1. C’est à l’employeur de prouver que les objectifs fixés au salarié sont réalisables [1].
Un Responsable Régional des Ventes prend acte de la rupture de son contrat de travail notamment aux motifs que sa rémunération variable reposerait sur des objectifs non réalisables.
La décision de la Cour de Cassation est radicale puisqu’elle décide qu’il appartient à l’employeur de produire les éléments établissant que les objectifs fixés au salarié sont réalisables, à défaut la rémunération variable au titre de l’exercice est due.
Or, dans les documents contractuels figurait une annexe 1 au contrat de travail qui ne mentionnait que la seule année 2013 sans évoquer de reconduction possible pour les années suivantes.
Les Juges en ont déduit que l’employeur n’avait pas fixé les objectifs pour les années suivantes privant ainsi le salarié de sa rémunération variable contractuelle les années postérieures à 2013.
2. La rupture de la période d’essai n’exonère pas l’employeur de la fixation des objectifs au salarié [2].
Un Responsable Contrôle de Gestion dont la période d’essai a été rompue au bout de 3 mois conteste l’absence de fixation des objectifs prévues par son contrat de travail.
L’employeur invoque la brièveté de la relation contractuelle avec la rupture de la période d’essai moins de 3 mois après la signature du contrat, argument balayé par les Juges qui constatent que la société n’a pas fixé d’objectifs au salarié peu important que la relation contractuelle n’ait duré que près de 3 mois.
Employeurs et salariés vous retiendrez pour les premiers l’importance de préciser au salarié les objectifs à réaliser dès l’embauche, et pour les salariés le droit à obtenir la prime d’objectifs même au regard d’une période contractuelle ne dépassant pas 3 mois.
3. La prime d’objectif est due même en présence d’une condition de présence du salarié dans l’entreprise non respectée dès lors que le licenciement est nul [3].
Un Directeur de Logistique sollicite sa rémunération variable dont il a été privé par l’entreprise en application du contrat de travail exigeant la présence du salarié dans l’entreprise à la clôture de la période financière correspondante au bonus.
Ce faisant, les Juges constatent que le licenciement du salarié ayant été jugé nul, la condition de présence du salarié exigée à la clôture de la période financière du bonus pour qu’il puisse percevoir sa rémunération variable est inopposable au salarié « dès lors que c’est la société qui en a empêché l’accomplissement en licenciant le salarié de manière illicite ».
Les Juges condamnent l’entreprise à payer au salarié son bonus intégral sur l’année de référence sans appliquer de calcul prorata temporis.
4. La requalification du bonus discrétionnaire en bonus contractuel : 3 décisions.
L’évolution du bonus discrétionnaire en bonus contractuel à déjà fait l’objet de précédentes analyses :
Salariés, sachez obtenir votre bonus en 2018 ;
Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectifs (III) ;
et Salariés, sachez obtenir le paiement de votre prime d’objectif en 2017 (ii).
Première décision (Cour d’Appel de Versailles 17ème Ch. 3 nov. 2021 RG n°19/00527).
Cette décision récente rappelle le pouvoir des Juges de requalifier les clauses signées entre les parties sans tenir compte du libellé mentionné par elles, au regard des pièces qu’ils analysent.
C’est l’objet de cette décision concernant un salarié Sénior Relationship Manager qui conteste l’absence de versement de son bonus.
L’employeur se fondait sur la clause du contrat évoquant une gratification éventuelle et discrétionnaire pour considérer que la rémunération n’était pas obligatoire.
Analysant les pièces communiquées, les Juges constatent que le contrat de travail mentionne un bonus discrétionnaire mais que des courriers postérieurs précisent quant à eux que le versement du bonus était « octroyé en fonction de la réalisation d’objectifs et des résultats de l’entreprise ».
D’autres pièces produites par le salarié évoquaient également des objectifs individuels financiers et non financiers et d’autres basés sur les résultats du groupe.
Les Juges en concluent que les bonus du salarié
« lui ont été octroyés en fonction de critères relatifs à sa performance, aux résultats de sa direction … et à celle de la société ou du groupe. Ce bonus était donc alloué en fonction de l’atteinte d’objectifs personnels et de la société. En dépit des dispositions contractuelles, l’employeur ne peut ainsi prétendre que le bonus était discrétionnaire. Dès lors il y avait droit en fonction des objectifs atteints ».
2ème décision (Cour d’Appel de Paris Pôle 6 - Ch. 9 17 nov. 2021 RG n°17/050009).
Un Directeur associé soumis à une rémunération fixe et variable en réclame le règlement, son employeur lui rétorque qu’il s’agit d’une prime exceptionnelle, ce qui est démenti par les pièces analysées par les Juges :
« Une lettre d’engagement visant une rémunération fixe et un bonus… un contrat de travail stipulant une rémunération annuelle composée d’une partie fixe et d’une prime non fixe avec condition d’attribution de la prime non fixe précisée e, annexe 1. Une annexe intitulée « la lettre d’objectifs » et précisant les objectifs fixés ».
Les Juges en concluent « que la prime d’objectifs est contractualisée contrairement à ce que soutient l’employeur », et condamnent l’employeur à son versement.
5. La falsification des objectifs collectifs traquée pas les Juges [4].
Un Directeur Général dont le contrat de travail prévoit un bonus variable en fonction de l’atteinte d’objectif financier de l’entreprise et d’objectif personnel non financier conteste le non versement de sa rémunération variable en évoquant des objectifs collectifs non sincères : « Des résultats ont été curieusement et sans explication remontés vers la holding, que le gonflement de près de 80% des « managements fees » et « royalties succursale » ont été aussi remontés vers la holding en 2015, ce qui a dégradé les résultats de la société X, sans lien avec son action managériale du salarié ».
Analysant les pièces produites, les Juges confirment que « si les pièces produites permettent de vérifier que ce résultat n’a pas été atteint, sur le bilan comptable de fin de cet exercice, force est de constater que c’est en raison de diverses opérations comptables vers la holding, les résultats intermédiaires étant très supérieurs ».
Constatant la déloyauté de l’employeur, les Juges le condamnent au règlement du bonus du salarié.
6. La sanction des objectifs modifiés en cours d’année (3 décisions).
1er arrêt (Cour d’Appel de Paris Pôle 6 - Ch. 8 27 mai 2021 RG n°18/04582).
Un Directeur de Développement Institutionnel est soumis à une rémunération fixe et une prime d’objectifs annuelle avec un calcul pouvant être révisé chaque année.
Or, pour l’année 2016 les objectifs avaient été définis et acceptés par le salarié puis modifié 3 mois plus tard par l’employeur.
Les Juges constatent qu’« il ne peut d’une part être considéré que le salarié a accepté les objectifs qui lui ont été ainsi nouvellement fixés alors que ces derniers sont différents de ceux pour lesquels il a marqué son approbation en signant son évaluation ».
Les Juges poursuivent en constatant l’imprécision du critère qualitatif du document modifiant les objectifs ne mettant pas « le salarié en mesure de l’atteindre ».
Autant de raisons valables permettant aux Juges de condamner la société au règlement de la prime d’objectifs due au salarié.
2ème arrêt (Cour d’Appel de Renne 7ème ch. 8 avril 2021 (RG n°/02435)).
Elle concerne un Cadre des Ressources Humaines dont le contrat de travail prévoit outre une rémunération de base, une prime variable basée sur la réalisation d’objectifs définis chaque année d’un commun accord.
La société conteste le droit au paiement du bonus du salarié en ce basant sur la non réalisation des objectifs fixés lors de son entretien annuel.
Les Juges constatent que ce document comporte
« une énumération générale et imprécise des tâches à accomplir par le salarié durant l’année 2015 ne pouvant toutefois pas servir de base à l’attribution d’une prime variable annuelle, en l’absence de toute information préalable du salarié sur les modalités d’attribution et du mode de calcul de cette prime ».
Les Juges en concluent que la société « ne justifie pas de la notification d’objectifs précis et réalisables servant de base de calcul de la prime d’objectifs au titre de l’année 2015 ».
Ils condamnent donc l’employeur au paiement d’une prime variable qu’ils évaluent en se référant aux primes déjà versées.
3ème arrêt (Cour d’Appel de Versailles 17ème ch. 17 mars 2021 RG n°18/04163).
Dans cette espèce, les Juges constatent l’absence de notification au salarié d’objectifs précis lors de son entretien évaluation qui procède par un mélange de genre impropre selon eux à constituer une notification précise d’objectif : l’entretien a pour « objet d’évaluer la performance du salarié et d’aborder le développement de ses compétences et son projet d’évolution professionnelle (ce qui n’a pas le même objet) que la fiche de fixation des objectifs qui fixe le pourcentage de la rémunération variable ».
7. Les difficultés économiques ne suffisent pas a écarter le règlement de la prime d’objectifs due au salarié [5].
Un Directeur Général Adjoint tente de s’exonérer du règlement du bonus au salarié en invoquant la conjoncture économique, argument non retenu par les Juges qui constatent qu’
« il n’est pas contesté que la société X ne justifie pas de la fixation des objectifs au titre de l’année 2015 sans que la reprise de la société par la holding Y ne suffise à l’expliquer… faute pour elle d’avoir précisé au salarié les objectifs à réaliser ainsi que les conditions de calcul vérifiables, elle est tenue au paiement de la rémunération variable dans son intégralité, sans que la mauvaise santé économique de la société ne puisse lui être opposée ».
On retiendra de ces décisions les plus récentes une exigence et même une radicalité des Juges en matière de rémunération des salariés qui confortent leur jurisprudence établie de longue date sur la nécessité pour l’employeur d’informer en début d’exercice le salarié des objectifs qui lui sont fixés (11 décisions à connaître pour obtenir le paiement de sa prime d’objectif en 2021) ; dont le caractère réalisable doit être établi par l’employeur (Salariés, sachez obtenir le paiement de votre prime d’objectifs) ; toute imprécision ou absence de fixation des objectifs étant sanctionnée par le paiement de la prime fixée suivant les clauses contractuelles et à défaut les données de la cause (par analyse des primes versées les années précédentes) (Obtenir votre prime d’objectif : ce qu’il faut retenir en 2021).
Discussions en cours :
bonjour Maître,
notre groupe a été racheté par KORIAN et tout change : logiciels, personnel, même les feuilles de paie...
j’ai une prime d’objectifs personnels ( et non financiers) qui est maintenant partiellement réintégrée au salaire de base ( mais on ne sait pas dans quelle proportion)
Maintenant il est est écrit sur la feuille de paie : 2 lignes qui auparavant n’en faisait qu’une
.salaire de base:X ( qui correspond au minimum de la grille)
.et le complément s’appelle : avantage acquis.
Il nous dit que ça ne change rien et que c’est pour pouvoir mieux négocier des augmentations...
Est ce légal ?
et nous nous inquiétons de savoir si nous voulons contracter un prêt bancaire, le banquier ne regardera t il pas que la ligne : salaire de base ou l’ensemble de la rémunération ?
D’autre part cet avantage acquis qui constitue en fait du salaire de base, peut il être remis en question par l’employeur à tout moment ?
Quelle garantie avons nous que cet avantage acquis soit pérenne ?
Peut on l’obliger à réécrire cette ligne unique que nous avions avant ?
Comment procéder ?
Merci de votre réponse forcément très utile pour nous
REDINGER
Bonjour, comme vous le savez ce forum n’est pas destiné à des consultations juridiques mais uniquement à des réponses synthétiques sur des questions qui le sont également. Tel n’est pas le cas des difficultés que vous soulevez qui nécessitent une étude approfondie des pièces contractuelles et de votre situation juridique. Je vous suggère donc de prendre rendez-vous auprès d’un avocat spécialisé en droit du travail qui saura vous répondre une fois analysées l’ensemble de vos pièces.
Judith Bouhana
Avocat spécialiste en droit du travail
www.bouhana-avocats.com