démissionne puis conteste son solde de tout compte en réclamant entre autres le rappel de primes d’objectifs. N’ayant pas mentionné le règlement des primes sur les bulletins de salaire, la société tentait de justifier de leur règlement par des attestations de témoins et l’absence de réclamation du salarié avant la rupture de son contrat.

Peu importe pour la Cour d’Appel qui constate que : « la société reconnaît que ses primes ne figuraient pas nécessairement sur les bulletins de paie » (et que nonobstant une attestation d’un témoin déclarant qu’un salarié) « s’était vanté d’avoir reçu sa prime en espèce sans que le moment soit daté… et l’attestation de E… associé qui confirme le procédé tout en relevant qu’aucune réclamation a été faite avant la rupture. Le versement des primes contractuellement dues doit être justifié par la société X (qui) reste redevable de ce paiement à partir de l’année 2014 eu égard aux documents produits. La société X sera condamnée au paiement de la somme de 4 514,80 euros pour la période de 2014/2016 ».

4. Quand la prime exceptionnelle est jugée comme un élément régulier du salaire.

Dans un précédent article il avait été longuement analysé les conditions dans lesquelles une prime dite exceptionnelle était requalifiée en prime variable est considéré comme un élément régulier du salarié (en savoir plus : Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectifs (III)).

Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour d’Appel de Lyon dans son arrêt du 16 juin 2021 [14] a jugé une prime dite « exceptionnelle » comme un élément régulier du salaire : une Responsable communication marketing sollicitait la résiliation judiciaire de son contrat de travail notamment pour non règlement de sa prime d’objectifs. La société lui opposait le versement discrétionnaire de cette prime qu’elle considérait comme une libéralité, c’est-à-dire une prime versée exceptionnellement et non régulièrement par l’employeur.

Après analyse du contrat de travail et des conditions de règlement de la prime la Cour d’appel de Lyon décide que : « Le contrat de travail de X contient une clause selon laquelle des primes exceptionnelles pourront être versées en fonction des résultats de l’entreprise et des performances individuelles du contractant. Or, la société Y… ne justifie pas des critères selon lesquels étaient appréciées les performances de X…, ni de la part de la prime liée aux résultats de l’entreprise.
S’agissant d’une prime stipulée au contrat de travail, destinée pour partie à récompenser une performance, cette prime qui a régulièrement été versée deux fois par an de juillet 2006 à janvier 2015 ne peut être qualifiée de libéralité et constitue un élément de salaire
 ».

Au travers de ces 14 décisions rendues en 2021, une constante demeure : la propension des juges à protéger la rémunération du salarié.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com

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Notes de l'article:

[1Cour d’Appel de Grenoble, Chambre sociale, Section A 27 juillet 2021 (RG n°18/05038).

[2Cour d’Appel d’Orléans, Chambre sociale, 17 juin 2021 (RG n°18/00248).

[3Cour d’Appel d’Amiens 18 mars 2021 (RG n°19/08641).

[4Cour d’Appel d’Aix en Provence 28 mai 2021 (RG n°18/14146).

[5Pôle 6 - Chambre 6, 30 juin 2021 RG n°20/05767.

[6Cour d’Appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 9, 10 mars 2021 (RG n°18/08996).

[7Cour d’Appel de Dijon, Chambre sociale, 11 mars 2021 (RG n°19/00109).

[8Cour d’Appel d’Amiens, 27 juillet 2021 (RG n°18/04108).

[9Cour d’Appel de Versailles, 6ème chambre, 1er juillet 2021 (RG n°18/03054).

[10Cour d’Appel de Paris, Pôle 6 - Chambre 5, 30 juin 2021 (RG n°20/05767).

[11Cour d’Appel de Rouen, 24 juin 2021, (RG n°19/00169).

[12Cour d’appel de Nîmes 16 mars 2021 RG 17/04689.

[1316 juillet 2021 (RG n°19/02387).

[14(RG n°17/07058).

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